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À chacun sa galette

Le jeudi 16 janvier 2003.

« Les pêcheurs vont devoir repêcher la lune et le soleil pour les laver »

(Gamin anonyme d’une école maternelle. Quelque part)



Cette petite phrase qu’on croirait prononcée de la bouche d’un indien dépossédé mais encore amoureux de la terre, cette petite phrase naïve et empreinte de tout le respect que l’on doit à ce que la nature nous offre de richesses gratuites, cette petite phrase prononcée et recueillie au hasard sur un site Internet illustre merveilleusement le désarroi et la colère que chacun est en droit de ressentir aujourd’hui.

Eh oui le capitaliste est un porc et la mer est sa soue. Rien de neuf sous le soleil de l’Atlantique. Rien qui brille. Que des galettes de goudrons sales, que des cormorans englués, des macareux transis, des albatros que cette fois-ci, leurs ailes de géants collées par le fioul empêchent de marcher et même de voler. On l’a déjà dit, les marées noires sont un désastre écologique, une illustration de ce que la soif de profit peut engendrer. On le dira encore. Ce naufrage n’est pas unique et se reproduira un jour, quelque part. Des équipages philippins, des immatriculations au Libéria, des pavillons panaméens : la mondialisation est déjà largement en place. Et si les prolétaires n’ont pas de patrie, qu’on se rassure, les profits non plus.

Mais Prestige ou pas il faut ramasser la merde des autres. Alors allons-y et commençons par celle du conseil régional de Loire-Atlantique qui n’échappe pas à son petit poulet de complaisance. André Trillard, président du département donc, préconise de « lancer une réflexion autour de la notion d’atteinte à l’intégrité du territoire » (authentique !) et bla bla bla, dans un communiqué officiel dans lequel il est cité six fois en vingt lignes. Hé, Dédé, tu crois pas que tu commences un peu à nous les gonfler avec tes cours de morale à deux balles. Et celle-là : « Ce sujet essentiel doit être à l’ordre du jour », devinez de qui est cette connerie : Jacques Chirac. Ne soyez pas des déçus du 21 avril il fallait s’y attendre. Sauf que la phrase date du 15 janvier 2000. Alain Juppé auteur d’un arrêt anti-mendicité à Bordeaux va même offrir cent-soixante lits à tous ceux et toutes celles qui vont venir mouiller le maillot. Sa majesté est trop bonasse. Les scientifiques affirment que le bateau poubelle continue de déverser quatre-vingt tonnes par jour, cent-soixante pékins c’est un peu djeuste ! Heureusement qu’il y a l’armée. Toujours prête à dégueulasser ses rangers, les militaires désormais professionnels sont finalement aussi bien ici qu’à Bagdad. Faut bien justifier sa solde. Et que l’armée irait-elle donc bien foutre à Bagdad d’abord. Ah oui ! Défendre notre approvisionnement en pétrole. Hé oui ! Tin, il y a un truc qui m’a échappé !

Le plus obscène et peut-être finalement le plus drôle, si on prend un peu de recul, reste cette réflexion de Xavier Pintat sénateur maire UMP de Soullac qui refuse de faire appel aux bénévoles, jusqu’ici tout va bien, et préfère utiliser des militaires, des salariés communaux et des CDD et estime qu’il faudra faire appel aux bénévoles en tout dernier recours, en raison de problèmes de santé et de discipline. De discipline ? Hé, Xav’qu’est-ce que tu veux dire par là ? Qu’est-ce que tu mets derrière les mots ? Que les chômeurs pleins de bonne volonté sont des voleurs et des dévoreurs d’enfants et qu’ils n’ont que ce qu’ils méritent ? Qu’on ne veut même pas d’eux pour balayer la merde des autres ? Qu’ils sont aussi bien à faire la queue à l’Assedic qu’à faire les cons sur la plage et venir prendre l’air avec leurs petits poumons de fumeurs de joints à marée basse ? Et puis des fois qu’ils se mettraient à barboter les bottes en caoutchouc ou les seaux en plastique. On croit rêver.

Il reste que cette affaire en rappelle une autre, puis une autre puis encore une autre. Qu’elles s’appellent Torrey Canyon, Erika, Exxon Valdez, Amoco-Cadiz, et j’en passe. L’impuissance de ceux qui subissent, l’arrogance des armateurs, l’incompétence des politiques et la pingrerie légendaire des compagnies d’assurance. En caricaturant à peine. Ces compagnies en effet répugnent à ce que les régimes de responsabilités illimitées soient mis en place et ne font pas les efforts nécessaires pour vérifier le bon état des navires et balancer à la réforme les rafiots tout pourris.

Mais leur seule et vraie angoisse est bien celle-ci. Pourvu que la marée noire n’atteigne pas l’île d’Yeu ! Tu vois pas que la tombe de Pétain soit souillée…

Jipé