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Irlande

Référendum sur le processus de paix

Le jeudi 4 juin 1998.

Un scorpion est une créature qui pique d’abord et qui pose des questions ensuite. Quand un garçon et une fille scorpion se rencontrent et décident « d’étendre leur ordre du jour », ils doivent d’abord passer par une danse rituelle longue et élaborée pour établir leur bonne foi réciproque. On pourrait penser que quelque chose de similaire est en train de se produire dans les actuelles discussions multi-partis à Belfast. Selon le Irish Time « les discussions doivent passer à la vitesse supérieure pour que le processus conserve sa crédibilité ». Une source gouvernementale irlandaise citée dans le Sunday Tribune du 16 novembre 1997 disait « nous avons le sentiment que plus de témérité serait nécessaire ».

La plus grande partie de la discussion semble consister à déterminer qui est dans la même pièce que qui, sont-ils autorisés à se regarder, sont-ils autorisés à se serrer la main, et ainsi de suite. La rumeur prétend que, durant la cérémonie d’inauguration présidentielle de Mary McAleese au château de Dublin, Mo Mowlam est allé voir Gerry Adams et John Alderdice (du parti de l’Alliance à tendance unioniste) et leur aurait demandé si ils souhaitaient qu’elle s’assoie entre eux.

Du vieux vin dans de nouvelles bouteilles

Alors, pendant que les discussions se poursuivent, de quoi est il question exactement ? He bien, les discussions sont bien sûr tenues secrètes, mais les documents-cadres sur lesquels les débats sont basés nous donnent un indice. Ça n’élimine pas l’union par consentement mutuel à long terme. Mais pour le court terme, c’est d’un arrangement interne dont il est question. Se débarrasser de la partition ne figure même pas sur les agendas. Cela signifie que la ligne arbitraire tracée à travers le pays va demeurer.

Un compromis pour les six comtés est recherché autour d’une sorte d’arrangement pour le partage du pouvoir, et d’une augmentation des liens trans-frontière avec le Tigre celtique. Un tel accord pourrait être tout à fait acceptable pour les Unionistes modérés, et ferait certainement la joie de la classe moyenne catholique en plein essor en Irlande du Nord.

Autant pour l’agenda, mais qu’en est-il des partis autour de la table ? À première vue, il semble y avoir des raisons d’être optimistes puisque pas moins de six partis parmi les huit se disent socialistes, à savoir le Labour, la Coalition des Femmes, le SDLP, le Sinn Fein, le Parti unionniste progressiste, et le Parti démocratique d’Ulster. Est-ce que ca voudrait dire qu’ils sont désireux d’entreprendre des changements d’envergure ? Pas vraiment.

Le Labour veut représenter les syndicats en Irlande du Nord, dont les leaders ont déjà accepté la partition et croient que toute mention qui en est faite est automatiquement sectaire. La Coalition des femmes accueille des membres du Parti conservateur dans leurs rangs ! Le SDLP a toujours représenté la classe moyenne catholique, conservatrice a la fois sur les thèmes économiques et sociaux. Le socialisme du Sinn Fein n’a jamais cherché à mobiliser tous les travailleurs dans leur propre intérêt de classe.

La position de Gerry Adams dans son livre Les politiques de la liberté Irlandaise appelle au développement « d’un mouvement Irlando-Irlandais » et a une « campagne de régénération nationale ». Ces idées ne sont pas vraiment destinées à attirer les travailleurs protestants de l’Unionisme vers le Socialisme ! Récemment, même la réthorique gauchiste qui a si bien servi dans les années 80 a été abandonnée. Au printemps dernier, comme nous le rapportions dans un article précédent, le Sinn Fein a rencontré la Confédération de l’industrie britannique. Le chef de ce club de patrons, Bill Tosh, disait « qu’ils (le Sinn Fein) avaient un rôle constructif a jouer dans la régénération économique ».

