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France-Afrique : adieu l’empire ?

Le jeudi 25 septembre 1997.

La Françafrique survivra-t-elle au décès récent de Jacques Foccart, le chef des barbouzes, l’ami des dictateurs, l’éminence grise de Charles de Gaulle ? Telle est la question qui doit agiter les éditorialistes « inspirés » de la presse nationale. Il est vrai que depuis une poignée d’années, le pré carré français donne des signes évidents de faiblesse : faille économique, érosion de régimes discrédités, incapacité de l’État français à régler les dettes et autres arriérés de paiement de la fonction publique, abandon du Franc CFA et montée en puissance de régimes « anglo-saxons » (Ouganda, Afrique du sud, Ghana) drivés par les États-Unis et regardés d’un bon œil par le FMI. Le tableau est sombre et les analystes sont tous d’accord pour dire que la politique africaine de l’État français, si elle ne veut pas sombrer corps et âme, doit changer, se renouveler. Mais est-ce possible ?

Mitterrand dans la ligne gaulliste

Rappelons-nous 1981, le peuple en liesse dans les rues de Paris et d’ailleurs attendant du nouveau pouvoir qu’il « change la vie » ! Tout le monde se souvenait de l’affaire des « diamants de Bokassa » et pour beaucoup, l’arrivée des socialistes et des communistes au pouvoir allait mettre un terme à cette politique honteuse faite de soutien aux dictatures, de trafics en tous genres et de petits cadeaux.

S’ouvrit alors la période Jean-Pierre Cot durant laquelle ce dernier osa mettre les pieds dans le plat, critiquant les liaisons douteuses, les coups de force injustifiables et la dilapidation de l’aide au développement. Mais l’importun fut rapidement rappelé à l’ordre et remplacé par le demeuré célèbre Christian Nucci. François Mitterrand se révéla alors tel qu’en lui-même : double. D’un côté, il nous gratifia de discours terriblement gauchistes (sic) sur la démocratie, les droits de l’Homme (cf. le discours lors du sommet franco-africain de La Baule en 1992) ; de l’autre, il installait à l’Élysée son propre réseau clientéliste avec Guy Penne et son fils, Jean-Christophe (appelé en Afrique « Papamadit »), bien connu pour ses amitiés douteuses avec le fils Mobutu et la famille Habyarimana (Rwanda).

À ce titre, il y a bien une continuité entre la politique gaullienne et celle de Mitterrand : soutien aux régimes en place, affairisme et corruption… et cela pour maintenir la France dans le concert des grandes nations, pour lui permettre de siéger au conseil de sécurité et pour garantir des rentes avantageuses à certaines grandes entreprises.

La crise rwandaise sera un coup très dur pour la politique africaine mitterrandienne. La chute du clan Habyarimana, le génocide des Tutsis, la remise en selle de Mobutu, tous ces éléments vont aider à discréditer celle-ci. L’opération Turquoise sera prise pour ce qu’elle était : une tentative de sauver ce qui pouvait l’être encore (les barons de l’ancien régime donc les génocideurs) sous couvert d’une intervention humaine.

Chirac au nom du père

Lors de la première cohabitation, Jacques Chirac avait donné le ton : il n’y avait aucune divergence de vue entre Mitterrand et lui concernant les liens entre l’Afrique et la France. Et il l’a prouvé.

Le terrain se prête aisément à l’emphase et Chirac, en bon politicien n’en manque pas : « La mission de la France, qui peut être fière de l’œuvre qu’elle a naguère accomplie outre-mer, est de plaider inlassablement la cause des pays les plus démunis auprès de ses partenaires occidentaux » déclare-t-il ainsi en 1988 ; mais sur le terrain, les bémols sont bien connus : d’un côté, on critique le multipartisme et les risques de troubles ethniques qu’il peut engendrer (ce qui rassure les dictateurs qui sont passés maîtres dans l’art de jouer avec la revendication ethnique) ; de l’autre on s’acoquine avec le vieux Foccart et ses réseaux.

Le système Foccart est du reste fort simple : pour maintenir l’influence française en Afrique, il suffit de se constituer une clientèle d’amis fidèles (africains, français, libanais…), donc de les « nourrir »… et cela est possible grâce au détournement de l’aide publique au développement. Avec les années, on assisté à un développement massif de pratiques mafieuses couvertes par l’État français, notamment l’implication directe de certains chefs d’État dans le trafic de drogue ou de pierres précieuses. Mais bien sûr, tout le monde se tût : on ne mord pas la main de ceux qui, les élections venant, sont capables d’apporter leur contribution sonnante et trébuchante au maintien du statu quo.

Et Jospin dans tout ça ?

Lionel Jospin vient d’hériter d’une situation bien difficile. Dans son discours d’investiture, il a, comme de coutume, confié sa volonté de modifier la politique africaine de la France. Certains éléments plaident pour lui : lors du congrès de Liévin par exemple, il avait condamné « la politique du secret, les multiples interventions discrètes, l’indulgence trop longtemps maintenue à l’égard d’excès internes de toute sorte, les liens personnels entre chefs d’État soi-disant » à l’africaine « prévalent sur les relations diplomatiques en usage avec les autres pays, [et les] politiques d’aide au développement inadaptées ». La tirade est jolie mais la marge de manœuvre du premier ministre sur un domaine réservé au président de la république est plus que serrée, et, au sein du Parti socialiste, les barons mitterrandiens du régime (Lang, Fabius, Emmanuelli) ne lui permettront pas un « droit d’inventaire » sur ce terrain-là. Il est vrai que le bilan du mitterrandisme est suffisamment lourd comme cela…

Ainsi va la politique africaine de la France : les hommes d’État passent, la politique des réseaux (Foccart, Pasqua, Papamadit) continue ; les partis politiques y trouvent les devises nécessaires à leur campagnes électorales ; leurs « amis » (Elf, Bouygues et tant d’autres…) y font des affaires juteuses ; la France peut compter sur ses partenaires africains à l’ONU ; et les africains continuent de végéter dans la misère, de supporter les bastonnades. Mais un verrou fondamental a sauté : l’image d’une France terre d’asile (car n’oublions pas qu’en même temps qu’elle soutenait les dictateurs, la France accordait le droit d’asile à certains opposants !) et soucieuse de la démocratie a du plomb dans l’aile ; certaines manifestations populaires contre les pouvoirs en place (à Bangui notamment) n’hésitent plus à s’en prendre à la diplomatie française et à fustiger son soutien à des pouvoirs délégitimés. À nous, ici, d’appuyer ces manifestations « antifrançaises » (dixit la presse) et de dévoiler, encore et encore, le véritable visage de la diplomatie française.

Patsy
cercle Bakounine