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Où vas-tu petit Gayssot ?

Le jeudi 19 juin 1997.

En nommant le « camarade » Gayssot à la tête du ministère des transports, Jospin a certes répondu favorablement à la demande du PC d’être au gouvernement mais a surtout fixé le rôle qu’il entend voir jouer aux communistes dans la période actuelle (quoiqu’en disent les « camarades »). À ce propos, la « fuite » organisée par la place du Colonel-Fabien vers la presse, pour annoncer quelles seraient les attributions des camarades à quelques heures de la sortie officielle sur le perron élyséen, n’y changera rien. Seuls les militants du parti ont pu croire que cette fois il s’agissait de dicter sa loi aux « social-traîtres » du PS, selon la ritournelle.

Cette place réservée par le PS se résume à celle du pompier de la lutte des classes au vu des secteurs dont le camarade ministre a la charge.

Privatiser la SNCF…

Pour ce cheminot, fils d’ouvrier agricole, qui a su gravir toutes les strates du parti (il fut secrétaire de la CGT en Lozère puis dans le Gard avant d’œuvrer à la direction du PC où il sut, là aussi, virer au gré des méandres de son histoire récente), c’est la réussite puisqu’il se retrouve de fait le patron de sa boîte. L’Humanité ne s’y est d’ailleurs pas trompé en saluant cette promotion comme il se doit et conformément au déroulement de carrière d’un apparatchik. Les plus belles heures de la grande URSS ne sont pas si loin.

Au-delà de cette anecdote qui n’est pas plus amorale que de voir un rejeton de la bourgeoisie prendre la place « à papa », il est par contre intéressant de voir dans quel contexte cette nomination intervient.

La SNCF est en situation de déficit. Ce qui, pour un service public, y compris dans un cadre libéral, n’est pas à priori un handicap dans la mesure où l’État est autorisé à boucher les trous. Or c’est là que la première difficulté apparaît avec la conjugaison des deux principes fixés par l’Union européenne qui consiste à réduire les déficits publics pour répondre aux critères de l’union monétaire et à imposer la libre concurrence sur toute la partie opérateur du service public. Ce sont ces raisons qui ont poussé le gouvernement précédent à opérer une première distinction entre l’opérateur et le régulateur en créant R.F.N. (Réseau ferré national), qui aura à gérer le réseau pour le mettre à la disposition de la SNCF, l’opérateur. Rappelons-nous à l’occasion que la puissante fédération CGT des cheminots, après quelques tergiversations, s’y était opposée.

Or demain, si le traité de Maastricht est maintenu, et si personne au gouvernement, le PC et le parti de Chevènement compris, ne fait un préalable de son abrogation pour mener son action, il est évident que la démarche de privatisation se renforcera et aboutira à la remise en cause du statut de l’entreprise. Donc de celui des cheminots. C’est la même logique qui s’applique aux Télécom, d’où l’importance de mener le combat pour préserver le statut du service public.

Quelle sera l’attitude du camarade Gayssot lorsqu’il débattra au Comité central du parti avec le secrétaire de la fédération CGT qui en est membre lui aussi ? Les cheminots risquent fort de faire les frais de ces conciliabules s’il en va de l’intérêt du parti.

Liquider Air France

Comme à la SNCF, l’avenir de la compagnie aérienne nationale se pose dans l’Union européenne. Il faut combler le déficit qu’à la condition expresse que le capital soit ouvert au privé. Le très rocardien PDG de la société, Christian Blanc, s’y était engagé auprès de Juppé et de la Commission européenne. Depuis la nomination du camarade Gayssot, il s’emploie à rendre cette solution présentable par le ministre. Son emploi du temps de ces derniers jours s’est résumé à trouver la formule pour ne pas faire apparaître le terme de privatisation tout en garantissant sa réussite.

Dans le domaine, la British Airwais, compagnie nationale britannique, est connue depuis sa privatisation par les travailleurs du monde entier comme étant celle où la déréglementation et la flexibilité battent leur plein, avec leurs conséquences en matière de sécurité. Précisons à l’occasion que libéralisation dans le secteur rime toujours avec augmentation du risque de crash. Le transport aérien aux États-Unis le démontre régulièrement.

