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Antifascisme

Remettre nos alternatives à l’ordre du jour

Le jeudi 8 mai 1997.

Moins encadrée que prévu à l’origine, l’imposante manifestation du samedi 29 mars dans les rues de Strasbourg apparut aussi comme une auberge espagnole itinérante où circulèrent d’autres « paroles citoyennes » que celles récupérées à la hâte par des notables soucieux de se recoudre une virginité politique ou des ambitieuses avides de se profiler avec l’estampille « croisée de l’antiracisme » sur leur C.V. Certains tracts et quatre pages, essentiellement d’inspiration libertaire, rappelèrent aux bonnes âmes processionnaires l’exigence de la réflexion et de l’action militante en vue d’une transformation radicale de notre si inique société, alors que nos preux républicains tentent de nous faire accroire que le Front national représente aujourd’hui le summum de « l’intolérable ».

Exécrable prion

Que pensent Catherine Trautmann, de facto la grande « gagnante » de la quinzaine pré-pascale, Marek Halter, Patrick Bruel, Bertrand Tavernier, Alain Krivine, voire Dominique Voynet… du saccage sans vergogne de nos paysages par les aménageurs du territoire, des écocides dans le Sud, si loin, si proche, de l’exploitation et de l’esclavage salariés, de l’impitoyable compétition économique sous le diktat de la rentabilité, de la criminelle irresponsabilité des nucléocrates ?.. Ont-ils, à l’instar d’un chansonnier tontolâtre, « cassé la voix » ?.. Mieux vaut se serrer les coudes et se donner le bras, ô effet démultiplicateur de la foule, pour conjurer le vil ennemi commun tenant congrès à quelques encablures de la joyeuse marche. Nous y avons participé, avec nos mots, nos réserves, notre esprit critique, notre inébranlable volonté contre tous les « plus jamais ça ! » dont le borgne de la Trinité-sur-Mer et ses séides n’incarnent qu’un segment, exécrable prion fécondé in vivo dans le laboratoire géant de l’ultra-libéralisme mortifère. Je souscris pleinement aux assertions d’Edward Sarboni : « œcuménisme d’opposition au seul Le Pen, les rassemblements en forme de grandes messes ont le mérite de mobiliser largement, mais à côté de cela, n’offrent aucune base sérieuse de lutte contre le fascisme ambiant, le national-populisme à la française et l’ordre moral renaissant » [1]. Nos « désirs sans fin » et nos engagements nous interdisent d’investir davantage notre temps ainsi que notre énergie dans un anti-frontisme consensuel aux côtés de celles et ceux qui, par leurs lâchetés, leurs compromissions, leurs recentrages, leurs volte-face et leurs trahisons, ont placé les Stirbois, Mégret and co en position d’arbitrer les joutes électorales depuis les municipales du 11 septembre 1983 à Dreux ?

Le 28 mars, dans les locaux d’Arte, rue de la Fonderie, Gautier Ribinski, grand reporter à TF1, Philippe Alexandre (ou était-ce sa marionnette ?..), Michel Soudais (Le Nouveau Politis), Alban Mikoczy, correspondant de France 2 à Marseille, Georg Hoffmann-Ostenhof du magazine Profil (Autriche), Maxime Léo, qui avait interviewé la maire de Vitrolles pour la Berliner Zeitung… entouraient Sabine Rollberg, la directrice de l’information sur la chaîne culturelle. Le « public » : une centaine de journalistes invités à écouter des confrères plus réputés à propos des responsabilités des médias quant à l’audience de la formation lepéniste. Le 31 mars, l’Association des journalistes parlementaires européens, proposa au Palais de l’Europe, en partenariat avec le Club de la Presse et Arte une demi-journée de réflexion. Distinguer d’un côté une classe médiatique homogène, toutes tendances et supports confondus, et de l’autre le Front national considéré comme un thème en soi, relève d’un montage grossier qui ne résiste même pas à une analyse sommaire. Se compter, tout heureux de se retrouver tous ensemble à… la gauche de Carl Lang et de Bruno Gollnisch, comme partie prenante de « l’espace public démocratique » [2] ! Cette manœuvre de blanchiment idéologique ressemble à s’y méprendre à la « démagogie » et à « la manipulation » pointées chez les caciques de Saint-Cloud.

