La famille est un sujet à la mode, cette année. Les associations familiales montent au créneau pour « défendre LA famille » contre les attaques (pécuniaires) du gouvernement et contre les attaques du lobby homosexuel. Quand LA famille est attaquée, ON la défend. Mais, au fait, c’est qui « on » ?
L’Église catholique au nom de son hégémonisme de droit divin ; les états-majors des autres religions, parce que les clergés ont pour vocation de diriger l’organisation sociale des peuples et des individus ; la droite, par mission conservatrice (preuve s’il en est que libéralisme et liberté ne sont pas synonymes) ; et quelques isolés à gauche par relent utilitariste ou par rationalisme mal pensé.
Quand on demande à Sarkozy pourquoi il est contre le PACS il répond que un enfant, ça doit avoir un père et une mère. C’est bien intéressant, mais la réponse est un peu à côté de la question.
Quoi que !
La famille : une notion de classe
Ainsi, le mot « famille » appellerait chez certains le mot « enfant ». C’est pas idiot. Il y aurait donc les couples d’un coté, et ces couples deviendraient des familles, dès lors qu’ils auraient des enfants à charge. Mais alors, pourquoi se marier.
On pourrait imaginer que la société ne reconnaisse que l’individu et ne s’intéresse à son statut social que lorsqu’il y a des enfants. Or ce n’est pas ca du tout que réclament Sarkozy et les autres. Alors pourquoi traduisent-ils « famille » par « enfant » ?
En fait, la famille est un élément d’une idéologie. Dans cette idéologie, ce qui définit la famille, ça n’est pas les enfants mais les parents. Et voilà notre Sarkozy qui retombe sur ses pieds.
Dans l’Angleterre victorienne, le parlement a débattu de la question des enfants adultérins. Il en était ressorti que l’adultère est un crime, parce que c’est un vol. À chacun vient à l’esprit que c’est le vol d’une femme à son mari par un autre homme. Mais non ; c’est l’enfant adultérin lui-même le voleur. De facto voleur d’un héritage qui n’est pas le sien. Il vole son père et ses frères et sœurs (enfin, surtout ses frères) [1].
On commence à y voir plus clair. La famille, la parentalité, la paternité, c’est une histoire de pognon et de sang. Et quand on parle de sang, on est jamais bien loin de la race.
La préservation de la race, voilà à quoi sert la famille. La race des maîtres, celle des esclaves, chacun à sa place pour des siècles et des siècles, Amen.
Ce qui fait de la famille le véritable pilier de notre société, comme le dit fort justement l’Église catholique, c’est la garantie de la continuité du rang social, de la nationalité (bien sûr), de l’affiliation religieuse (éventuellement) mais surtout de la propriété.
La véritable clef de voûte du système c’est l’héritage puisqu’il est la garantie de l’accumulation des richesses. Il serait mathématiquement impossible que moins de mille personnes les plus riches possèdent à elles seules la moitié de toutes les richesses de la planète si à chaque décès les biens non utilitaires étaient répartis dans le pot commun. Hypothèse purement fantaisiste et utopique du reste puisqu’aucune fortune conséquente ne peut être amassée en une seule vie.
Même les gagneurs de service qu’on nous sort de temps à autres, qui partis de rien sont arrivés à tout, les Tapie, les Bill Gates, ont bien dû s’appuyer sur la fortune de leurs actionnaires pour bâtir leurs empires. On ne fait pas fortune avec une idée si on ne la vend pas à quelqu’un qui a les moyens.
Une arme émotionnelle
Bien sûr, les pauvres se marient aussi, ceux qui n’ont rien, ou si peu, à léguer. La tradition, les conventions, que l’on essaye de faire passer pour « le bon sens », le « sens commun », bref, la nature. Or les conventions, les traditions, ne sont ni universelles, ni naturelles. Elles sont entretenues, fabriquées de toutes pièces en fonctions des besoins du moment et elles sont entretenues et perpétuées par la religion, l’école, l’armée (si besoin est), la loi. Dans le cas de la famille qui est à la foi une institution et une tradition, la perpétuation d’une génération sur l’autre se fait même en interne. Quelle économie !
