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« La Bartambule » de Claire Auzias

Le jeudi 6 novembre 2003.

Claire Auzias nous est surtout connue pour ses livres sur des femmes insoumises ou sur les Roms. Son approche frissonnante ou ses coups de rage sont présents même dans ses livres d’historienne. C’est que la gueuse s’en vint à l’histoire ou à l’anthropologie par les voies hérétiques de la poésie. Gélina Calamita, son premier livre, aujourd’hui introuvable, est dans les fulgurances graves et tragiques d’une poésie dont les portes battent sur les chaos d’une vie arrachée à elle-même par l’ignominie du monde qui nous est imposé.

Bien des années plus tard, voici la Bartambule, les éclairs pétrifiant le sable se sont faits ombres nocturnes, presque chansons. Ce qui hurlait, devenu plainte insidieuse « d’un temps noué au flanc de ses aspérités », scande en mineur les saisons de l’attente, qui n’en finira jamais de son défi à un monde minable. Monde entre vide et opacité, entre cons et profiteurs, d’où monte l’appel à la désertion. En finir avec le temps, passer les rideaux et les masques de la mort. De Gélina à la Bartambule, l’ironie convulse les faux-semblants.

S’en vient une autre géographie que celle qui nous oblige. Les continents s’y font émissaires de jeux de marelle, aux mots délicatement vitriolés « à cloche-pied ». Errances dans les nuits de Paris ou de Marseille, entre futile mélancolie et corps lancé aux étoiles, Villon palpite ici, là-bas c’est Gaston Couté dont nul ne devine la voix. Qui entend la charmille ? Toujours en partance, Claire Auzias en appelle à l’impalpable simplicité de ces instants où la tristesse, incrédule, s’écarte :

« Un poing, une brique, une page

Et des lisières ouvertes

À d’autres frémissements. »

Butte, cascades, courtille, cours Julien, Égypte et, plus loin, navire, goélands. La bêtise chavire. Déserter, te dis-je. On pressent dans quel creuset est né son projet d’un Guide du Paris révolutionnaire et comment elle pourrait fuser vers d’autres villes où palpite le feu de l’anarchie.

La Bartambule, mutine, se mutine. Le jeu, vent du défi, à la vie à la mort, nous tient debout. La gueuse nous a laissé quelques goualantes à gueuler sous cape, à jeter comme un gant à ce qui prétend nous soumettre, nous plomber. Bartambule n’a aucun foyer à garder.

Les dessins d’André Robèr, entre enfance et cri, laissent advenir les visiteurs des nuits sépulcres, d’où vient en ondoiement l’aube silhouette.

Marie-Dominique Massoni


La Bartambule, poèmes de Claire Auzias, dessins d’André Robèr, éditions K’A, 161, rue de Lyon, 13015 Marseille, 10 euros.

Guide du Paris révolutionnaire, émeutes, subversions, colère, L’Esprit frappeur avec Dagorno, 384 p., 29,74 euros.

Disponibles à Publico.

Poème du soir

Sur la rive d’un rêve maquillé

Glissait l’émissaire nord

Boueuse et court vêtue,

Je jactais à pierre fendre

Entre quatre continents baladeurs.

La couleur d’un crayon

Pointée, me narguait.

C’était, pour nos beaux yeux,

À tous revers proscrits.

Vous qui tenez aux frémissements

De mots

À cloche-pied

Attablés et narquois

Au bistrot inodore,

Oyez cette chanson

Mal an, au vestibule.

Alchimistes, mes chers

Levons l’encre aux coteaux

D’un relief anémié !

Les pleutres composants d’un banquet noctambule

Approchent d’imperceptibles sons

Gravés intensément

Sur nos verres !
Pluton

Pluton, plaît-il ?

Que frappez-vous si fort ?

À l’orée des bois morts

Cette nuit m’emmenâtes,

Bouche happeuse,

Gravir l’oreille immense

Des sons d’en bas.

Je m’éveillai fourbue.

Qu’irais-je entendre

Qui ne se dise ici ?

La meule des vivants

Ne l’ai point parcourue.

À la moindre margelle

Je posai un pied frêle,

Ravissant le soupir

Des gnomes de céans.

Allez, les choses ! Fétides horions !

Le faubourg dépierré,

Les orties languissantes

Au fœhn d’un reflux bref,

La rue s’ennuie, tardive batterie

D’épines électriques

Aux rengaines croupies.