Ce soir je ne parle pour personne ;seul à seul peut-on parler pour tous ?Cela s’apparente à peu près à un calcul,à une soustraction de l’espoir ;C’est moi que j’interroge.Je parle à voix basse à l’oreille du temps ;pas même celui de l’Histoire,je parle à l’oreille de mon temps à moi,celui de ce cœur qui brûleet qui n’a pas fait la part des cendres -je veux parler de l’amour, de mon cœur,ce muscle dans ma poitrine, qui, quelque jour, fléchira.Bien sûr la justice nous importe,une justice où rompre les pontsavec la sollicitude des maîtres.C’est qu’il faut prononcer ce soir la misère des spécialistes :parmi les hommes de justice se trouvent des bourreaux.Pourquoi parler ainsi à moi-même ?Chercherais-je un frère au-delà de moi-mêmeet contre les bourreaux ?Le voilà bien ce fagot d’épines dans le feu partagé,cette haute flamme jetée sur les épaules du temps,notre preuve et notre fidélité.Leur justice n’est rien si elle n’élargit le cercle de ce feu.Ce soir je ne parle pour personne.Pourtant ma révolte est intacte,et je ferais fi de l’épreuve du temps si les hommesde justice ne perdaient pas le sens de la Terre,Car je suis le premier hommeet je suis aussi le dernier homme,comme toi, mon camarade.Et je vous vois venir, vous,la procession des réalistes sans imagination,je vous vois venir et je ne regrette même pas ce sourireque depuis longtemps vous avez tué en moi, et qui passe,éphémère, sur la bouche des enfants.Ici comme ailleurs ce sont les morts qui gouvernent.Cadavres je vous désigne.Rien n’a changé depuis le garde-chiourme des galères,et vous avez les yeux pleins de transatlantiqueset de satellites artificiels.Juifs, Tsiganes en rupture de ban, nègres de toujours,mes frères courageux à la peau de tambourqui vous délestez dans la fête de ce peu de tempsqui ne vous appartient pas,je vous salue d’une balle dans la tête de Dieu.Mais ce soir je ne parle qu’à moi-même.Seul à seul peut-on parler pour tous ?
Claude Kottelanne