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Comment tout a commencé

Le jeudi 16 janvier 2003.

« La terre appartient à celui qui la cultive » avait déclaré le premier président ivoirien Félix Houphouët Boigny à la nation ivoirienne naissante, un peuple composée de soixante trois ethnies et un taux d’immigration dépassant les 25 %. Jusque là, la France régnait pacifiquement sur son ancienne colonie et récoltait les fruits de la culture intensive du cacao. La Côte d’Ivoire, alors l’un des pays les plus riches du continent, était devenu la vitrine africaine du modèle français.

Le 4 novembre 1999, à Tabou et à Grabo, des événements malheureux avaient provoqué un exode massif de Burkinabés, accusés de profiter des terres que leurs aïeux cultivaient depuis des décennies. Ces événements ont mis en relief la querelle latente, jusqu’alors maîtrisée par un régime à poigne, entre les ethnies qui se considéraient comme légitime sur ces terres, et les immigrés venu la travailler. Sous des pressions extérieures liées aux concurrences du marché mondial de cacao, les opposants au successeur d’Houphouët, Henri Konan Bédié, se sont nourris de cette tension identitaire pour revendiquer leur tour au pouvoir. Après la longue période de transition dangereusement menée par le général Robert Guei qui a suivi le coup d’État du 23 décembre 1999, dont les influences sont encore aujourd’hui discutées, l’un des principaux opposants, Laurent Gbagbo, qui était alors reconnu pour ses convictions démocratique, arrivera au pouvoir. Ces élections sont le théâtre d’une querelle constitutionnelle dont le principal but était d’évincer le représentant des Ivoiriens du nord Alassane Dramane Ouattara.

S’affichant de l’Internationale socialiste et chaleureusement salué dès son accès au pouvoir par Michel Rocard, le président Gbagbo mit en place un régime nationaliste sur la base d’une discrimination ethnique. Il faut rappeler qu’il est l’un des pères fondateurs de la notion d’« ivoirité », principe xénophobe qui est le cœur de l’incendie qui embrase aujourd’hui là Côte d’Ivoire. Sa politique d’identification consistait à attribuer aux nouveaux-nés un certificat de naissance de couleur différente selon que le père ou la mère était d’origine étrangère, et très vite, la population était invitée à prouver son ivoirité pour obtenir une toute nouvelle carte d’identité [1]. C’est par le limogeage maladroit d’une partie de l’armée ivoirienne qu’éclate, le 19 septembre 2002, le conflit qui n’a toujours pas cessé aujourd’hui, et auquel l’armée française s’est embourbée pour encore quelques années. Une guerre qui a pour but de la part de l’armée rebelle de reprendre Tabou, et le port de San Pedro (deuxième port du pays) et ainsi maîtriser la « boucle du cacao » qu’elle cultivait depuis des générations.

Olivier Leclercq


[1Le Monde libertaire du 24 au 30 octobre 2002 : Cacao contre pétrole irakien ?.