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Sénégal

Éducation alternative et changement social

Le jeudi 28 mai 1998.

Les 18, 19 et 20 mars se déroulèrent à Dakar, au Sénégal, à l’initiative de l’ONG Enda Tiers Monde un atelier de réflexion sur l’éducation alternative et le changement social.

Les objectifs de ces rencontres étaient de dégager les hypothèses sur le changement social, d’identifier les processus d’apprentissages qui favorisent la créativité sociale de contribuer à l’élaboration d’un programme commun de recherche action autour de l’éducation alternative élaboré par les associations, ONG et ministère de l’éducation de base.

Ce colloque fut introduit par Jacques Bugnicourt, secrétaire exécutif d’ENDA Tiers Monde, Emmanuel Seyni Ndione coordinateur d’Enda Graff, Mamadou Ndoye, ministre de l’Éducation de Base et Thyde Rosell, déléguée de l’école libertaire Bonaventure. De nombreux représentants d’ONG, d’associations éducatives et culturelles, du ministère de l’Éducation de Base participèrent à ces travaux ; les ateliers de travail alternaient avec des visites d’expériences alternatives dakaroises.

Cet atelier débouchera sur l’élaboration d’une charte de l’éducation alternative et la mise en place d’un comité de suivi composé de représentants du ministère de l’Éducation de Base, d’ENDA, d’ADEF, d’Aide et action, Plan International. Ce comité en plus de la préparation d’un projet de charte, rédigera un compte rendu de ces rencontres, organisera un atelier de validation et recensera les ressources auprès des divers partenaires ; l’échéance est de deux mois le financement est pris en charge par l’ensemble des partenaires.

Le contexte

« Le Sénégal vit une crise économique qui a confiné d’importantes couches de la population dans la marginalisation et la précarité sociale. Les faillites des politiques étatiques sont à l’origine du désengagement de l’État des secteurs considérés comme vitaux, notamment celui de l’éducation. L’école durement secouée continue d’être un champ clos où l’échec scolaire est le lot de la majorité des élèves. Le taux d’échec et de déperdition scolaire est de 80 à 85 % par an, pour un taux de scolarisation de 53,7 %. »

Il n’existe pas de système scolaire endogène : les seules représentations d’un système éducatifs sont incarnées par l’école coranique et l’école française (modèle colonial). Le melting pot culturel sénégalais a conduit le gouvernement à se pencher sur l’apprentissage des langues nationales. Cette réforme décrétée il y a deux ans n’est toujours pas appliquée bien qu’un certain nombre de centres éducatifs alternatifs alphabétisent les personnes (adultes et enfants) dans leur langue maternelle.

L’éducation formelle ploie sous les difficultés matérielles. Elle a essayé à travers un certain nombre de décrets et circulaires de se pencher sur la coopération scolaire, les relations avec le milieu mais… la chape de plomb de l’examen d’entrée en sixième (qui ne concerne qu’une minorité des élèves du primaire), le poids de la hiérarchie, les représentations individuelles et collectives de la scolarité expliquent leur non concrétisation. L’éducation (même si l’État sénégalais a dernièrement débloqué des fonds) n’est pas une priorité nationale ni en terme de budget ni en terme de programme.

La création d’un ministère de l’Éducation de Base et des langues nationales n’a pu éviter le risque de scinder la population scolaire. Les expériences de l’éducation alternative s’adressent en priorité aux marginaux, aux femmes (sic), aux jeunes, aux enfants. La plupart des animateurs et des alphabétiseurs se forment sur le tas et… reproduisent ce qu’ils ont vécu dans le formel ou ce qu’ils pensent ce « qu’est un bon enseignement ». Le manque de moyens est criant, l’urgence sociale impose une simple reproduction des connaissances et un encadrement de la violence urbaine sans perspectives éducatives globalisantes.

Néanmoins la richesse des compétences, la valorisation des personnes, leur reconnaissance par le milieu où elles agissent sont des moteurs essentiels à une éducation véritablement populaire.

Sur quelques hypothèses émises dans les rencontres

Le postulat de départ est d’inscrire l’éducation alternative dans une lutte globale contre la pauvreté en vue d’un changement social. Les initiatives sont prises soit directement par les groupes concernés soit à l’initiative d’ONG deux questions apparaissent dans chaque atelier de travail : comment définir les objectifs de l’éducation alternative et pour quel changement social ? D’où découlent un certain nombre d’analyses et d’observations :

  • La finalisation des initiatives résulte d’une synergie entre l’analyse des besoins des groupes humains, une élaboration concertée des programmes, un abandon des enclos technicistes et pédagogiques.
  • Cela induit une distinction entre les objectifs des formateurs et ceux de la communauté éducative, une mobilisation de tous les acteurs afin de développer les capacités individuelles et collectives. L’accompagnement des projets transforme les rapports éduqués/éducateurs en participants d’une communauté éducative. Réfléchir sur l’autonomie des groupes et des personnes revient à inventer une véritable pédagogie alternative africaine.
  • L’hétérogénéité des groupes implique une coordination des expériences. Abandonner un modèle scolaire inadéquate implique une formation initiale et continue nouvelle. Le partage du pouvoir pédagogique implique l’élaboration d’outils institutionnels en adéquation avec la société sénégalaise (autogestion, participation, auto-organisation).
  • La mise en réseau (hors modèle) de l’ensemble de ces initiatives casse avec la spirale de l’éducation de classe et de son corollaire la mise sous tutelle de la pauvreté. La prise en compte globale des expérimentations induit non pas la création d’un modèle mais tendrait à l’élaboration d’invariants pédagogiques et institutionnels pouvant donner un sens social et général à une transformation du système scolaire sénégalais.

Des poursuites coopératives… à la solidarité internationale

L’intérêt posé par ce colloque en dehors de celui de la curiosité, du partage, voire de l’apprentissage nous est utile à plus d’un titre. Confrontés à la violence urbaine ou à une pauvreté sociale absolue l’ensemble de ces associations éducatives doivent prendre en main sans filet gouvernemental ou pédagogique l’avenir même de l’éducation populaire sénégalaise. La difficulté qui parfois peut nous apparaître également comme une force est qu’il n’existe aucun modèle viable ou satisfaisant pour construire un tel réseau éducatif. Ancrés réellement dans la cité ces centres partent des besoins, des intérêts réels des populations il n’y a pas de culture scolaire reconnue opposée à une culture populaire ignorée par l’institution scolaire… puisqu’il n’y a pas d’école ! Aucun consensus social n’enferme l’éducation dans un simple rôle de gendarme social. Un véritable rapport de forces peut s’instaurer à partir du moment où des liens, une charte, des outils adaptables par tous peut contrebalancer le vide éducatif. À nous d’apprendre à nous passer de modèle, de filet pour enfin nouer des échanges avec des partenaires non seulement à l’écoute des populations qu’ils encadrent mais véritables acteurs de la cité et auteurs d’une éducation alternative.

Alors c’est quand qu’on va où ? Quand va-t-on enfin participer à un mouvement alternatif éducatif international ?

La délégation du centre d’éducation libertaire Bonaventure