Accueil > Archives > 2003 (nº 1301 à 1341) > 1318 (1er-7 mai 2003) > [De la nature en général et des OGM en particulier]

De la nature en général et des OGM en particulier

Le jeudi 1er mai 2003.

De la nature et des écologistes

Non, la nature n’est pas une déesse bienfaitrice. Il me semble très important de le repréciser car chez la plupart des écologistes, la défense de la nature est le seul objectif. Cela vient souvent du fait que, consciemment ou pas, ces derniers se représentent la nature de façon « mystique ». Or la nature n’est pas une déesse, ni une quelconque « force » ou « énergie », c’est juste l’ensemble des êtres et des choses qui constituent l’univers ainsi que leurs interactions dans le temps. Si la nature est parfois bienfaisante, elle ne l’est pas tout le temps : séismes, tornades, épidémies sont là pour nous le rappeler.

Ainsi, le combat des écologistes se résume souvent à empêcher toute modification de l’ordre naturel établi. Or celui-ci a pourtant changé bien des fois depuis l’apparition de la vie sur terre. Cette défense de la nature devient alors, outre son caractère mystique, réactionnaire et conservatrice. C’est souvent sur ce thème d’un ordre naturel que se basent des doctrines autoritaires (pour plus de détails, je vous renvoie au livre L’Imposture écologiste de Philippe Pelletier).

Il me semble plus juste de vouloir défendre notre environnement plutôt que la nature, ce qui ne s’oppose plus à la modification de cette dernière, bien au contraire. Bien évidemment, l’écosystème dans lequel nous vivons est très sensible à ces modifications. Parfois, un changement, même minime, peut entraîner d’importantes variations. C’est pour cela qu’il faut prendre le temps de réfléchir, d’observer, de comprendre et d’étudier les possibles conséquences de toutes modifications de notre environnement avant de les réaliser.

Que sont les OGM ?

Venons-en donc aux OGM. Tous les êtres vivants sont composés de gènes, et ceux-ci se sont transformés, modifiés au cours de l’évolution de la vie sur terre, nous y compris. Les seules mutations qui peuvent intervenir sur nos gènes sont des erreurs de copie de nos propres gènes lors des divisions cellulaires. Ainsi, il est faux de croire qu’en absorbant des OGM nos gènes risquent de muter. À aucun moment les gènes des aliments que nous absorbons n’influent sur nos propres gènes, sinon nous risquerions de muter non pas uniquement lorsque nous mangeons des OGM mais pour tous les aliments que nous ingérons.

Non, les problèmes avec les OGM ne viennent pas de là. Ils sont de trois types : économiques, sanitaires et environnementaux.

Les problèmes économiques

Sous prétexte d’intérêt philanthropique (pouvoir nourrir le monde entier par exemple ou encore trouver un médicament pour guérir du sida ou d’autres maladies), quelques multinationales font d’énormes profits aux dépens de la société. Tout d’abord, ces prétendus intérêts philanthropiques ne sont qu’une mystification : en effet 78 % des carences alimentaires se produisent dans des pays (principalement dans des pays du tiers-monde) qui ont un surplus agricole. La véritable cause des problèmes de nutrition n’est pas un manque de production mais une mauvaise répartition des richesses, la surproduction étant d’ailleurs l’un des principaux problèmes actuels de l’agriculture ! En ce qui concerne les progrès médicaux, les brevets sont là pour nous rappeler que seuls ceux qui seront suffisamment riches pourront en bénéficier.

Ce que veulent réellement les grands groupes agrochimiques (Monsanto, Novartis, Du Pont et Aventis pour les plus importants), c’est créer des semences qui ne pourront pas être réutilisées par le paysan afin que, chaque année, celui-ci ait à retourner chez son fournisseur, créant ainsi un lien de dépendance artificielle entre le paysan et ses grandes multinationales. Alors que, sans OGM, il suffit que l’agriculteur garde une faible partie des graines récoltées afin de réensemencer son champ. Au bout du compte, les OGM ne sont qu’un prétexte pour créer de nouveaux privilèges, de nouvelles inégalités. Sans compter que ces grands groupes vont également en profiter pour vendre leurs propres insecticides et herbicides auxquels seules leurs plantes seront résistantes.

Pour arriver à leurs fins, ils tentent, avec l’aide de nombreux médias et d’autres lobbies technologiques, de nous faire miroiter un futur où la science réglera les moindres problèmes. Cela leur permet d’une part de doper leurs actions en Bourse mais aussi de nous formater l’esprit, nous, en tant que consommateurs (pour nous forcer à croire que les OGM sont bons, mais aussi, dans d’autres domaines, pour nous faire acheter le dernier téléphone portable, baladeur mp3, etc.), ainsi que les agriculteurs en leur faisant miroiter un travail plus facile et un meilleur rendement. Mais en ce qui concerne les bénéfices pour les agriculteurs, cela reste à démontrer vu le coût des semences.

