Le Pérou est situé au cœur de l’Amérique latine entre la Bolivie, l’Équateur et le Brésil. Ayant vécu 20 ans de guerre civile (entre le sentier lumineux, guérilla maoïste qui agissait dans la région d’Ayacucho, et l’armée), en crise sociale et politique (émeutes étudiantes le mois dernier), pauvre, le revenu moyen par habitant est de 300 à 350 sols, soit à peu près 100 dollars.
Dans ce contexte, la population infantile est particulièrement touchée. Plus de 25 % des enfants travaillent officiellement. Le gouvernement même reconnaît la non-fiabilité de ces chiffres. Cette situation est pire dans la Sierra (région du centre Pérou qui comprend entre autres la ville d’Ayacucho) où 40 % des enfants travaillent officiellement. Et combien en réalité ? Nous voyions tous les jours des dizaines d’enfants travailleurs.
Les enfants font différentes tâches. Par exemple, ils peuvent être « porteurs » dans les marchés : transporter en chariot des sacs de marchandises pouvant monter jusqu’à deux cents kilos, cireurs de chaussures, vendre des bonbons, du papier toilette, des fruits dans les rues ou laver les tombes dans le cimetière… Il existe aussi une autre forme de travail, celui des enfants à la maison, appelé « travail domestique ».
La plupart de ces jeunes voire très jeunes — certains dès l’âge de cinq ans — travailleurs sont néanmoins scolarisés (écoles et lycées) durant leurs heures de repos, de jour comme de nuit, selon leurs métiers.
Il va sans dire que ce travail se fait dans des conditions d’exploitation à faire pâlir de jalousie Ernest-Antoine Seillères, les enfants gagnant de manière générale moins de dix sols pour une journée. Combien de fois nous est-il arrivé de croiser un de ces jeunes vendeurs à onze heures du soir, traînant dans les rues, nous expliquant qu’il ne pouvait rentrer faute d’argent, ou encore un autre, boulanger, travaillant toute la nuit pour sept sols.
Législation et droit du travail
Le travail des enfants au Pérou est régi entre autres par « le code des enfants et adolescents » et plus particulièrement par l’article 22 de ce dit code. Il autorise le travail des enfants entre 6 à 17 ans (majorité à 18 ans, N.D.L.R.) « à condition que celui-ci ne nuise pas au développement physique, moral et à l’éducation de l’enfant », suit les modalités d’autorisation du travail chez les mineurs ainsi que le droit à l’enfant de « s’organiser en tant qu’association d’enfants travailleurs ».
Or, sous pression de l’organisation internationale des travailleurs (OIT, sous l’égide des Nations-Unies), le Pérou veut supprimer cet article afin d’interdire le travail des enfants. Il a déjà fait promulguer la « loi de la mendicité » stipulant que tout enfant entre 5 et 14 ans exerçant une activité ne serait plus considéré comme un travailleur mais comme un mendiant. Il cherche donc aussi à modifier l’article 22 pour que celui-ci ne comporte plus le droit à travailler pour les enfants.
Il va de soi que parmi toutes les exploitations, celle de l’enfant est de loin la plus atroce, et que son interdiction serait théoriquement une bonne chose.
Mais les préoccupations de l’OIT sont loin, très loin de la réalité péruvienne. Les enfants ont besoin de travailler pour leur survie et celle de leurs familles dont ils sont parfois le seul revenu. Le gouvernement n’a prévu aucune substitution. À croire que ces charmants hommes, soucieux de s’attirer les bonnes grâces de l’OIT, ont cru que pour supprimer le travail des enfants, il suffisait que ce ne soit plus écrit dans les textes de lois… Les enfants continueront à travailler, pire que cela, ils le feront dans des conditions bien plus précaires (si c’est encore possible), puisque leur travail deviendra illégal et qu’ils n’auront plus aucuns droits sociaux.
Face à cela, quelles ripostes ?
Aidés par plusieurs organisations (dont Wawakunamantaq et toute l’équipe de la CASADENI pour Ayacucho) les enfants ont créé une organisation de « Ninos y adolescentes trabajadores » (NAT’s).
Entièrement composée d’enfants, elle vient de lancer une campagne contre la modification de l’article 22 et la loi de la mendicité. Elle se charge aussi de défendre les enfants contre leurs exploiteurs et de réclamer des conditions de travail et de vie plus dignes. En pleine formation et expansion, elle a fait une apparition publique en manifestant à Ayacucho pour le Premier Mai et a lancé un appel national à signature pour tenter d’influer dans le débat sur le travail. Curieusement le gouvernement a débattu sur ces deux lois, sans même demander l’avis des enfants, pourtant les premiers concernés, n’étant pas considérés comme interlocuteurs valables. Elle organise régulièrement des rencontres de NAT’s pour informer les enfants de leurs droits, sur la campagne en cours et pour les organiser.
Quelles perspectives ?
Bien que cette organisation des NAT’s existe, elle reste encore minoritaire, car il est extrêmement difficile de mobiliser et d’intéresser des enfants (plus encore que les adultes). On peut malgré tout souhaiter son développement et sa victoire dans la lutte contre le gouvernement. Ils sont aidés à Ayacucho dans leurs luttes quotidiennes par une équipe d’adultes (professeurs de la CASADENI s’occupant par ailleurs de corriger leurs devoirs, et de jouer avec eux, appuyés de juillet à octobre, depuis cette année, par des volontaires internationaux). Il y a néanmoins peu d’espoir de voir aujourd’hui la disparition ou seulement l’amélioration du travail des enfants, celle-ci nécessitant la disparition de la misère chronique qui règne au Pérou.
Et disparition de la misère n’est-ce pas synonyme de transformation de la société…
Pierre Pawin