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Les Services publics

les principes
Le jeudi 28 octobre 2004.

Ce texte est la première partie d’une analyse sur les services publics. Prochainement, Jacques Langlois fera le point sur leurs actuelles disparitions en France et en Europe.



Dans cette première partie, il s’agit de donner les raisons pour lesquelles nombre d’activités devraient être prises en charge par des services publics. Exemple : l’édification d’un phare. Tous les navires y ont intérêt, mais personne ne veut ou ne peut le financer seul. Si l’usage du phare est gratuit, tout le monde est content. S’il devient payant (et plus le péage est élevé, moins il y a d’usagers), les bateaux essaient de l’éviter et se moquent alors de la sécurité. C’est pourquoi si le phare était une entreprise privée, il ne serait jamais rentable et la société paierait les dégâts des naufrages.

C’est un premier critère de la nécessité d’établir des services publics : là où l’intérêt privé ne peut suffire, la puissance publique est obligée d’intervenir, ce qui contredit la thèse libérale de l’harmonie spontanée des intérêts. Autre particularité des services publics : l’usage par l’un n’enlève rien aux autres. Il n’y a pas rivalité entre les usagers, ni restriction à l’usage.

Autre critère souvent utilisable : le bien public est d’autant moins coûteux pour chacun qu’il y a plus d’utilisateurs. C’est le cas de tous les réseaux (EDF-GDF, route, téléphone, etc.). C’est ce qu’on appelle les rendements croissants : à investissement donné et constant, le prix unitaire d’usage diminue à proportion de la baisse du coût unitaire de production due à la division de la valeur de l’investissement par le nombre d’usagers.

Un réseau, c’est aussi un « monopole naturel », car il n’y a aucun intérêt à multiplier le nombre de réseaux et à les mettre en concurrence. On observera tout de suite que si les réseaux sont privatisés, les propriétaires capitalistes en obtiennent la rente desdits rendements croissants. Ou c’est l’État qui gère le réseau, auquel cas il se met la rente dans la poche. Dans le cas de ces services publics, Proudhon se battrait pour qu’il n’y ait ni étatisation ni privatisation. Il y aurait « socialisation », c’est-à-dire propriété en main commune par une fédération de la production et de la consommation et par les collectivités publiques. La gestion serait confiée aux salariés.

Mais, jusqu’à présent, je n’ai abordé que les déterminants économiques du service public socialisé. Maintenant, les choses dépendent des cas de figure.

Une première catégorie de services publics peut reposer sur les principes mêmes d’une république démocratique établissant des principes publics : égalité d’accès à des biens fondamentaux pour une vie digne, neutralité de traitement, respect de la dignité de chacun traité comme citoyen appartenant à la communauté, égalisation des chances, continuité du service pour tous, respect de la liberté (notamment par la diversification des solutions sous le même principe pour tenir compte des parcours et des histoires de vie), simple équilibre des comptes, baisse permanente des coûts en fonction des progrès de technologie et d’organisation (mutabilité).

Ce « paquet » permet de regrouper l’éducation, la justice, la police, l’armée, etc. La caractéristique principale de cette première catégorie est d’être d’emblée liée à la justice sociale conçue comme égalisation des chances et équité des conditions et situations. C’est, du reste, ce qui devrait être une ligne de partage claire entre socialistes et libéraux : le sort conféré aux services publics socialisés. Et ils visent aussi à l’égalisation des conditions de vie dans les territoires, à l’aménagement du territoire, à la sécurité des fournitures et des approvisionnements.

Une deuxième catégorie de services publics relève d’une considération supplémentaire. Ils demeurent payants, car cela dépend de la consommation et car il convient d’encourager la responsabilité des consommateurs. Tout en obéissant aux mêmes principes que les premiers, ils ont une caractéristique commune : ils sont indispensables à la vie digne à un moment donné.

Ce qui veut dire que leur liste est évolutive car les critères des besoins évoluent en fonction des progrès technologiques et des conceptions sociales de la bonne vie. Ils sont aussi indispensables et non substituables, ce qui peut varier aussi. Prenons le cas de l’électricité. C’était un bien de luxe en 1900. C’est un bien indispensable aujourd’hui. Cependant l’électricité peut être produite par différents moyens. Le gaz, le charbon, le fuel, les énergies renouvelables. Dès lors, ce qui est le bien indispensable, c’est l’énergie, quelle que soit sa source. Et c’est dans ce domaine global que l’on devrait avoir une politique et une action générale d’un service public de l’énergie !

Une troisième catégorie de services publics à socialiser peut se trouver dans les biens non gérés par un réseau mais que leur consommation ne détruit pas et qui peuvent être facilement reproduits et diffusés.

Par exemple, le savoir transmis sous forme de livre n’est pas enlevé à son auteur, et on peut en éditer autant qu’on veut à un coût marginal très faible de la dernière unité produite sans en priver qui que ce soit.

Il en est de même pour un CD, un DVD, un film, un logiciel, un enseignement assisté par ordinateur. Bref tout ce qui relève de la culture, de l’information, de l’éducation ou de l’instruction et peut être reproduit à l’infini.

Vous devinez la solution proudhonienne : socialisation de ce secteur avec propriété en main commune de la fédération des communes, régions, des associations, des syndicats de la culture et limitation dans le montant et dans le temps des droits d’auteur et des brevets. Cela amène à un nouveau genre de service public potentiel : les activités ou industries où il y a rendements croissants et utilité publique. C’est déjà le cas de beaucoup de services culturels, pour lesquels cela constitue une raison de les socialiser.

Jacques Langlois