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Le poing sur l’extrême droite (dossier)

La « Génération Le Pen »

une nouvelle image respectable
Le jeudi 26 février 2004.

La scission entre le Fhaine et le MNR date de 1998-1999. Les plus naïfs d’entre nous auraient pu croire alors que l’histoire du premier arrivait à son terme, ou qu’il s’était endormi. Mais il ne dormait que d’un œil et scrutait une droite libérale et autoritaire, qui enfourchait plusieurs de ses chevaux de bataille, en même temps qu’elle prenait le pouvoir. Renforcement du tout sécuritaire, justifié par un « fond social » plus que morose : crise économique, précarité, faux problèmes comme celui du voile, cachant le simple droit d’être athée ou laïc et ouvrant la porte au « tout religieux ». Bref, la droite au pouvoir n’a fait que reprendre à son compte le fonds de commerce de l’extrême droite. Depuis, des pans entiers du programme schizophrénique et xénophobe des « têtes pensantes » fascisantes sont entrés et mijotent au sein d’un programme « national ». Il est donc temps, pour ces deux partis extrémistes, de surveiller la fin de cuisson du plat et de récupérer les compliments de l’Assemblée. À l’heure du dessert, on voit leurs militants réapparaître, comme avant 1933, sur nos marchés et nos lieux de vie.



Le Fhaine, issu de la mouvance poujadiste, se revendique du nationalisme et d’une tradition basées sur des alliances avec, entre autres, les cathos intégristes et de nombreux autres partenariats religieux, voire « identitaires ». Ceux-ci ont été noués, au cours d’une histoire fondée sur la récupération populiste, jusqu’à la dernière en date : la main tendue aux distributeurs de tabac et aux restaurateurs ; ces derniers, pas vraiment réputés pour leur ouverture à la différence et sont déçus par un gouvernement jugé par eux beaucoup trop mou. Mais cela ne suffit pas encore au Fhaine, qui tente d’élargir son électorat et essaie de rallier, à présent, les ouvriers et les employés, eux- mêmes prétendus « déçus et abandonnés par la gauche sociale-démocrate ».

Pour autant, le parti de Jean-Marie Le Pen (JMLP) a toujours beaucoup de mal à se séparer de sa sale réputation basique raciste, xénophobe et antisémite et à faire oublier ses propos et gestes carrément orduriers et abondamment perpétrés, pendant des années, par son leader. C’est pourquoi, dès 1988, Jean-Lin Lacapelle, un proche de Gollnisch et Carl Lang, crée Génération Le Pen, une association (version soft) de soutien à son président et qui se revendique « un lieu convivial et de sociabilité ».

Convaincre le « petit peuple »

Après l’accession de JMLP en seconde position au second tour de l’élection présidentielle de 2002, Génération Le Pen tente de changer l’image et de devenir la figure de proue de l’élite frontiste du moment. Les jeunes cadres du parti souhaitent alors rompre avec l’image des anciens dirigeants du Fhaine pour se positionner différemment, en cas de victoire aux prochaines élections régionales et européennes. L’objectif, durant la campagne, est de rallier au mouvement un maximum d’ouvriers, d’employés, d’artisans et de petits commerçants, sur un programme soi-disant « économique et social ».

Au menu : suppression totale de l’impôt sur le revenu dans les 5 ans, lutte contre les délocalisations, établissement d’un « droit de douane aux portes de l’Europe ». Or, de courte mémoire, lorsque Toulon est tombée aux mains du Fhaine, les impôts ont augmenté, en moyenne, de 8,3 %, au détriment des activités sociales et culturelles municipales [1]. Dans les autres villes gérées par l’extrême droite, on observait également l’étendue des ravages, conséquence des mêmes méthodes et entraînant des résultats aussi désastreux. Bref, un fiasco, et un savoir-faire repris, aujourd’hui, par le gouvernement en place.

Marine tente de ravaler la façade

JMLP ne tient pas à lâcher la barre, car il a lui-même de grandes prétentions personnelles, compromises aujourd’hui, en Paca, et en cas d’inéligibilité, recasables en région Île-de-France. Pour l’instant, Marine Le Pen (MLP) y est toujours tête de liste et également à la tête de Génération Le Pen, depuis juillet 2002, au grand dam des Bruno Gollnisch, Bernard Anthony et autres prétendants.

