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Fermeture pour cause de profits… insuffisants !

Le jeudi 8 octobre 1998.

Jadis, c’est-à-dire hier encore, la bourgeoisie avait un visage (celui des deux cent familles, des maîtres des forges, des arrivés à la force du poignet, des nés le cul dans la soie), une adresse (le château d’à côté, la maison de maître de toujours, le bureau d’en face), et disons le tout net, parfois même une âme (paternaliste, of course).

Cette bourgeoisie-là, comme toute les bourgeoisies était âpre au gain. Elle ne faisait pas de cadeau. Elle était hautaine. Méprisante. Autoritaire. Elle n’hésitait jamais à envoyer ses molosses se faire les dents sur les foules ouvrières qui osaient réclamer trois sous et un peu d’humanité.

Mais elle restait attachée à ses racines locales ou nationales et, quasi exclusivement préoccupée de sa reproduction (dynastique mais aussi émérite), elle s’inscrivait volontiers dans le temps et parfois même dans l’histoire.

Cette bourgeoisie aimait à promener son casque colonial parmi la foule de ses serfs. De tout cela, il ne reste plus grand chose aujourd’hui.

La bourgeoisie a désormais plusieurs visages (celui des investisseurs internationaux, des capitaux flottants, de l’argent sale, des actionnaires trucs ou machins) et ne cesse d’en changer au gré des restructurations, des fusions, des cessions, des spéculations. Elle a cinquante mille adresses (souvent postales, électroniques, lointaines, étrangères) et ne cesse d’en changer au gré de, et on a du mal à lui trouver la moitié d’un Kopeck de spiritualité.

Cette bourgeoisie-là, comme toute les bourgeoisies est âpre au gain. Elle ne fait pas de cadeau. Elle reste hautaine, méprisante et autoritaire mais préfère les petites musiques de chambre consensuelles made in management, bla-bla économico-scientifico-psychanalytico, aux robustes empoignades de la lutte des classes à la mode de dans l’temps.

Pour avoir des racines partout, il semble qu’elle n’en ait nulle part. Survivre à tout prix l’amène à conjuguer sa reproduction au temps austère de la seule production et à ne s’inscrire que dans le seul instant.

Désormais, il ne s’agit plus seulement de faire du fric. Il s’agit d’en faire le plus et le plus vite possible. Et à tout prix. Fusse à celui d’en perdre aujourd’hui pour en gagner davantage demain.

Exit Papy Brossard ! v’la les trust

Usine en grêve

Pour pouvoir atteindre un tel objectif, il est impératif de ne pas s’affubler d’un casque colonial et de s’arranger pour n’avoir que des rapports anonymes et lointains avec ses esclaves.

Jadis les biscuits Brossard faisaient partie du paysage de notre France éternelle. Ma grand-mère, ta grand-mère, mes parents, les tiens, en avaient toujours une boîte sous le coude pour les « grandes » occasions. L’habitude est restée. Mais papy Brossard a vendu et Brossard après avoir été racheté par Pillsbury, puis Gran Metropolitan s’est retrouvé en juin 1997 dans l’escarcelle de Sara Lee.

Sara Lee, c’est évident que tu connais pas. Ça ne possède jamais que des marques comme « La Maison du café », « Benenuts », « Justin Bridoux », « Cochonou », « Catch », « Vapona », « Dim », « Playtex », « Chesterfield ». Ça n’a jamais son siège principal qu’à Chicago et ça n’emploie jamais que 135 000 salariés dans 140 pays.

Bref, quand t’es un petit plouc de Charentais ordinaire, que tu bosses (au smic) dans l’usine Brossard de Saint-Jean-d’Angély, que tu y bosses depuis toujours ou presque parce que des boîtes qui ont gagné de la thune et qui continuent d’en gagner ça court pas les rues, t’as du mal à piger qu’on (les big boss de Chicago, et à l’évidence d’ailleurs, car qui possède en vérité Chicago ?) décide de fermer « ton » usine. Une usine qui produit le fameux « Savane », qui fait du profit hardi tiens bon (pour le patron, s’entend). Qui ne cesse d’augmenter sa productivité et de diminuer ses coûts de production.

En fait, tu ne peux pas piger.

Tu ne peux pas piger, qu’en fermant ton usine, tes proprios, dont tu ne sais pas vraiment qui ils sont, vont restructurer, reconcentrer, rerationaliser, et gagner trois sous après en avoir perdu deux.

Ça t’échappe tout ça ! Huit millions de francs d’économie par an c’est quand même pas rien (même si ça reste à prouver).

Et ça justifie assurément de mettre 140 personnes à la rue et de « ruiner » une petite ville de 6 000 habitants.

Alors tu décides de te mettre en grève avant qu’on te fiche à la porte. Tu espère encore que ton patron (mais quel est-il ?) va revenir à de meilleurs sentiments et te permettra de continuer à lui rapporter trois sous. Mais tu sais très bien, au fond de toi même, qu’entre gagner trois sous et espérer en gagner quatre…

Ça fait néanmoins un mois que ça dure !

Et ça peut même durer encore au moins autant !

Groupe Michel-Bakounine (Oléron)