Heike Hurst : Vous avez fait beaucoup de films sur l’espace urbain où vous employez le noir et blanc et la couleur de façon particulière. Avec Gabbeh et Num va Goldum, vous avez changé, de couleurs et de cinéma… Expliquez-moi l’emploi de la couleur et du noir et blanc.
Mohsen Makhmalbaf : Je n’ai réalisé que deux films en noir et blanc. L’emploi de la couleur et du noir et blanc ? Ça dépend du message que j’ai à faire passer. Dans Les noces des bénis je veux montrer la laideur, quand le personnage de mon film est sous tension, alors la couleur disparaît. Je veux montrer que dans cette société, il n’y a pas de couleur, il n’y a pas de joie. Dans Il était une fois le cinéma, je voulais montrer l’archaïsme d’une époque, donc le noir et blanc est utilisé pour faire époque, parce que c’était un film sur l’histoire du cinéma iranien, donc c’est cet archaïsme que je voulais montrer. Les noces des bénis : le noir et blanc dans le film exprime la tristesse. Dans Gabbeh, l’éclat des couleurs, la beauté. Je voulais créer la joie de vivre.
H.H. : Le rythme de vos films a changé. Avec Num va Goldum en particulier, on dirait qu’il y a une lenteur toute nouvelle ?
M.M. : Dans les autres films je cherchais à frapper l’imagination du spectateur, à l’attirer, à captiver son attention, alors que là, maintenant, je veux l’amener lentement, l’entraîner avec moi pour le toucher profondément. Peut-être même entrer dans le cœur des gens.
H.H. : C’est comme si vous aviez intégré dans le film une sorte de beauté au quotidien, permanente, tranquille…
M.M. : C’est l’histoire de l’amour, donc, je veux faire parler leur cœur. Je suis à la recherche d’une beauté qui existe dans la nature profonde des humains et c’est ce que je veux faire sortir.
Num va Goldum est une histoire entre le réel et l’imaginaire ; le passé et le présent.
H.H. : Néanmoins, votre histoire, dans sa construction est assez proche de ce que fait Kiarostami dans son cinéma.
M.M. : C’est lui qui a commencé. C’est lui qui a reproduit et raconté cette histoire qui m’est arrivé. Le film raconte mon histoire, le Makhmalbaf dans le film, c’est moi. C’est bien vrai que c’est moi qui joue dans le film de Kiarostami (Close up), tout comme c’est moi qui ait attaqué le policier (Num va Goldum) et c’est moi Makhmalbaf, aujourd’hui, assis en face de vous. Je suis donc Makhmalbaf avec sa réputation qui se met à la place de Makhmalbaf dans le film, tout est mon histoire. Il faut revoir le film !
H.H. : Dans Num va Goldum, on voit l’équipe qui filme au travail. On retrouve en partie vos techniciens, acteurs et collaborateurs de Salam Cinéma, par exemple l’acteur du Cycliste ?
M. M : Oui, il est devenu acteur grâce au film. Il fait partie de mon équipe. Mais maintenant il voudrait réaliser lui-même des films, donc il n’a plus tellement le temps. Le tournage à l’intérieur du film en train de se faire, c’est la vérité du film. La fiction qui se construit tout en étant derrière et devant la caméra, mon regard et le regard de l’autre réalisateur se croisent. Il y a le point de vue du policier et le point de vue… Non, enfin, c’est ma jeunesse qui regarde le policier.
H.H. : Dans ce cas précis, vous avez travaillé à partir d’un scénario écrit ou avez-vous improvisé à partir de cette histoire autobiographique ?
M.M. : J’ai toujours travaillé ou avec un scénario ou en improvisant. Dans ma vie, j’ai beaucoup écrit. Une trentaine de romans. En Iran, on me connaissait surtout en tant qu’écrivain. N’oubliez pas que de mes quatorze films, cinq sont interdits en Iran. Dont Num va Goldum. Ce genre de film très ouvert a même été interdit avant d’être vu !
Ça se détériore de jour en jour.
Heike Hurst — émission Fondu au Noir (Radio libertaire)