Faire en sorte que les gens se marient, c’est d’abord les stabiliser socialement. S’ils construisent une famille dans leur chaumière, ils ont alors quelque chose. À perdre (le début de la richesse en quelque sorte). On peut alors mobiliser les citoyens qui craignent qu’on ne vienne jusque dans leurs bras égorger leurs fils et leurs compagnes. Aux armes donc, si ce n’est pour la patrie. notre mère à tous, que ce soit au moins pour protéger le poulailler.
L’arme émotionnelle a été utilisée depuis toujours contre les rebelles : « si tu remues trop, on va aller voir tes gosses à la sortie de l’école, on va violer ta femme ». Méthode utilisée par les fascistes encore aujourd’hui, par les sectes diverses mais aussi par les staliniens zélés qui ont su en jouer plus souvent qu’à leur tour.
La famille élève des remparts. Ces remparts chers à Le Pen, de distinction et de hiérarchie entre les « prochains » et les « lointains ». Remparts contre la solidarité où la race supplante la classe. La Patrie avant la Famille et la Famille avant les autres.
Comme tous les remparts, celui que dresse la famille a bien évidemment deux sens. Il empêche aussi de sortir les sales petits secrets des familles « bien comme il faut ». Ces poulaillers où le coq règne en maître absolu, le chef de famille des formulaires administratifs et des enquêtes sociologiques. Le mâle suprême qui viole sa femme, ses enfants, ses petits-enfants et la bonne avec. Une enquête en Écosse a montré qu’une femme sur deux, dans toutes les classes d’âge et dans toutes les classes sociales, subit des violences régulières de la part d’un homme avec lequel elle vit (père, mari, concubin ou frère). Violence sexuelles, physiques, psychologiques et/ou verbales. En 1991, en Belgique et dans le nord de la France, une enquête similaire montrait qu’une femme sur cinq et un homme sur sept avait subi des violence physiques et/ou sexuelles avant l’âge de dix-huit ans (période de la vie qu’on passe en général en famille).
L’Église fait bien de nous marteler que la famille est le pilier fondamental de notre société. Comme panacée du bonheur sur terre, ça se pose un peu là !
Et pour nous ?
Ceci dit, c’est bien joli de tout critiquer, mais les anarchistes vivent-ils en dehors de la famille ?
Il y a la vie, les couples. l’amour. C’est la forme légale et sociale de la famille nucléaire que nous refusons. Nous revendiquons nos couples, voire nos groupes, nos communautés, comme des choix. Les foyers que nous construisons n’ont de raison d’être que le temps que nous leur donnons. Nos couples ne sont pas des calculs entre familles d’intérêts concordants. Nos mariages, en revanche sont souvent des calculs pour tirer le meilleur parti d’un régime fiscal. pour avoir un meilleur deal à la banque, pour présenter un plus joli dossier à la DASS quand on veut adopter un enfant. Oui, comme les bourgeois, les anarchistes, et pas mal d’autres, se marient par calcul.. mais on ne compte pas pareil.
Depuis toujours nous revendiquons la libre maternité comme faisant partie intégrante de l’amour libre. La famille légale fait des parents irresponsables puisque elle ôte toute réflexion spontanée et fait de la parentalité un mécanisme réflexe. On peut découpler le rapport parent-enfant du simple rapport biologique et voir les enfants que nous élevons, qu’ils soient biologiquement les nôtres ou pas, comme des individus avec lesquels on a envie de partager quelque chose. Avec cette différence qu’un enfant n’est pas libre de ce choix-là. De même, les rapports de filiation, l’amour, le respect des enfants vers leurs parents n’est pas un dû. Il se mérite, il se gagne, il se construit. L’idée d’un devoir d’amour et de fidélité familiale est une trahison du principe même d’amour.
En fait, il en va de la famille comme de l’hétérosexualité quand on la vit par choix, par décision mature, par goût etc., c’est très bien et il n’y a rien a y redire. Quand on s’y lance par pression des autres, par tradition, pour faire plaisir aux ancêtres, aux voisins, au curé ou à Dieu, c’est toujours une catastrophe, un fiasco sordide et autant de vies gâchées et de plaisirs perdus.
Andi B.
Alès (30)