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Beauté de l’économie

Le dimanche 13 juin 2004.

La productivité de l’économie américaine n’a jamais été aussi haute que ces trois dernières années. En conséquence, nous dit Business Week du 19 avril 2004, la richesse des ménages américains est elle aussi au plus haut. Plus haut même qu’au plus fort de la bulle Internet de l’an 2000. Mais voilà, la richesse des ménages est un mot un peu fourre-tout. Il rassemble des choses telles que les valeurs immobilières (le logement) et les valeurs tout court telles que les actions et les obligations. Or ces trois choses-là, logements, actions et obligations, sont à peu près exclusivement possédées par 50 % des ménages américains, les 50 % les plus riches, bien sûr.

Le chiffre de 50 % indique aussi, par hasard, quelle part des revenus des Américains a été reçue sous forme de salaires. On devine que les pauvres ne touchent que des salaires (quand ils en touchent…), cependant que les riches touchent en outre des loyers, des intérêts et des dividendes. Ce taux de 50 % de salaires dans l’éventail total des revenus est le plus bas depuis 50 ans. Traduisons du langage des économistes en langage des êtres humains : le nombre des pauvres aux États-Unis grandit allégrement.

Affinons un peu : le 1 % des ménages américains les plus riches reçoit 15 % des revenus de la nation, sans se priver d’en posséder 30 % des actifs, actions, obligations, biens immobiliers, entreprises familiales…

Continuons : les 10 % de ménages les plus riches possèdent 65 % des actifs.

Puis on revient à la première statistique citée ici : 50 % des ménages les plus riches possèdent 95 % des actifs ! Excusez du peu.

Si on répond « peut-être mais 70 % des ménages américains possèdent leur logement », il faut corriger avec ceci que 50 % des ménages possèdent 90 % de la valeur totale des biens immobiliers. En d’autres termes, 20 % des ménages américains possèdent certes des logements, mais des logements qui ne valent pas un clou. Une caravane posée sur un emplacement acheté dans un camping de très grande banlieue avec un robinet pour trente emplacements, c’est un logement. De toute façon, 30 % des ménages américains ne possèdent pas leur logement.

Consolons-nous en observant ce qui se passe du côté des riches. Depuis quelque temps, on nous dit que la révolte gronde du côté des actionnaires (qu’il est étrange, obscène même, de voir associés les mots « actionnaires » et « révolte ») et que l’époque des salaires ahurissants pour les grands PDG est révolue. Tenez, Steve Jobs, le PDG d’Apple : zéro, oui zéro dollar de salaire en 2003 ! Et ce depuis 1997. Peut-être, mais Jobs, qui demeure propriétaire d’une considérable partie du capital d’Apple, a quand même reçu en 2001 un Gulfstream V. Un Gulfstream V ? Un jet privé. À 70 millions de dollars sans la baignoire en marbre, un peu plus avec la baignoire. Quant aux petites manipulations de stock-options qu’il peut se permettre, elles équivalent à 74 millions de dollars pour 2004, qu’il touchera en 2006.

Entre-temps, le RMI lui permettra-t-il d’attendre ?

Monsieur Reuben Mark, PDG de chez Colgate-Palmolive, s’est fait accorder par son conseil d’administration 5 millions de dollars en salaire et bonus. Plus, rassurez-vous, 136 millions de dollars en stock-options. 141 millions de dollars, au total. Business Week d’ajouter : « Il ne devait recevoir de stock-options que s’il augmentait de 80 % la valeur des actions de Colgate. Or elles ont augmenté de 286 %. » ça change tout.

Enfin, ça se discute, car, à l’instar de nos PDG français qui reçoivent quand même des salaires de princes lorsqu’ils ont coulé leurs entreprises, plusieurs des PDG américains les mieux payés ont fait perdre de l’argent à leurs actionnaires. Jozef Straus (pas le dirigeant allemand de grasse mémoire) s’est ainsi accordé une petite gâterie de 159 millions de dollars en stock-options, en dépit du fait que la valeur des actions de son entreprise a baissé de 91 % en trois ans ! Business Week note fièrement que la plupart de ces PDG grassement payés ne sont pas sortis des grandes universités américaines, les Yale et autres Harvard. À bien y réfléchir, Al Capone non plus.

Dernière information déprimante tirée de Business Week : des chercheurs passent des centaines de gens aux MRI, le scanner à résonance magnétique, histoire d’observer ce qui se passe dans leur cerveau quand on leur demande de réfléchir, de compter, de reconnaître, etc. Certains de ces chercheurs, dont ceux de Harvard, ont lancé le « neuromarketing », c’est-à-dire l’étude des réactions du cerveau devant une lessive, un légume, une voiture, ou plus précisément devant les publicités d’une lessive, d’un légume ou d’une voiture.

Nestor Potkine