Le camarade Gayssot fera certainement aussi bien que son illustre prédécesseur, le ministre communiste Charles Fiterman, qui fut le premier à autoriser une compagnie aérienne privée. Est-ce parce qu’au temps de l’élaboration de la théorie léniniste sur la prise du pouvoir, avec l’importance qu’elle attribuait au contrôle des transports, l’aviation civile n’existait pas, que les camarades ne se sentent pas contraints de la préserver du capital ? Le PC nous a habitués à d’autres faiblesses dogmatiques de cette nature.

Quid de la retraite à 55 ans pour les routiers salariés ?

S’il y a un conflit qui a émergé durant ces derniers mois et qui a revêtu un caractère d’exemplarité tant par la nature de ses revendications que par son recours systématique à l’action directe, c’est celui des salariés de la route. Or la revendication posée (la retraite à cinquante-cinq ans à taux plein) ne peut être satisfaite immédiatement par le système économique et pose en soit les termes d’une rupture, d’autant qu’elle paraît légitime pour tous les salariés. Sa présence dans la majorité des cahiers de revendications l’atteste. Le camarade ministre aura donc la lourde tâche d’expliquer aux masses laborieuses qu’il est urgent d’attendre, et que toute action mettrait en péril la réussite du gouvernement des travailleurs. Soyons sûrs qu’en cas de barrages routiers conséquents, le membre du parti saurait retrouver l’accent de Maurice Thorez pour déclarer que « la grève est l’arme des trusts ».

Dans d’autres secteurs dont le camarade ministre a aussi la charge, la question sociale risque de ressurgir avec force.

Qu’en sera-t-il sur les docks où le patronat propose 0 % pour les salaires en 1997 afin de préserver, selon lui, leur compétitivité dans le cadre européen ?

La poursuite du transfert des navires français de la marine marchande sous des pavillons « bis » (voir la CGM) permettant d’abaisser les normes du travail, va-t-elle continuer avec son contingent de licenciements de marins à la clef ?

Le camarade ministre permettra-t-il que se perpétue la délocalisation des emplois des marins de la CFNR, compagnie fluviale nationale où l’État est majoritaire, au Luxembourg ?

Organiser les travailleurs de manière indépendante

En acceptant le ministère des transports, le PC savait quelles seraient ses obligations. S’il a accepté de passer sous les fourches caudines du PS, c’est qu’il place tous ses espoirs à court terme sur la simple préservation de son appareil. Il n’a pas les moyens d’autres ambitions.

Pour les militants anarchistes présents dans les transports, la tâche principale va donc être d’organiser les travailleurs de manière indépendante face aux oukases d’un PC investi dans une stratégie de gouvernement. La priorité va être aussi de ne pas perdre l’acquis récent des luttes menées depuis novembre-décembre 1995 qui avaient débordé en partie la CGT.

Le ministère des transports a acquis la renommée d’être le ministère des grèves. Le contexte économique et social n’a pas été modifié par les élections. Ce n’est pas la récente prise de position du ministre Strauss-Khan, qui s’est attaché à la forme et non à l’essence du pacte de stabilité budgétaire, qui peut créer des illusions dans le domaine. Il est de notre responsabilité de ne pas laisser le camarade ministre remplir son office de pompier.

Si face à la résurgence des conflits, le PC était une nouvelle fois contraint de claquer la porte d’un gouvernement pour tenter de préserver ses bastions, comme en 1947, suite à la grève des ouvriers de Renault conduite, entre autres, par Maurice Joyeux, ce serait l’occasion de renforcer la présence des idées libertaires dans le monde du travail.

Dans tous les cas, la période est propice pour combattre le miroir aux alouettes de la solution réformiste, ne pas le faire conduirait inéluctablement les travailleurs à se tourner vers une fausse alternative à leur misère représentée par le Front national. Le risque existe, les structures FN dans les transports sont présentes (RATP, route, SNCF, dockers, etc.). C’est par la démonstration de notre capacité à agir, à conforter et à développer les acquis que nous les combattrons réellement et briserons leur capacité à nuire.

Pour renforcer l’expression des anarchistes dans le secteur des transports, les militants et les sympathisants libertaires sont invités à se faire connaître auprès de la librairie du Monde libertaire (145, rue Amelot, 75011 Paris) sous l’intitulé « Voies libres ».

Voies libres