Faisant passer au second plan le discours haineux du parti, elle tente de nous la jouer « bon enfant chaleureuse », vouée à défendre la veuve et l’orphelin (français de souche, de préférence… nationale). Son programme : tailler à coup de serpe dans le budget de la politique de la ville, on a déjà vu ça à Orange, Vitrolles et Toulon [2]. Elle peut encore le faire en Île-de-France, tout comme « créer un corps d’agents de sécurité rectoraux, présents dans les lycées et collèges, qui seraient payés par la Région ». La « bonne ville de Meaux » n’était pas choisie au hasard comme son premier lieu de campagne : il s’agissait effectivement pour Marine d’y améliorer encore le score du Fhaine, qui y obtenait en 1998 16,31 % des voix.

« Une femme comme les autres »

De plus, elle est omniprésente dans les médias, où elle tente de se faire passer pour « une femme comme les autres ». C’est-à-dire, comme ses électrices potentielles, qui se méfient encore trop de son parti. En effet, pour rappel, sans le vote négatif des femmes, le Fhaine aurait été le premier parti français au premier tour de la présidentielle de 2002. Son rôle est donc clairement défini : rallier les femmes vers le Fhaine, selon son dernier slogan : « Une femme à vos côtés ».

Il lui est même arrivé de défendre (théoriquement) le droit des femmes à disposer de leur corps… Alors que les membres de son parti renforcent les troupes des anti-IVG de Xavier Dorr, qui terrorisent quotidiennement les salarié.e.s du Planning familial et exhortent les femmes à rester au foyer ! Qui se ressemble se rassemble…

Dérapages incontrôlés

Dans le genre copinages incontrôlés, il y a pire : le voisinage des « félons » de l’agonisant MNR, le parti de Bruno Mégret. Comme par exemple, durant l’automne 2003, la participation de certains des membres actifs du « back office » du Fhaine, à la seconde Fête de l’identité et des libertés, au Palais des congrès de Versailles [3] ; celle-ci étant organisée sous le haut patronage de Pierre Vial, conseiller MNR Rhône-Alpes et président de la très xénophobe association « ethniciste » Terre et peuple [4]. À cette occasion, le rez-de-chaussée du Palais est envahi par les stands de libraires négationnistes qui proposent à des prix imbattables des pamphlets antisémites de Céline, ou encore des ouvrages à la gloire des SS français, voire une affiche énonçant : « Loi Veil : déjà 4 millions de morts » Un peu plus loin, le club du maire Fhaine d’Orange, Jacques Bompart, fait salon avec un cercle phalangiste espagnol…

On croyait FN et MNR en froid

Mais, à la fin de cette journée de rencontre, « grâce aux jeunes », le responsable du FNJ vient en personne rendre visite à ses petits camarades du MNR et du MNJ (Jean-Yves Le Gallou, conseiller IDF, Fabrice Robert, chef du Bloc identitaire et Robert Spieler, conseiller Fhaine d’Alsace). Le tout est clôturé par un méga concert de rock identitaire, entre « français de souche ».

Depuis, pour en revenir à la bonne image, lors de la campagne de Marine, Louis Armand de Bejarry, un des participants (et ça tombe bien, dans le collimateur du FN), passe en commission de discipline Fhaine pour sa participation à la manifestation. JMLP lui colle un avertissement. Idem pour Jacques Bompard, interlocuteur privilégié des identitaires, mais pourtant, toujours numéro 2, aujourd’hui, du Fhaine. Le « patron » les sanctionne, le 20 novembre 2003, « pour amitiés trop affichées avec l’ultradroite à la Fête des identités et des libertés ».

The show must go on

Mais tout ça n’est, dans la campagne de JMLP, qu’un incident de parcours, et doit le rester, devant l’urgence de la course aux électeurs qu’il ne faut pas braquer (que ce soit en Paca, ou à défaut, en Île-de-France). Fin 2003, le leader organise un show à Toulon, 600 à 900 personnes répondent à l’appel (ça fait pas beaucoup). Le culte de la personnalité en personne égrène, entre autres, les clichés mille fois ressassés : « les immigrés sont à 95 % assistés : je ne suis pas pour autant xénophobe, mais comme disait Jeanne d’Arc (ndr : il y était ?) je les aime chez eux ! » L’objectif est de surtout faire du bruit. Le show est gratuit. Les billets ne sont sollicités qu’à la sortie, avec en prime un drapeau français en souvenir.

