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Institut de Locarn

le retour
Le jeudi 19 décembre 2002.

« Leur but s’apparente à la constitution d’une fédération européenne de régions ethniques, c’est-à-dire le retour aux temps des féodalités. »



Les lecteurs et lectrices du Monde libertaire se rappellent sans doute que l’Union régionale Bretagne de la Fédération anarchiste avait mené l’an passé une campagne contre le cercle patronal Institut de Locarn. Celle-ci s’était déroulée au moment du sommet de l’OMC au Qatar, partant du principe que la mondialisation capitaliste ne s’organise pas seulement dans les rencontres des maîtres du monde, mais qu’elle émerge tout autant au sein de réseaux locaux.

Dans le Morbihan était né le collectif Dénoncer l’Institut de Locarn, Davos breton, composé d’organisations diverses (Attac, FA, Confédération paysanne, Libre-pensée, CNT, etc.). Nous avons depuis mis en place un dispositif de veille pour récolter toute information à même de nous mobiliser le cas échéant.

Le cas échut donc lors de l’adhésion de la ville de Vannes à l’Institut de Locarn lors du conseil municipal du 4 novembre dernier, malgré notre rassemblement face à la Mairie avec diffusion de tracts rappelant l’aspect réactionnaire et l’idéologie ultralibérale de cet institut. Le maire de Vannes, F. Goulard (Démocratie libérale), qui prend du grade au sein de l’UMP, s’était déjà illustré en septembre par une proposition de loi visant à permettre aux collectivités locales de financer les écoles privées à hauteur de 50 % s’il n’existe pas d’école publique dans le secteur. Face au tollé, cette attaque anti-laïque a fait long feu, mais elle présente néanmoins l’engagement de M. le député-maire…

Si on joue les naïfs et naïves, on ne peut que s’étonner que ce partisan de l’allègement de la « charge fiscale » subventionne pour 17’800 euros (15’500 pour l’adhésion, 2’300 euros pour la cotisation annuelle) un organisme composé de la fine fleur du patronat breton qui a ouvert en avril 2001 une « école de guerre économique ». Ainsi, nous apprend Ouest-France du 8 octobre 2002, l’Institut de Locarn veut « former des dirigeants à l’intelligence économique », « le premier stage, qui coûte 2500 euros sur trois jours (les 26, 27 et 28 novembre), doit initier les patrons à la recherche d’informations, à la sécurité informatique, à la protection des savoir-faire, au lobbying et même, à la désinformation, etc. ».

Ce que dit la majorité au conseil municipal : « L’Institut de Locarn s’adresse aux chefs d’entreprises, aux acteurs économiques et politiques de la Bretagne auxquels il propose de partager son ambition d’un modèle de développement fondé non seulement sur l’économique, mais intégrant aussi les réalités culturelles. »

Ce qui ne vous sera pas dit :
 Le conseil d’administration de l’Institut de Locarn est composé largement par le patronat de l’agroalimentaire (Glon, Hénaff, etc.). Peut-on faire confiance au modèle de développement prôné par ces industriels ? Interrogeons-nous sur la qualité de l’eau et de l’air en Bretagne et sur les conditions de travail dans ces entreprises. Ouest-France du 8 novembre 2002 nous révèle : « En Bretagne, un accident du travail sur quatre a lieu en agroalimentaire. Avec 2’472 cas, les troubles musculo-squelettiques (maladie professionnelle) ont progressé de 24 % » selon une enquête auprès de 84 entreprises de plus de 50 salariés. « Les relations sociales sont mauvaises ou inexistantes dans 47 % des entreprises. »
 Si la concentration de l’agroalimentaire crée bon an mal an, de 5’000 à 10’000 emplois salariés dans l’industrie (souvent des emplois peu qualifiés et sans intérêt), elle élimine chaque année 30’000 petits paysans. L’impact sur l’aménagement du territoire est édifiant.
 Ces industriels sont les premiers à licencier ou à réclamer des subventions dès que ça tourne mal. Ainsi Glon, président de l’Institut de Locarn, deuxième fortune de Bretagne, dont le groupe Glon-Sanders est numéro un de l’alimentation animale en France, licencie 180 personnes à l’abattoir de volailles de Keranna à Guiscriff et touche 700’000 euros du conseil général, autant du conseil régional et 1,3 millions d’euros de l’État pour moderniser le site. Pas mal, pour quelqu’un qui vilipende les assistés ! N’est-ce pas une démonstration de la soumission du politique à l’économique : voter devient alors sans objet vu que c’est le travail en lobbying qui est à l’origine de toutes décisions. La démocratie n’est plus qu’un mot.
 Sous couvert d’intégrer les réalités culturelles, l’Institut de Locarn cherche à développer un sentiment identitaire en Bretagne pour mieux imposer ses idées. L’Institut de Locarn milite pour une Europe des régions à fortes identités dans laquelle la Bretagne serait un fer de lance, « un tigre européen » dans une Europe fédérale.

