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Saint-Étienne

Casino : OPA sur l’intersyndicale

Le jeudi 20 novembre 1997.

Après la grande mascarade du 20 octobre où l’on a vu défiler ensemble et d’un même pas exploiteurs et exploités, c’est le silence radio du côté des sections syndicales du groupe Casino comme si ceux qui ont osé entraîner les salariés dans ce carnaval n’avaient plus rien à dire. Il est vrai qu’ils n’ont pas de quoi être très fiers de leur compromission. Ils pourraient avoir au moins la décence de remobiliser leurs troupes pour obtenir de meilleurs salaires et pour améliorer leurs conditions de travail.

Mais il est vrai que c’est plus risqué, qu’il faudrait s’opposer à leur direction. Ils connaîtraient pourtant le sentiment réel de M. Guichard et compagnie sur la défense du droit de grève. Il est plus facile de faire croire que cette manifestation a fait l’unanimité parmi le personnel, mais il suffit de discuter un peu avec certains salariés pour se rendre compte qu’il n’en est rien. Beaucoup, même parmi ceux qui ont défilé, se sentent mal à l’aise. Tous n’avaient d’ailleurs pas la même motivation pour participer : peur d’être montré du doigt, d’être sanctionné, marqué à l’encre rouge en cas d’absence… D’autres se disent profondément choqués que la CGT se soit ralliée à la manifestation (CGT minoritaire au sein de Casino, qui n’a pas voulu se marginaliser dans un souci de préserver ses chances pour les prochaines élections professionnelles). Mais revenons sur cette manifestation pleine d’enseignements.

Mardi 20 octobre, environ 10 000 personnes ont manifesté pour soutenir l’entreprise stéphanoise Casino contre l’offre publique d’achat de Promodès (distributeur dont le siège social est en Normandie ; les hypermarchés Continent). Parmi ces manifestants, plusieurs milliers de salariés du groupe Casino, venus de toute la France, répondaient ainsi au mot d’ordre de l’intersyndicale FO-CFDT-CFTC-autonomes. La CGT, absente de l’intersyndicale, s’est jointe au cortège, prenant soin de se démarquer par des slogans qui dénonçaient la responsabilité des financiers. Le défilé qui s’ébranlait vers quatorze heures respectait scrupuleusement un ordre défini et « hiérarchique ».

Une manifestation presque consensuelle…

Derrière la banderole de l’intersyndicale et ses représentants se trouvaient en tête les politiques (de gauche comme de droite) et la direction de Casino (autour de son président Ch. Couvreux). Venaient ensuite l’encadrement (CFE-CGC), les salariés du siège social, les gérants et les employés d’entrepôts. Puis suivaient de fortes délégations d’hyper et supermarchés, et enfin les Unions Départementales des syndicats.

La direction a affrété des cars et financé les frais d’hôtellerie. De plus, les heures des manifestants étaient payées par la direction. Même le choix du jour n’avait pas été laissé au hasard, puisque le mardi était le jour le plus creux pour les ventes des magasins Casino qui étaient restés ouverts (profit oblige).

Il y avait quelque chose de singulier et de choquant dans cette manifestation ou l’on voyait les salariés défiler pour soutenir leur employeur. Les exploités ont donc défilé avec leurs exploiteurs. Cet amalgame repose sur une véritable escroquerie. Si une OPA se traduit souvent par une restructuration, et donc des pertes d’emplois, il s’agit d’abord d’une lutte sans merci entre deux groupes de financiers et de capitalistes, entre deux géants de la distribution. L’habileté des dirigeants de Casino et de la bourgeoisie stéphanoise a été de faire croire aux salariés qu’il y avait d’un côté Casino faisant du social et de l’économie régionale, et, de l’autre, le méchant Promodès. Ils n’ont pas manqué de faire jouer l’ « esprit de clocher » comme si le Forez était en guerre contre la Normandie.

Grâce à la manifestation, la direction a réussi une OPA sur les syndicats. L’intersyndicale est restée muette sur la question des emplois précaires, la généralisation des temps partiels, la faiblesse des salaires, la défense du droit syndical dont on sait qu’il est particulièrement malmené à Casino, et le respect des conventions collectives.

La famille Guichard, J-Ch. Naouri (Rallye) — le prolo devenu millionnaire — et Halley (Promodès) défendent avant tout leurs intérêts, ceux du capital. N’oublions pas les propos musclés et injurieux des Guichard, Kemlin et consort contre les grévistes de l’automne 95, leur minable contre-manifestation poujadiste, ni les 6 000 emplois disparus après le rachat par Casino de Cedis, la Ruche et Rallye.

Après la grève des routiers, n’oublions pas la responsabilité des grands groupes de la distribution, dont Casino qui, favorisant la concurrence sauvage, contribuent à la déréglementation des transports et par là même aux conditions de travail scandaleuses des chauffeurs routiers.

Casino est-il prêt à réduire ses profits et à embaucher pour entre autre décharger les camions ?

Au lieu de huer la devanture du supermarché Champion (Promodès), les salariés devraient s’unir pour lutter contre leurs exploiteurs. Contre la déréglementation des transports, il faut l’unité des chauffeurs routiers (trahis par la CFDT), des producteurs et des consommateurs.

Le vrai combat se situe à ce niveau ; sur le plan de la lutte sociale, sans compromission. C’est notre combat !

Reynald Degemard
groupe Makhno (région stéphanoise)