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Limoux et ses environs, une tradition de lutte

Le jeudi 25 juin 1998.

Lundi 5 janvier 1998, Limoux, capitale de la blanquette, devient « Limoux la matraque ». En effet, comme cela a pu être relaté par les médias traditionnels, à l’époque où le mouvement les intéressait, les chômeurs et précaires en lutte étaient les premiers de France et de l’année à se faire évacuer à la matraque, des locaux de l’ASSEDIC par les hommes à Chevènement.

L’existence et la pratique du Collectif des chômeurs et précaires limouxins s’inscrit dans une longue tradition libertaire audoise.

Sans trop s’étendre sur les événements du siècle dernier, il faut rappeler qu’en 1871, le drapeau rouge flotta sur l’hôtel de ville de Narbonne. Barricades et insurrections ne furent pas l’exclusivité parisienne. À noter que le porte-parole des insurgés de la « Comuna de Narbona », Émile Digeon, était limouxin. D’autre part, Esperaza, petite ville ouvrière voisine de Limoux, comptait dans ses rangs militants des représentants à la première Internationale aux côtés de Marx et de Bakounine. Le Midi méritait bien son qualificatif de Midi rouge.

1907 confirme la radicalisation du peuple de cette région d’Occitanie. La crise viticole affame les languedociens. Le peuple demande du pain, on lui donne du plomb, l’idée de s’auto-gouverner ne tarde pas à s’amplifier. Mais une fois de plus, l’État eu raison du peuple comme dans le reste de la France.

La guerre 14-18 prélèvera une très grande quantité de chair à canon chez les hommes de la région, loin d’être tous convaincus de la nécessité d’une telle guerre. L’influence du mouvement socialiste dans son ensemble était grande. Ceci expliquant les positions contradictoires des travailleurs face à la guerre. Il faut aussi savoir qu’à la fin du XIXe siècle, des vagues d’immigration successives influencèrent fortement l’évolution de la lutte des classes en Occitanie. Ces réfugiés arrivaient de Catalogne, et étaient membres de la Fédération ouvrière régionale, cible de la répression monarchiste espagnole…

1936, l’Espagne est en révolution. 1939, les réfugiés affluent en grand nombre, parqués sans ménagement, bien au contraire, dans des camps de concentration, de ce côté-ci de la frontière. Une fois sortis de ces camps, les réfugiés restent sous contrôle policier. 1940, ces antifascistes venus d’Espagne, dont un très fort pourcentage d’anarcho-syndicalistes participent au mouvement de libération de l’Europe, rejoignant les rangs de la Résistance. Fin de la guerre, comme dans d’autres départements du sud de la France, des militants de la CNT, du PSOE, de l’UGT et du POUM sont froidement liquidés par les tueurs de l’Union Nationale Espagnole (stalinienne). Tout cela en toute impunité, en territoire français [1]

Cela n’empêche toutefois pas les libertaires de se regrouper dans l’exil, et de créer de nombreuses unions locales de la Confédération Nationale du Travail dans l’Aude.

Années 1960, premières interventions des vignerons radicalisés contre les importations de vin étranger, à Cépie, juste à côté de Limoux, notamment. Dans la même période, un mouvement occitaniste commence à se structurer, de même qu’apparaissent les Comités d’Action Viticole, où l’on retrouve un peu toutes les sensibilités politiques… L’action directe de ses groupes fait trembler l’État français.

Limoux n’échappe pas au « printemps de 1968 », et en mai, la ville s’agite sous la pression de la CGT, notamment de l’EDF ; de la CFDT, qui pour les usines Myrys comptent des représentants libertaires. Pas moins de 3 groupes libertaires sont organisés sur la ville (12 000 habitants). De nombreux journaux anarchistes sont édités et diffusés sur le département. L’influence des libertaires est grande, pour preuve, l’importance du mouvement d’insoumission à l’armée des années 1970 sur Limoux et ses environs. En parallèle, les vignerons continuent de lutter dur.

1976, les viticulteurs affrontent les forces de répression de l’État à Montredon, à côté de Narbonne. Un tué de part et d’autre. Le mouvement de colère des vignerons connaît un fort soutien populaire. Une grande partie de la gauche, l’extrême-gauche, le mouvement occitaniste et les libertaires soutiennent la lutte. Rappelons que dans la première partie du siècle, les vignerons s’étaient groupés en coopératives, sous l’influence du mouvement socialiste de l’époque. Le vocabulaire reste le même, le contenu, non ! Les chômeurs et précaires n’en doutent plus.

