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Arte

une oasis dans le PAF
Le jeudi 13 mars 1997.

Le projet de loi sur l’audiovisuel, examiné actuellement par le Sénat, prévoit notamment la fusion, à l’été, de La Sept-Arte et de La Cinquième. Le devenir de la chaîne européenne suscite plus d’inquiétudes en France qu’en Allemagne. Car, même dans un univers médiatique plus vivifiant, elle trancherait encore par son originalité et sa haute teneur culturelle, en dépit de la présidence au conseil de surveillance de Bernard-Henri Lévy et de Daniel Toscan du Plantier.

Désireux d’ériger un « vaste pôle du savoir, de l’éducation et de la formation continue », Philippe Douste-Blazy, le ministre de la Culture, escompte de la fusion des deux sociétés une économie cumulée de 142,2 millions de francs. Si, comme il le prétend, « quatre chaînes publiques sont de trop », pourquoi la précédente coalition UDF/RPR avait-elle avalisé le lancement, en date du 13 décembre 1994, de La Cinquième, postérieurement à la naissance d’Arte ? Pour réduire le rayonnement de celle-ci, que certains députés de droite comme Alain Griotteray ou Michel Péricard considéraient d’un œil peu bienveillant ? Ou pour octroyer un poste important au balladurien Jean-Marie Cavada ?

Le 2 octobre 1990, à la veille de la réunification allemande, la France et les onze Länder de la RFA signèrent un « traité interétatique » jetant les bases de la chaîne culturelle européenne. L’association relative à la télévision européenne, formée à parité par La Sept, Société d’édition de programmes de télévision créée le 27 février 1986, et Arte Deutschland, sise à Baden-Baden, vit le jour en date du 30 avril 1991. Le 30 mai 1992, Arte envoya ses programmes simultanément en France et en Allemagne via satellite et câble, avant d’accéder, le 28 septembre, au cinquième réseau hertzien terrestre hexagonal.

Différence d’audimat

La Sept-Arte, constituée le 27 septembre 1993, comporte quatre actionnaires : France 3 (45 %), l’État (25 %), Radio France (15 ?%) et l’Institut national de l’audiovisuel (15 %). L’ARD (Groupement des entreprises de radio-diffusion publiques d’Allemagne, dénomination de la première chaîne), qui fédère onze stations régionales et le ZDF (la seconde), structure centralisée implantée à Mayence, composent, à 50 % chacune, son partenaire. Le siège strasbourgeois emploie 255 salariés, La Sept-Arte 191, Arte Deutschland 53.

11 équipes de l’ARD et 40 collaborateurs du ZDF œuvrent pour Arte. Les productions « maison », qui représentent plus de 75 % du total, proviennent pour moitié de La Sept-Arte et à volume égal d’Arte Deutschland. L’an passé, le budget global s’élevait à 1,782 milliard de francs. En 1997, les chaînes publiques françaises verront leur pactole diminuer de 616,6 millions de francs ; La Sept-Arte devra se contenter de 939 millions de francs, La Cinquième de 730,5 millions de francs.

Le 9 octobre 1996 à Baden-Baden, l’assemblée générale a réélu Jérôme Clément, le dirigeant de La Sept, pour deux ans à la présidence d’Arte. De mai 1981 à juillet 1984, il fut le conseiller technique de Pierre Mauroy à Matignon. Condisciple d’Alain Juppé au lycée Louis le Grand, puis à l’ENA, il a conservé des liens amicaux avec l’actuel Premier ministre. En poste depuis la fondation de l’entreprise, Jérôme Clément aurait déjà dû céder sa place début 1995 à un collègue allemand, conformément au principe de rotation stipulé dans les statuts. Des journaux d’outre-Rhin s’émurent de cette entorse. Au gouvernement français de confirmer que le projet de fusion, annoncé en conseil des ministres le 30 octobre 1996, n’affecte pas l’édifice. Klaus Wenger, le coordinateur de l’entité allemande, espère que la compression de 65,8 millions de francs n’altérera ni l’autonomie éditoriale, ni les programmes. 89 % de la population française peuvent capter ces derniers ; l’audimat moyen oscille entre 3 et 3,5 %. Chez nos voisins, 21,5 millions de foyers (66 % des 81,7 millions d’habitants) abonnés au câble et équipés pour accéder au satellite Astra 1D sont en mesure d’en profiter ; seulement 0,6 % de téléspectateurs s’y intéressent régulièrement. Cette différence s’explique assez aisément. À l’heure où France 2 s’aligne à maints égards sur TF1, Arte continue d’offrir un havre de qualité. En Allemagne, les citoyens exigeants disposent, avec l’ARD, le ZDF, 3 Sat et les chaînes régionales de palettes généralement fort remarquables. De nombreuses émissions d’Arte sont passées précédemment ou figureront dans la grille du secteur public. Les magazines (« Monitor », « Report », « Panorama », « Weltspiegel »… sur la première, « Frontal », « Kennzeichen D », « ML Mona Lisa », le journal des femmes, « Auslandsjournal », journal de politique étrangère… [1] sur la seconde) proposent régulièrement des sujets gênants pour le pouvoir, les institutions, des régimes dictatoriaux « amis » de même que pour des firmes. Ils n’ont évidemment aussi peu que les quotidiens Frankfurter Rundschau, Die Tageszeitung, Die Süddeutsche Zeitung, Die Badische Zeitung… et les hebdomadaires Der Spiegel ou Die Woche leur équivalent en France…