Et, il ne faut pas se leurrer, sous le masque de la démocratie de proximité, de la prise en compte des réalités locales, la décentralisation-régionalisation du gouvernement Raffarin risque bien d’aboutir aux souhaits de cet Institut :
 Éducation régionale : c’est-à-dire des diplômes à valeur régionale et un mécénat d’entreprises dans les universités qui oriente et permet de trier les « bons étudiants et bonnes étudiantes ». L’Institut pénètre déjà le milieu universitaire : le président du conseil d’administration de l’IUT de Vannes, Serge Capitaine, du groupe TFE, est membre de l’Institut. De même, Alain Glon a parrainé la remise de diplômes de la maîtrise de sciences de gestion de l’IUT de Vannes.
 Code du travail régional avec conventions collectives régionales ou, pire, juste accords d’entreprises. C’est la casse de la protection des salariés, pourtant bien maigre. Les relations patrons/salariés seront soumises au rapport de force local.Vu le faible degré d’organisation des salariés et salariées, c’est la
porte ouverte à l’arbitraire patronal, le contrat de travail risquant de se résumer à : « Accepte, tais-toi ou… dégage ! »
 Sécurité sociale régionale, c’est-à-dire inégalité de couverture sociale selon que l’on habite Vannes ou Toulouse, par exemple.
 Fonds de pension régional.
 Remise en cause de la laïcité. À la création de l’Institut de Locarn en 1994, les liens avec l’Opus Dei étaient particulièrement évidents : l’inauguration a eu lieu en présence du député européen Otto de Habsbourg, un « officiel » de cette secte catholique.

Leur but s’apparente alors à la constitution d’une fédération européenne de régions ethniques, c’est-à-dire le retour aux temps des féodalités. Dans Ouest-France du 3 octobre 2001, Yves Rocher, dont le groupe est aussi représenté à l’Institut, entre autres avec Guy Plunier, fondateur de Catholiques pour les libertés économiques, présente son combat : « créer des emplois sur NOS terres, en Bretagne ». Mon seigneur est trop bon !

Les membres de l’Institut de Locarn recherchent les élites qui pourront leur rapporter mais n’ont pas de considération pour la ou le pékin. Le vecteur culturel est le prétexte pour souder toute la population derrière leurs intérêts, une sorte de nationalisme pour la guerre économique, comme si les classes sociales n’existaient plus.

Ces gens-là, quoiqu’ils s’en défendent, sont des militant(e)s politiques avec pour idéologie l’ultralibéralisme, le consensus identitaire à la sauce catholique réactionnaire. Élitistes, donc opposé(e)s à l’égalité, ils cachent leur « racisme » derrière des termes élégants mais pourtant bien puants… L’instigateur
originel de l’Institut de Locarn, le professeur en HEC (haute école de commerce) et ex-consultant pour la DGSE (services secrets), Joseph Le Bihan, évoqua ainsi dans une conférence en 1992 « les peuples à culture énergique et les peuples à culture molle ».

Face à cet assaut, le collectif continue à informer la population et prépare une demande d’annulation de l’adhésion de la ville de Vannes auprès du préfet, avant d’entamer une procédure auprès du tribunal administratif.

Pour notre part, anarchistes, nous ne mettons pas en avant la République une, indivisible et laïque comme rempart aux dangereuses extravagances de ces réseaux patronaux et de leurs relais politiques. Opposé(e)s aux frontières et au nationalisme, nous restons de fervents partisans et ferventes partisanes du fédéralisme (liberté), c’est-à-dire l’autonomie d’un groupe humain dans son organisation interne et sa libre association par contrat mutuel avec d’autres groupes, mais nous ne séparons pas le fédéralisme du socialisme (égalité), c’est-à-dire la propriété collective des moyens de production et d’échange dont la règle sera de chacun(e) selon ses moyens à chacun(e) selon ses besoins, en prenant en compte les impacts sociaux et écologiques de toute décision. Il est évident qu’il sera laissé entière liberté aux individus qui ne souhaitent pas du travail associé et autogéré, pour leur permettre de s’organiser en autonomie maximum, à condition qu’ils et qu’elles n’exploitent pas le travail d’autrui. Dès la constitution du mouvement anarchiste, Bakounine constatait que la liberté (le fédéralisme) sans l’égalité, c’était l’exploitation des hommes et des femmes par une minorité et l’égalité (le socialisme) sans la liberté, c’était l’esclavage. C’est pourquoi notre principal objectif est de construire le mouvement et les expériences qui réussissent à lier les deux, et d’empêcher tout projet qui viserait à entraver notre émancipation. Minuscules moustiques face au puissant Institut de Locarn, nous entendons bien lui faire des boutons que nous souhaitons particulièrement irritants… L’idéal étant d’atteindre une allergie généralisée et mortelle !

Stéphane, groupe de Lorient