Dans les années 1980, un nouveau groupe apparaît, le Groupe communiste-anarchiste occitan qui intervient sur Limoux et ses environs. Proche des positions de l’ex-Fédération anarcho-communiste d’Occitanie, le groupe entretient des relations avec le groupe Poble d’Oc, lui-même libertaire [2]. De même qu’il soutient les premières grandes luttes de Myrys, le groupe [3] pratique l’action directe contre le colonialisme, d’où qu’il vienne. Le groupe disparaîtra avec le reste du mouvement occitan militant. Par contre, une présence de la CNT, mais aussi de la Fédération anarchiste, plus ou moins discrète suivant les époques reste constante. Ceci expliquant certainement la rapidité avec laquelle le Collectif des chômeurs de Limoux s’est rendu efficace. La maladresse du pouvoir et de ses larbins nous y a bien aidé aussi.

Un collectif autonome de précaire

Mi-décembre 1997, une petite poignée de précaires, plus ou moins militants, décide de se réunir et demande le prêt d’une salle à une association subventionnée par le Conseil général de l’Aude (socialiste). Première erreur, chantage aux subventions pour leur interdire de nous laisser la salle. Nous le faisons savoir et nous nous réunissons ailleurs. Une trentaine de personnes pour un début. Des représentants de la CGT, d’AC ! et divers militants et non militants participent à la création du Collectif Action Justice Sociale de Limoux. À la majorité, nous décidons de rester autonomes mais toujours en excellente relation avec les travailleurs limouxins, notamment ceux de la CGT-Myrys toujours en lutte face aux mesures de licenciement massives qui planent sur eux. De nombreuses actions se sont faites en commun avec eux, mais aussi avec la Confédération Paysanne, la CNT, la FSU, SUD. Dans un premier temps, nous intervenons à l’ANPE, à la CAF et dans la rue. Interventions efficaces au cas par cas, puisque nous arrivons à rassembler rapidement 50 personnes, dans une ville qui maintenant compte moins de 10 000 habitants. Des actions de tous les jours sur Limoux et les environs.

5 janvier 1998, deuxième erreur du pouvoir, qui envoie la police pour nous sortir de l’ASSEDIC, police qui, ce jour-là, menace les chiens de garde du Capital que sont les journalistes, tant de France 3 que de la presse locale. Ce qui nous valut les unes de ces mêmes médias. Ce qui nous aida bien pour la promotion de nos idées et de notre fonctionnement. L’orientation du Collectif devint à ce jour majoritairement anticapitaliste et anti-autoritaire. La présence de militants anarchistes ou anarcho-syndicalistes dans nos rangs restait appréciée, tant par leur discrétion que par leur efficacité. Par solidarité face à la répression, de nouveaux groupes de précaires se créent dans la région. Avec le concours des « Myrys », nous obtenons de la mairie un local et une ligne téléphonique indispensables pour plus d’efficacité. De notre côté, nous restons solidaires de la lutte des ouvriers de la chaussure. La CNT aussi. Soutien qu’apprécient les travailleurs, un peu moins les traditionnels anti-organisationnels qui parasitent régulièrement les mouvements anticapitalistes et constructifs. La volonté d’avancer fut déterminante, ce qui nous permit d’apparaître à la manif du 1er Mai aux côtés des copains de la FA, de la CNT et des sympathisants. Nous formions à nous tous un tiers (noir et rouge) de cette manif qui se déroulait à Carcassonne et qui avait retrouvé enfin une atmosphère de combat. Les actions continent tous les jours et le mouvement se fédère plus clairement. Le 7 juin encore, à l’appel des copains de Perpignan, nous déboulions pour lutter contre une tentative d’expulsion. Forte présence cénétiste appréciée par tous, de même que la présence des copains de la FA.

Les média nous boycottent, c’est logique, mais nous sommes toujours plus forts et continuerons de nous battre jusqu’au bout.

Michel
Collectif action justice sociale de Limoux


[11944, les dossiers noirs d’une certaine résistance (Infos et analyses libertaires).

[2Schéma pour une révolution occitane (Poble d’Oc).

[3Myrys, usine occupée (Ateliers du Gué, Terre d’Aude).