Objectivité, indépendance, esprit critique vis-à-vis de l’exécutif et des partis comme des lobbies économiques, volonté investigatrice caractérisent la plupart des « modérateurs », rédacteurs et reporters, là où dans le PAF nous déplorons avec Thierry Meyssan un écœurant « journalisme carpette » [2]. Pourtant, le néophyte curieux de découvrir le paysage audiovisuel germanique n’a rien vu ou entendu de ce genre dans Telle est ta télé [3], les 24 et 26 août 1996 sur La Cinquième.

Après un tableau synoptique du panel cathodique, cette ahurissante conclusion : « De la concurrence résulte l’uniformité… Et vive le consensus mou… Comme en France, difficile de savoir si l’on est sur le public ou sur le privé… Abondance de chaînes, mais pénurie de choix… comme quoi l’Allemagne, ça ressemble à la France… » Superficialité ou désinformation délibérée ?

Options des maîtres

Dans les bâtiments de la rue de la Fonderie à Strasbourg, on peaufine les informations, le « 7 1/2 » et le « 8 1/2 », huit des 156 soirées thématiques y sont conçues. Les six heures de la saga Les Alsaciens ou les deux Mathilde de Michel Favart, en octobre (coût : 50 millions de francs) manquèrent singulièrement de souffle et n’esquivèrent pas plus certains clichés que la soirée Thema du 21 novembre,« Je t’aime… moi non plus », censée déboulonner ceux qui parasitent la compréhension entre Allemands et Français : des golden boys en séminaire dans un hôtel à proximité de la forêt de Melun ou les publicitaires d’Euro-RSCG sont-ils vraiment emblématiques de la « synergie franco-allemande » ? La soirée du 7 janvier 1997 autour de l’existentielle question « le plaisir, un don de Dieu ? » creusa bien davantage les méninges qu’elle ne porta les neurones à ébullition. « … Le pape avait-il mis son veto ? Avec prière d’agencer le tout de manière dissuasive ! Des radotages qui n’eurent ni de près ni de loin à voir avec l’érotisme, du moins si l’on se réfère à l’évolution de ces trente dernières années… » [4].

Après une éclipse, l’inane Daniel Leconte sévit aux commandes d’une émission dont on lui renverrait avec jubilation le titre à la figure : De quoi j’me mêle ! En charge des Mercredis de l’Histoire, le suffisant Alexandre Adler ne dissimule ni ses partis pris idéologiques, ni… les approximations patentes de son savoir : contre la véracité des faits et le contenu du moyen-métrage sur Istanbul tourné par Susanne Müller-Hanpft et Martin Bosboom, il vendit, le 31 janvier 1996, la Turquie comme une « démocratie moderne » (!).

Alexandre Adler appartient au staff directionnel du Point et du Courrier international, à l’instar de Framatome une branche d’Alcatel. Son antienne sur la sécurité des centrales nucléaires occidentales dans le « 7 1/2 » du 14 janvier 1997 répercuta logiquement les options de ses maîtres…

D’aucuns ne manquent pas d’ironiser : Dominique Bromberger, « débauché » de TF1 pour le « 7 1/2 », pratique aussi peu la langue germanique qu’Alain Maneval, le premier directeur des programmes imposé par Jack Lang [5]. Après avoir confectionné l’habillage de TF1, l’agence de design britannique Lambylearn Robinson, qui n’existe plus, avait conçu le logo et le look d’Arte en vigueur au 1er janvier 1995. Que les téléfilms allemands passent doublés plutôt que dans la version originale sous-titrée irrite certains puristes… Dans la multiplicité des sujets exaltants et des œuvres d’une exceptionnelle facture, chacun(e) déclinera ses préférences.

Espérons que les futures dispositions et la tendance générale du nivellement progressif vers le bas ne faisanderont pas les émissions de la chaîne « à vocation européenne », dont les « intérêts ne doivent pas être subordonnés à ceux, de nature différente, de La Cinquième » (Dieter Stolte, intendant du ZDF et président de l’Assemblée des sociétaires germaniques).

René Hamm


[1L’« Auslandsjournal », tout comme le « Weltspiegel » ou encore « Tele-Globus » (sur le Südwest Drei) mettent également en relief la vacuité du Monde diplomatique, dont le calamiteux dossier sur la guerre d’Espagne (édition de février 1996) n’est qu’un exemple parmi les plus prégnants.

[2Dans le défunt hebdomadaire Maintenant du 24 janvier 1996

[3Série fabriquée par CB News TV de Christian Blachas

[4Gitta Düperthal dans la Frankfurter Rundschau du 9 janvier 1997

[5Le maire de Blois et eurodéputé remplace désormais le très réputé Giorgio Strehler à la tête du Piccolo Teatro à Milan