Vaincre la déviance, prévenir la délinquance et/ou toutes les formes de dépravations sociales chez les enfants et les jeunes. C’est autour de cette idée force que s’articulent toutes les activités et initiatives menées.
Aupej, née du secteur social informel a tiré profit de ses fondations. Cette association œuvre pour la mise en place d’un système socio-éducatif de prévention contre les fléaux sociaux contemporains : analphabétisme, déperdition scolaire, drogue, prostitution, délinquance juvénile, sexualité négative, maternité rapprochée, maltraitance, marginalisation des enfants, chômage et exode féminin.
Elle s’appuie sur un réseau communautaire. Elle n’a pas présenté des outils sociaux et culturels clé en main aux habitants mais les a construits avec eux. Ce travail préparatoire est émancipateur dans la mesure où les populations apprennent à lire leur environnement, s’approprient des besoins réels et tentent d’y répondre de façon autonome. En effet AUPEJ coordonne la vie associative alternative et participe à l’éclosion de pratiques sociales ou économiques émancipatrices. À la fois but et moyen, cette autonomie demande du temps, découle de tâtonnements, de mise en synergie très éprouvantes pour la collectivité et les personnes.
La lutte pour imaginer des solutions à des problèmes sociaux urgents est entravée par les difficultés économiques, les lourdeurs administratives. La stabilisation de ces espaces éducatifs devient donc un enjeu social non seulement pour l’émancipation présente des participants mais pour la pérennisation d’espaces collectifs alternatifs. Pour créer, il faut du temps et de l’avenir !
Réinventer le présent pour construire d’autres futurs
Dans les années 90, alors que les nations occidentales faisaient de l’éducation et de la formation du citoyen leur cheval de bataille, le Sénégal, sous l’injonction du FMI et de la Banque mondiale se désengageait de l’école. Cette démobilisation s’est traduite par le non-renouvellement du personnel enseignant et la réduction du budget alloué aux institutions scolaires ; par le recrutement d’enseignants volontaires sous-payés et sans aucune garantie sociale. La grogne des syndicats enseignants et estudiantins aboutit à deux années blanches sans pour autant infléchir le pouvoir alors en place. La conséquence de ce désengagement fut l’augmentation des classes à double flux avec des effectifs pouvant aller jusqu’à 60 élèves par classe.
Inévitablement, le taux brut de scolarisation baisse. Il était en 1988-1989 de 57,3 %, il n’est plus qu’à 54,3 % en 1992. Un enfant sur deux a accès à l’école. Une fille sur trois a accès à l’école. Un enfant sur trois franchit le cap de l’enseignement moyen. Le taux d’analphabétisme des 15-55 ans est de 73 %.
À Tivaouane, face à cette crise qui affecte en premier les couches sociales les plus défavorisées, des hommes et des femmes de tous âges se sont organisés en une association dénommée Actions utiles pour l’enfance et la jeunesse (Aupej). Forts du concept cher à Michel Authier (« personne ne sait tout mais tout le monde sait quelque chose »), des enseignants, des éducateurs, des élèves, des étudiants et des femmes au foyer ont décidé de mutualiser leur savoir, leur savoir-faire et leur disponibilité pour faire reculer l’ignorance, la pauvreté et le fatalisme populaire.
C’est ainsi qu’à la rentrée scolaire de 1993, au coeur même du quartier Fogny, plus de 150 jeunes firent leur apprentissage de la lecture, de l’écriture en même temps que des techniques manuelles qui répondaient le plus souvent à leurs besoins les plus immédiats, à savoir : acquérir le savoir-faire minimal requis pour s’insérer dans le tissu socio-économique et se réaliser comme être humain recouvrant sa dignité par le travail. Apprendre et se former aussi pour devenir un citoyen à part entière, prenant part à toutes les décisions politiques et sociales le concernant. Voilà pourquoi des programmes de grandes envergures sont élaborés : case des tout-petits transformée peu après en classe enfantine ; cours de soutien scolaire pour élèves en difficulté ; un collège-lycée entièrement autogéré pour et par les jeunes en déperdition scolaire ou malchanceux aux examens (brevet et bac) ; des ateliers de couture et de broderie pour jeunes filles exclues du système ou non scolarisées ; des cours d’alphabétisation fonctionnelle pour les femmes commerçantes et ou ménagères du quartier. Il nous plaît de rappeler que tous les acteurs bénéficiaires de ces programmes ont pris part à l’élaboration de leurs contenus lors des « fora » de quartier, ces instances de discussion, de confrontation d’idées et de prise de décisions auxquelles tous les habitants du quartier sont conviés, en un mot un véritable laboratoire de démocratie participative.
Aujourd’hui Aupej c’est aussi une banque populaire communément appelée « caisse des femmes » qui octroie des prêts à un taux réduit et à long terme à toutes celles qui veulent se lancer dans le commerce. Et une mutuelle de santé pour pallier l’absence de protection sociale. Toutes ces structures concourent à impulser de nouvelles formes de solidarité pour lutter contre la pauvreté et les logiques d’exclusion.
Vaincre la déviance, prévenir la délinquance
Depuis son implantation, Aupej a contribué efficacement à juguler la violence dans le quartier. Dans toutes les cités du monde, que ce soit à Bronxville (États-Unis), à Épinay (France) ou à Yeumbeul (Sénégal), tant qu’il y aura des jeunes exclus ou abandonnés à eux-mêmes parce qu’ils sont arabes, noirs ou simplement fils d’immigrés, il y aura de la violence avec son cortège de criminalisation sous toutes ses formes.
Une crise, écrivait Hannah Arendt ne devient catastrophique que si nous y répondons par des idées toutes faites, c’est-à-dire par des préjugés. Non seulement une telle attitude rend la crise plus aiguë mais encore elle nous fait passer à côté de cette expérience de la réalité et de cette occasion de réfléchir qu’elle nous fournit.
À Tivaouane, au mois de juin 2003, les habitants du quartier Fogny, d’un commun élan, souffleront les dix bougies de l’existence d’Aupej, tout en continuant à réfléchir sur la crise scolaire, économique et sociétale et pour impulser de nouvelles alternatives éducatives et sociales.
Amadou Ka, ancien "enfant" d’AUPEJ, il fut un des animateurs puis son président.