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Cinéma

« Western »

de Manuel Poirier
Le jeudi 11 septembre 1997.

« Un film sur l’amitié entre deux étrangers », dit Manuel Poirier. Un petit, Nino, Sacha Bourdo, et un plus grand, Paco, Sergi Lopez. Tourné en Cinémascope, « car les personnages humbles méritent bien le cinémascope », le format des grands. Les grands espaces, c’est le Finistère, le port du Guilvinec, où Manuel Poirier s’était promis de tourner un jour. Les deux hommes font la route et perdent le Nord. Nino trouve, parce que son fond de commerce, c’est le cœur. Et Paco perd. Il perd dans la première scène fulgurante en quelques virages, son boulot, son commerce, des pantoufles, son statut de représentant… Dans Western, les vivants ne portent pas de costard. Ils disent « Bonjour, la France » et obtiennent de drôles de réponses. Ils font des enquêtes pour trouver une femme au copain. Ils ont le cœur sur la main. Des colères au bout des poings. Ils les utilisent pour savoir mieux caresser. Pas toujours. Les galères arrivent et ils prennent des coups. Mais les espaces consolent, apaisent et les gens sont là, avec leurs fadaises. Manuel Poirier a construit, à partir de La Petite amie d’Antonio une œuvre à part. Dans ses films, nous sommes loin de Paris, loin des murs.

Son plus beau film jusqu’à ce que Western ne le dépasse était … à la campagne où dans un casting remarqué on rencontre son âne, son chien et un petit coin de sa campagne à lui. Un parcours original qui révèle les qualités de l’homme Poirier. « Je cherchais pour mon premier film un jeune espagnol. De cette rencontre et de cette envie de jouer ensemble, on est devenu amis. Alors je lui ai dit : si je fais d’autres films, tu joueras dans tous les autres. S’il n’y a pas un vrai rôle pour toi, tu y seras quand même. Un clin d’œil à ceux qui l’ont aimé dans La Petite Amie d’Antonio. C’est une idée qui me plaît bien. Une continuité, comme l’amitié. ». Pour Sergi Lopez, Western est une consécration ; pour Sacha Bourdo, un premier rôle.

Ainsi, Manuel Poirier ne distribue pas les premiers rôles, mais donne leur premier rôle à des comédiens débutants. Marie Martheron, par exemple, la femme aux enfants dans Western, a débuté dans son court métrage La Lettre à Dédé. Hélène Forbert revient dans ses films depuis La Petite Amie d’Antonio. Ainsi, sa famille d’acteurs ne se constitue pas tellement à partir des critères convenus de professionnel et non professionnel, mais de rencontres. Comme le dit Manuel Poirier : « Il faut que j’aie un intérêt vis-à-vis des personnes, que le comédien soit connu ou joue bien, ça ne m’intéresse pas en soi. Tout le talent du comédien sera justement d’arriver comme un plus du quelque chose qui existe ou qui va exister. La base de mon cinéma est ailleurs. L’histoire doit avoir une force ailleurs. Un film, c’est l’évolution du rapport à quelqu’un, avec des situations, des émotions que j’ai envie de raconter. ». Le film ouvre des perspectives qui dépassent le cadre étroit de la famille nucléaire, l’égoïsme petit-bourgeois. Il fête les filles et les femmes qui accueillent, remplace la soupe populaire catho par l’assiette et le lit partagés. C’est candide, c’est simple. « J’ai besoin d’ouvrir des portes, d’aller voir ailleurs. Je reste attaché à cette idée. Au lieu de m’enfermer dans un schéma, je teste à chaque fois ma liberté. ». Le libertaire Manuel Poirier est allé à Cannes avec son film en compétition. On l’a vu sur les photos, encadré de ses deux acteurs, sourire aux caméras.

À la question qu’on s’étonne de le voir arborer la tenue obligatoire, il s’esclaffe : « question rigolote, je pense que cela n’a aucun intérêt de me distinguer d’un point de vue vestimentaire. J’ai pris un smoking dans lequel je me suis senti à peu près bien et en fait, avec l’émotion, j’ai oublié le costume que j’avais sur moi. C’est le film qui est à Cannes, ce n’est pas moi. Donc ce sont des frontières qui ont été passées. Et c’est la seule chose qui compte. ».

L’entretien dont les passages sont insérés a été réalisé à La Rochelle, en juillet, où étaient présentés avec succès tous les films de Manuel Poirier.

Heike Hurst
émission Fondu au noir (Radio libertaire)