Lors d’un autre show donné à Marseille, JMLP tient des propos similaires : « La France soutient une politique d’immigration massive, une calamité, et la discrimination positive n’est que le camouflage de la préférence étrangère. » Alors que JMLP offre à ses électeurs « un printemps national à la France, les échecs de notre politique ne sont dus qu’aux faiblesses personnelles des félons (entendre : Mégret et J.-M. Le Chevalier). Nos opposants sont aujourd’hui invisibles sur le terrain ». Sauf que depuis, le « petit rat a bien foutu sa merde en Paca… »

Mais selon JMLP, qu’importe : « Le FN n’a plus besoin de son petit cercle de militants. » En effet, selon lui « Ses prochains électeurs seront anonymes et consentants, acquis à la cause globale. » Dans les régions prétendues acquises au Fhaine , Rhône-Alpes, Picardie, Bourgogne, Languedoc-Roussillon, il constate que « Plus personne ne résiste, les comités de vigilance contre l’extrême droite se sont éteints d’eux-mêmes. » Donc, il présume que « la route est libre ».

La nouvelle image soft du Fhaine

Le vacarme et les manifestations incontrôlées nuisent à la nouvelle image que veut se donner le Fhaine, durant la campagne. De fait, Jacques Bompard, le nº 2, et Carl Lang saisissent la commission de discipline pour régler les problèmes liés aux fédérations régionales, aux actions trop visibles. Pour mémoire, Bompard est l’interlocuteur privilégié des identitaires, ainsi que d’anciens mégrétistes.

Il les exhorte donc au calme et prétend que « Ces militants veulent tout faire pour que le FN trouve le moins d’écho possible, aux prochaines échéances électorales. » D’ailleurs, un proche de Marine Le Pen déclare : « Ce sont des adversaires politiques avec lesquels nous n’avons rien à faire. » Malheureusement pour le casting, un militant de Lukutant est filmé, caméra cachée, sur France 3 durant l’automne 2003 et revendique sa double appartenance au Bloc et au FNJ. Il exprime : « Dans une opération coup de poing, si tu tombes sur des Arabes, des nègres et des gauchistes, tu leur montres qu’ici on est chez nous. Par contre, tu te démerdes pour ne pas te faire gauler [5]. »

Le voile, une bonne opportunité

Surgit « l’affaire du voile », qui rassemble à nouveau tout ce petit monde. Pour les lepénistes comme pour les mégrétistes, l’islamisation n’est qu’un avatar : « une forme d’expression de l’immigration, et l’entrée de la Turquie dans l’Europe ne fera qu’entraîner la France dans une future république islamique ». Pour le Fhaine « Le voile à l’école n’est qu’une conséquence de la présence d’une trop forte communauté immigrée de confession musulmane, dans notre pays. » De son côté, le MNR commente la manifestation du 17 janvier : « Les Français ont pu voir le poids d’une immigration anarchique, non soumise à la loi française. »

Du côté du Fhaine, les manifestations anti-loi sont jugées bénéfiques et, jusqu’aux élections, le parti s’en réjouit. Selon Carl Lang : « Plus il y aura de femmes voilées dans les rues ou dans les écoles, plus les Français prendront conscience du poids de l’immigration. » Pour Marine Le Pen « L’affaire du voile renvoie au poids de l’immigration dans notre pays et cela fait des années que nous en parlons, aujourd’hui les Français s’aperçoivent que nos prédictions sont en train de se réaliser. » Samuel Maréchal, Pays-de-Loire : « Pendant que le gouvernement disserte du voile, il ne parle pas d’autre chose, comme, par exemple, de la hausse du tabac. » En effet, voilà un exemple d’argument de campagne qui peut rapporter gros !

Faire face

Quelles que soient les stratégies développées par les partis d’extrême droite en Europe et ailleurs (soft ou hard), il n’est pas facile de combattre ce type de forces politiques organisées. Elles ont toutes en commun de vouloir conquérir l’espace politique, tout en investissant la base sociale. Une base sociale que revendiquait, il y a encore peu, une gauche traditionnelle.