Bien sûr, il faut reconnaître que la science apporte régulièrement de précieuses aides dans tous les domaines. Il est hors de question de sombrer dans un obscurantisme luddiste ou primitiviste rejetant en bloc toutes technologies : ces dernières ne sont ni bonnes ni mauvaises — elles présentent juste des avantages et des défauts —, cela dépend surtout de leurs utilisations. Néanmoins, avant d’utiliser toute nouvelle technologie, il est nécessaire de bien les étudier, ce qui est loin d’être le cas pour la génétique.

D’autre part, par l’intermédiaire des brevets, les grands groupes renforcent encore plus leurs privilèges et creusent des inégalités économiques et sociales. Bien qu’il soit interdit de breveter le vivant, il n’est pas interdit de breveter de la matière vivante (la nuance est subtile) c’est-à-dire l’ADN et les applications qui en découlent, entre autres les thérapies géniques. Si un jour il devenait possible de maîtriser de manière suffisamment sûre la génétique et ses applications, alors seuls les plus riches pourraient en jouir.

Les problèmes sanitaires

Les risques pour la santé sont également importants. En effet, les entreprises biotechnologiques ont réussi à imposer dans les réglementations que les aliments génétiquement modifiés était équivalent aux aliments « ordinaires ». Cela a pour conséquence que ces aliments n’ont pas besoin de test de nocivité.

Pourtant, les aliments transgéniques ne sont pas équivalents puisqu’on leur a rajouté d’autres gènes qui modifient leurs propriétés : ces gènes peuvent produire parfois des substances toxiques, entraîner des allergies, augmenter la résistance aux antibiotiques ou encore changer de façon significative la valeur nutritionnelle d’un aliment. Or cela n’est pas indiqué sur l’étiquetage des produits OGM.

Les problèmes environnementaux

Ces problèmes sont de plusieurs ordres. Tout d’abord, la création de plantes résistantes à des herbicides encourage l’utilisation de ces herbicides plutôt que des techniques plus traditionnelles et moins polluantes. Les plantes insecticides sont elles aussi dangereuses pour l’environnement. D’une part, elles tuent certains insectes non nuisibles de la même espèce que des insectes ravageurs, modifiant ainsi de façon souvent incontrôlée l’écosystème. D’autre part, en produisant continuellement le même insecticide, ces cultures accélèrent la résistance à cet insecticide des ravageurs que l’on voulait combattre, obligeant les agriculteurs à revenir à des produits chimiques polluant le sol.

Mais le principal problème environnemental provient de la pollution génique, c’est-à-dire de la « contamination » par ces nouveaux gènes des plantes voisines de la même espèce. Ces plantes possédant alors des gènes leur permettant de mieux supporter les contraintes du milieu, elles pourraient plus facilement s’imposer face à la végétation d’origine, détruisant encore de manière incontrôlée notre environnement de façon irréversible.

Alternatives et faux problèmes

Nous venons de voir que, dans l’état actuel des connaissances, les OGM présentent des inconvénients non négligeables. Et, pourtant, certaines multinationales n’hésitent pas à nous exposer à ces risques pour gagner toujours plus d’argent. Cela est intolérable, surtout lorsqu’il existe des alternatives durables et respectueuses de notre environnement en ce qui concerne l’agriculture (recours à des résistances naturelles, pratiques culturales appropriées, lutte biologique, etc.) et que les OGM ne résolvent pas les problèmes invoqués (malnutrition, famine, soins).

La recherche

Contrairement à la plupart des opposants aux OGM, je pense que la recherche est nécessaire car elle peut nous apporter sur ce sujet de précieuses informations, entre autres une meilleure connaissance des risques et une estimation des possibles bénéfices des OGM, tout comme pour toutes nouvelles inventions ou découvertes.

Mais de quelles recherches s’agit-il ? Si la recherche, est soumise aux impératifs de grands groupes capitalistes, nous ne pouvons rien en espérer, surtout pas l’objectivité nécessaire dans ce domaine. Actuellement, en France, on assiste à une privatisation de la recherche publique, puisque les crédits ou des aides sous formes de contrat avec des entreprises privées, vont être versés aux laboratoires dont les recherches seront utiles (rentables ?) à court terme pour ces entreprises de « biotechnologie ». Ainsi, la lutte anti-OGM, tout comme celle contre le nucléaire, doit passer par une lutte pour une recherche objective et indépendante. Cela ne veut pas dire qu’il faille donner carte blanche aux scientifiques. Cette recherche doit être menée en suivant le principe de précaution (par exemple, éviter les expériences à l’air libre) et accompagnée d’un réel débat de société, où les scientifiques ont pour rôle de nous informer le plus objectivement possible. Ce n’est ensuite ni aux scientifiques ni aux politiciens, et encore moins aux firmes multinationales de décider, mais à la société.

Pour aller un peu plus loin sur ce sujet, je vous conseille la lecture du livre de Jean-Pierre Berlan, La Guerre au vivant aux éditions Agone.

Gijomo


Gilomo est militant de la lisaison Toul de la Fédération anarchiste.