Que peut-on dire du PUP et de l’UDP ? Ces deux partis ont été mis au premier plan depuis le cessez-le-feu loyaliste. Mais il ne faudrait pas oublier qu’ils existaient depuis bien plus longtemps, comme porte-parole des bouchers sectaires de l’UFV et de l’UDA. Ensuite, un socialisme qui accepte le loyalisme en subit toujours les contraintes, et finira toujours par défendre le sectarisme en dernière analyse. David Ervine et le PUP. prétendent être dans la droite ligne du Parti travailliste d’Irlande du Nord. Pour faire face aux élections générales de 1949, ce parti déclarait :

« Le Parti travailliste, étant un parti démocratique, accepte la position constitutionnelle de l’Irlande du Nord ainsi que son association étroite avec la Grande-Bretagne et le Commonwealth ; de plus, nous ne briguons aucun mandat pour changer ça. » (Belfast Telegraph, 31 janvier 1949)

Ce « nous ne briguons aucun mandat pour changer ça » nous ramène nettement aux discussions actuelles. Premièrement, nous avons affaire avec un agenda préétabli, dans lequel il ne sera question ni de la partition ni de quoique ce soit de lointainement apparenté à un vrai socialisme, comme l’indiquent les documents-cadre.

Deuxièmement, comme nous venons de le voir, aucun des partis en présence (nous n’avons pas mentionné l’Alliance des partis unionistes, mais on les voit mal avoir envie de devenir l’avant-garde d’un ordre nouveau au Nord !) ne désire un changement réel du statu quo.

Malheureusement, nous devons conclure que ces prémices semblent limiter les résultats possibles, faisant d’eux une conclusion pratiquement tirée d’avance.

Ce a quoi nous assistons en Irlande du Nord est une acceptation des divisions territoriales et un retrait des deux camps dans leurs propres « territoires ». Un consensus est en train d’émerger, à la fois du coté nationaliste (y compris le Sinn Fein) et du coté unioniste, selon lequel un arrangement doit être basé sur les cultures orange et verte, qui ne sont pas seulement séparées mais opposées.

Le résultat des discussions rendra certainement ce sectarisme officiel et va l’institutionnaliser. Nous verrons les politiciens unionistes et nationalistes se livrer une compétition pour l’investissement des multinationales et de l’Union européenne pour « leur » zone. Ce processus, comme la cantonisation qui s’est produite en Yougoslavie, augmentera le fossé entre les travailleurs ce qui compliquera d’autant la tache des socialistes. Ce « carnaval de la réaction » que James Connolly prédisait va s’intensifier.

Il existe un autre problème fondamental dans ces discussions pour les anarchistes. Même si les négociations concernaient le retrait britannique ou la construction d’un socialisme unifié en Irlande, qu’en est-il des gens qui participent aux discussions ? Alderdice, Trimble, Hume, Adams, etc., aucun d’entre eux n’a de réel mandat de la communauté. Entre tous les partis seul le Sinn Fein a prétendu consulter « sa communauté » après le dernier cesser le feu. Mais même alors, ce n’était qu’une façon pour les chefs d’essayer de vendre un accord pré-rédigé aux électeurs.

Nous sommes partisans de la démocratie directe non-représentative. Ceci implique que des rencontres massives soient tenues sur les lieux de travail, dans les écoles et communautés, et que les négociateurs soient choisis sur les bases du mandat de ces meetings. Si ils ne remplissent pas ce mandat, ils sont éjectés. D’authentiques délégués de la communauté devraient ainsi participer aux discussions.

On est loin des promesses de l’Irlande du Nord. La lutte de l’IRA contre l’État britannique a toujours impliqué un petit groupe de gens « trouvant des solutions » pour le compte de la communauté nationaliste.

Les gens sont appelés à la fois par les unionistes et les nationalistes à faire des émeutes et des manifestations, mais ils en sont réduits au rôle de soldats d’opérette que leurs chefs sortent de leur chapeau quand ca les arrange et qu’ils contrôlent avec soin. Ils n’ont pas leur mot à dire dans la façon dont ils sont « représentés ».

Nous n’en demandons pas beaucoup ! Au lieu d’un processus de paix, nous voulons une lutte commune pour mettre fin à la partition et construire le socialisme. Cela ne sera pas facile, nous devrons bâtir une réelle unité des travailleurs, ce qui signifie convaincre les travailleurs protestants de se détourner du loyalisme et de l’unionisme. Bien qu’il soit fait un sort légèrement meilleur pour les travailleurs protestants en moyenne, tous les travailleurs d’Irlande du Nord sont perdants avec les salaires les plus bas et le chômage le plus haut de toutes les îles britanniques.

La récente grève aux usines automobiles de Montupet, dans laquelle 280 travailleurs des deux religions sont restés solidaires pendant neuf semaines contre les tentatives des patrons d’éveiller leur sectarisme, nous montre bien autour de quelles questions économiques l’unité peut être construite. Il s’agit d’aller au-delà pour aboutir à une unité anti-impérialiste. Faute de quoi rien ne va changer.

Conor McLoughlin
Workers Solidarity Mouvement