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Condition paternelle

L’Égalité des droits des… pères

Le jeudi 19 septembre 1991.

Parmi les individus ne bénéficiant pas de tous leurs droits légitimes, dans ce beau pays qu’est la France, une catégorie fait peu parler d’elle… Et pourtant ! Les pères non mariés, puisqu’il s’agit d’eux, sont soumis, en effet, à des lois d’un autre âge qui en font des citoyens préalablement défavorisés devant les tribunaux. Une espèce d’apartheid qui s’exerce quotidiennement, sans provoquer beaucoup d’émoi…



À l’heure où l’égalité des droits est revendiquée ici ou là, à juste titre, il est aberrant que toute une partie de la population soit déconsidérée, d’emblée, en matière judiciaire.

Ainsi, lorsque dans un couple non marié les deux partenaires se séparent, la présence d’un ou plusieurs enfants peut poser d’inextricables problèmes. Malheureusement, être père, en France, aujourd’hui, signifie occuper une position plus qu’inconfortable vis-à-vis de la loi et obtenir la garde de son (ses) enfant (s) tient de l’exploit.

Alors que les plaignants sont censés, légalement, bénéficier d’attentions similaires de la part des magistrats, un père, devant un tribunal, devra s’acharner à faire preuve de sa bonne foi, voire de ses bonnes mœurs, souvent en vain d’ailleurs, tandis qu’une mère, sauf cas exceptionnel, en est dispensée.

Il faut savoir qu’un père n’a, initialement, aucun droit sur son enfant, que la mère, en revanche, les possède tous. Offrir aux femmes des droits comparables à ceux des hommes est une chose dont on ne peut que se féliciter, tout comme on ne pourrait qu’approuver l’égalité de traitement des Français et des immigrés, des riches et des pauvres…

Mais là, en l’occurrence, règne la plus stricte inégalité, qui pour être légale n’en est pas moins complètement illégitime. Tout se passe comme si un groupe social précis tenait à conserver jalousement ses privilèges. Les réactions sont les mêmes que celles qui émaneraient, par exemple, d’un patron mis en cause par ses employés, lequel n’hésitera pas à se réfugier derrière la loi, sachant pertinemment qu’il obtiendra gain de cause. Devant les récriminations d’un père, une mère, comme un patron devant les griefs de ses employés, lancera souvent en dernier recours : « C’est comme ça et pas autrement ! » Que répondre à cela ?

Le Nouveau mouvement de la condition paternelle, une association ouverte aux hommes et aux femmes [1], revendique un rééquilibrage des statuts.
« Nous nous battons, explique-t-elle, pour que la "justice" :
 cesse d’inciter les mères à choisir leur intérêt personnel avant leur devoir de parent en en faisant les éternelles gagnantes des séparations
[…] ;
 considère, avant tout, que l’intérêt et le droit des enfants est de garder leurs deux parents ;
 cesse de cautionner les déménagements-enlèvements ayant pour seul but la mise à l’écart du père, poussant certains d’entre eux à des actions désespérées (enlèvement, suicide…)
. »

Flagrante inégalité

La séparation d’un couple, pour traumatisante, paraît-il, qu’elle soit quelquefois pour les adultes concernés, ne doit pas l’être pour un enfant, qui, l’âge aidant, est particulièrement sensible aux tiraillements dont il s’avère l’objet. Seule une égalité des droits entre le père et la mère, en éliminant un important motif de discorde, est à même de garantir à l’enfant un développement harmonieux.

La lutte contre le sexisme, qui a mobilisé les efforts de femmes mais aussi de nombreux hommes, implique une lutte contre toute forme de discrimination et non un simple renversement de la situation. Il est, par exemple, inadmissible que 10 % des pères, une fraction vraiment infime, obtiennent la garde de leur (s) enfant (s), alors que 75 % à 80 %, selon le NMCP, le demandent. L’inégalité des droits est ici flagrante.

À conditions égales (revenus, logement…), les juges accordent systématiquement le droit de garde, autrement dit l’exercice de l’autorité parentale, à la mère. Et même lorsque le père, manifestement, présente de plus sérieuses garanties pour élever l’enfant, le choix continue de s’exercer au profit de la mère.

Pour s’y opposer, le père n’a pratiquement aucun moyen. Reconnaître l’enfant lui évite de se voir privé d’office de tout droit, mais ne lui en procure guère. Se marier avec la mère ne le met pas plus à l’abri. En cas de séparation, si, comme de coutume le droit de garde ne lui est accordé qu’avec une extrême parcimonie (en général — et au mieux — pour les enfants qui ne sont plus « en bas âge » : un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires) et s’il persiste à vouloir en user (il faut être motivé), les éventuels frais de déplacement seront à sa charge, en plus, bien entendu, d’une pension alimentaire versée à la mère. Cette pension, qui se justifie parfois, apparaît d’autres fois comme une pénalisation infligée au père.

Cette différence de statut entre le père et la mère reflète bien le poids des traditions dans notre pays, même lorsque celles-ci sont à l’évidence tombées en désuétude. L’homme au travail, la femme au foyer, à s’occuper de ses enfants, voici quels sont les rôles encore préconisés par un appareil judiciaire archaïque. Comment ne pas être indisposé par ces relents de pétainisme ! La mère est obligatoirement maternelle (parlons-en de ce fameux « instinct », qui relève surtout de l’éducation !) et le père, garant de l’autorité de la famille, ne doit porter à sa progéniture qu’une attention limitée. Ne mélangeons pas les rôles, et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes !

Pourtant, cette vision de la société ne correspond plus à grand-chose à l’heure où hommes et femmes se partagent le travail (salarié ou domestique) et tendent enfin, en de nombreux points sauf celui qui nous préoccupe, à bénéficier de droits équivalents. Pour le bien de tous, et des enfants en premier lieu, il importe donc qu’une réelle égalité de statut soit appliquée.

T.M.


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