Notre combat est de faire tomber les masques populistes qui cachent des fascistes et réciproquement. Il ne s’agit pas, pour nous anarchistes, de laisser cette menace dans les mains de politicards véreux, qui n’ont rien fait, qui ne font rien, et qui ne feront jamais rien, mais y trouveront, au final, leur comptant de voix aux prochaines élections et en feront leur beurre.

Nous, militants antifascistes, devons continuer à nous battre sur tous leurs fronts et organiser notre lutte, quitte à répéter encore et encore les mêmes discours (quitte à affronter l’indifférence et les silences qui en disent long, comme c’est le cas sur mon lieu de travail).

Il faut également continuer à les éjecter radicalement, tous les jours, de nos quartiers et de nos vies. Tout en continuant à proposer aux individus que nous rencontrons des alternatives d’organisation révolutionnaires et anarchistes. C’est-à-dire des projets et des conceptions capables de construire une société solidaire, débarrassée de la surconsommation, au profit du plus petit nombre. S’implanter, militer et s’opposer aux forces fascistes, libérales, réactionnaires et patriarcales, ça peut à la longue devenir usant. Pourtant, aujourd’hui, nous n’avons plus le choix : il s’agit d’une question de survie.

Patrick Schindler


Côté « hardcore »


Le MNR préfère et revendique la version hard, païenne et radicale. Son leader vient de s’en prendre plein la tronche. Mégret est condamné à un an d’inéligibilité, un an de prison avec sursis et à 10 000 euros d’amende, pour complicité et recel d’abus de biens sociaux. Et que peut faire un politicien sans argent ? Renoncer : en effet il ne se présentera pas en région Paca.

Il laisse, cependant, la place au trésorier du parti qui, comme par hasard, est un homonyme du candidat socialiste sortant. Et Mégret d’ajouter « Comme ça, on sera bien forcé de savoir qui est qui. » Très amusant ! Puis, il se plaint : « Je n’ai cessé de subir dans la région des avanies et des persécutions. Alors j’ai décidé de demander l’asile politique à une autre région. » Mais qui voudra de lui sans argent ? Cela dit, d’autres candidats MNR seront présents sur les listes, dans douze régions.

Les jeunes du MNJ (jeunes mégrétistes), eux, fuient le navire qui prend l’eau. Ils rejoignent pour certains le FNJ, au sein du bloc identitaire, tandis que d’autres se tournent vers les groupuscules plus radicaux qui évoluent en marge du Fhaine.

Le Bloc identitaire, le dernier né de la famille

Seul son nom a changé, pas son contenu. Dix-sept mois après l’interdiction d’Unité radicale, après le tir manqué sur Chirac le 14 juillet 2002, la mouvance « nationaliste révolutionnaire » s’appelle à présent Bloc identitaire. Il a pour « chef » Fabrice Robert, condamné en 1991 pour incitation à la haine raciale, et encadre quelques dizaines de militants, dont 95 % sont issus des cadres du MNJ.

Notons au passage la même quête de respectabilité que celle enregistrée au Fhaine : se démarquer des militants trop radicaux, ou trop étiquetés skinhead. Pour autant, le discours du bloc ne change pas : racisme, vision biologique, ethnique et communautaire, avec le même refrain et les mêmes couplets déclinés sur « l’immigration, une colonisation inversée », sur « la fracture ethnique qui mène directement à l’affrontement », etc.

Ratisser large

Mais l’affrontement direct est au rendez-vous, pour boycotter, par exemple, les concerts du groupe de rap Sniper. Un bon terrain, selon le bloc, « pour recruter des adeptes parmi les jeunes issus des milieux populaires, via le rock identitaire et voire, à faire de l’entrisme au sein des supporters de football ultras ».

Ils s’implantent également à Montpellier, où ils « ratonnent » et passent à tabac des militants antifascistes, en plein centre-ville. Ils y plantent leurs tables de presse et leurs banderoles sur la grande place à deux pas de la fac. S’en sont suivis, face à la résistance antifasciste, des intimidations et des repérages individuels, ainsi que des menaces de mort.


[1Selon les chiffres rapportés par Les Échos, quotidien qu’on ne peut pas taxer de particulièrement militant.

[2Ce terme pue, à mon sens, la référence gauloise.

[4La première édition avait été célébrée en 2002, à l’initiative de Gilles Soulas, le vieil éditeur et libraire négationniste.

[5Propos rapportés dans Libération.