Reprendre l’offensive

Comment aborder Jean-Marie Le Pen lors d’un face-à-face sous les sunlights d’un plateau de radio ou de télévision ? Le boycotter, à l’image d’Anne-Angora-Sinclair ? Se placer sur le même plan que lui, l’agresser verbalement ?… Voilà le type de casse-tête qui agite le Landerneau du micro ! Or, les Bilalian, Masure, Chêne, Chazal, Lucet and co traitent l’ex-para avec la même déférence mielleuse que celle dont ils font preuve vis-à-vis de Martine Aubry, Lionel Jospin, Edouard Balladur, François Léotard, Alain Juppé… Profil très bas ! Alors que chez nos voisins, les interviewers [3] mettent les politiciens sur le gril en abordant des aspects gênants, n’hésitant pas à pousser les invités dans leurs derniers retranchements, chez nous, ces messieurs-dames BCBG se complaisent en d’insignifiants palabres. Je me répète : dans aucun pays de l’ouest européen, le débat d’idées, notamment cathodique, n’approche, même de loin, le niveau totalement affligeant qui prévaut dans le PAF. L’agencement réducteur avec lequel les maître(sse)s de cérémonie tentent d’expliquer des concepts éminemment complexes, en occultant sciemment l’essentiel des tenants et aboutissants, ne prédispose-t-il pas le téléspectateur/consommateur à se tourner vers des « solutions » politiques simplistes, telles que les propose, « clés en main », le F.N. ?

Ce qui me paraît le plus grave, c’est que nous nous trouvions systématiquement en position de « riposte ». Par leurs initiatives et leurs « petites » (!) phrases, les notables frontistes dictent le rythme et les sujets de discussions de la vie publique. Reprendre enfin l’offensive consiste non seulement à gueuler « F comme fasciste, N comme nazi, à bas, à bas le Front national », slogan le plus prisé lors de la coulée du 29 mars, mais surtout à argumenter, chiffres à l’appui, pour désosser une à une les lignes programmatiques de ce parti, en allant plus loin que Libération dans son édition du 1er avril 1997. Quelques « pistes » ? « La répartition entre toutes et tous d’un travail utile à la société ainsi que des richesses, en rendant le chômage inacceptable », abaisser à trente ou trente-deux heures la durée hebdomadaire du labeur répartie sur quatre jours… Les 10 % disposant, hors patrimoine, des revenus les plus élevés amassent 21 fois la somme disponible pour les 10 % les plus démunis !.. Jusqu’à quand croira-t-on « gagner sa vie » en dévastant les écosystèmes, en pérennisant les abominations de la guerre et les violences structurelles (exploitation, domination, ségrégation…) ? En Alsace et ailleurs, des partisans d’une « économie distributive » [4] ont ébauché des stratégies anticapitalistes opératoires dès aujourd’hui.

Catherine Trautmann, qui possède décidément, avec l’équipe de Charlie Hebdo, un fan-club d’une dévotion quasi maritale, aura très bientôt l’occasion de prouver à quel point « la parole citoyenne » de ses administrés lui importe. L’Evita Peron locale, fêtée lors de son apparition, le 29 mars, sur le balcon de l’Hôtel de ville, va se coltiner deux dossiers d’urbanisme qui lui valent une vigoureuse opposition, assortie de contre-propositions viables, des associations en lutte contre sa « mégalomanie ». Déjà, la commission d’enquête a rejeté son projet d’aménagement de la ZAC Etoile. Pas d’assemblée honnie en vue pour créer la diversion…

René Hamm


[1Supplément au Monde libertaire nº 1082 du 30 avril 1997.

[2Le sociologue Philippe Breton dans son speech du 31 mars.

[3Le Monde libertaire du 6 mars 1997.

[4Groupe de salariés pour une économie distributive :
Marie-Jeanne et Pierre Wendling,
29 rue du Kurenbourg

René Hamm
68800 Thann.