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Encore un procès de la solidarité

Le jeudi 17 avril 1997.

Monique et Hervé Richard, militants du GASPROM-ASTI de Nantes (Groupement Accueil Service et Promotion, Association de Solidarité avec les Travailleurs Immigrés), ont été condamnés le 6 septembre dernier à quatre mois de prison avec sursis et 3 000 FF d’amende chacun pour avoir établi un « faux certificat d’hébergement ». Hervé a bien voulu répondre à nos questions.



ML : Quel est le fond de l’affaire ?

Hervé : En mars 1995, j’ai aidé une personne de nationalité camerounaise à résoudre ses difficultés d’obtention d’une carte de séjour. En tant que parent d’enfant français, il pouvait obtenir de plein droit une carte de résident. Son problème était de ne pas avoir de domicile stable et donc aucun moyen de justifier d’un domicile auprès de la Préfecture. Je lui ai donc proposé de l’héberger. Et je lui ai fourni une attestation d’hébergement et trois factures d’électricité grâce auxquelles il a pu compléter son dossier en Préfecture et obtenir quelques semaines plus tard sa carte de séjour. Or, il n’est pas venu chez nous pour y passer, ne serait-ce qu’une nuit, bien qu’il aurait été bien reçu. Par une histoire assez compliquée que je ne détaillerai pas ici, ce certificat est arrivé entre les mains de la Justice, pour qui « il s’agit d’un faux certificat, émis délibérément en vue d’obtenir de manière indue des documents administratifs ». C’est officiellement pour cela que nous avons été condamnés et que la personne qu’on a prévu d’héberger a pris quatre mois de prison ferme.

ML : Pourquoi dis-tu officiellement ?

Hervé : Parce que nous avons le sentiment que la police et la Justice se sont servies de cette affaire de certificat pour porter un coup à la combativité et au moral de l’association GASPROM-ASTI de Nantes, association dont je suis l’ancien président. Cette association assez turbulente était dans le collimateur des autorités administrative (la préfecture), policière (la DICCILEC) et judiciaire (le Parquet de Nantes) depuis plusieurs années. Fin 1994, avec un grand nombre d’organisations nantaises, le GASPROM avait participé à une manifestation devant le commissariat central de Nantes où se trouve le centre de rétention du Grand Ouest de la France. Cette manifestation avait pour but de protester contre l’atteinte au droit d’expression et le procès fait au président d’une autre ASTI à Orléans, Jean-Pierre Perrin : il avait rédigé un tract contre la rétention des étrangers où il faisait un parallèle entre la situation actuelle faite aux étrangers et celle des années qui ont précédé la seconde guerre mondiale. Pasqua avait porté plainte pour « diffamation publique envers la police ».

ML : Il y a eu aussi la question des domiciliations à des demandeurs d’asile.

Hervé : Effectivement. Quand un demandeur d’asile arrive en France, il n’a en général aucune attache. C’est pourquoi des associations ou des avocats peuvent, en toute légalité, domicilier ces demandeurs. Cette domiciliation était une domiciliation administrative, c’est-à-dire une boîte aux lettres où les personnes domiciliées peuvent recevoir leur correspondance, notamment celle de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides). C’est ce que faisait le GASPROM et d’autres organismes à Nantes. Mais vers la fin de l’année 1994 et le début de l’année 1995, il s’est trouvé que le nombre de demandeurs d’asile domiciliés auprès du GASPROM a considérablement gonflé, essentiellement parce que l’adresse était de plus en plus connue, notamment de Roumain(e)s (plusieurs centaines en quelques mois). Cela déplaisait évidemment à la préfecture, qui se plaignait d’être engorgée et la police, pour qui cet afflux de Roumains posait des problèmes d’ordre public. En avril 1995, je fus convoqué devant un inspecteur de la DICCILEC pour répondre (déjà) d’un problème de « faux certificats de domiciliation », à partir de contradiction de dates sur des certificats de domiciliation détenus par deux demandeurs d’asile roumains. L’affaire n’avait pas eu de suite à l’époque, soit parce que les éléments matériels à charge étaient insuffisants, soit parce que la mobilisation avait fait reculer les magistrats. Toujours est-il que les administrations de l’État en ont gardé une certaine rancune vis-à-vis du GASPROM.

ML : Il y a donc un problème politique derrière votre condamnation ?

Hervé : C’est le moins qu’on puisse dire. Il y a un enjeu d’intimidation : par cette condamnation, c’est la remise en cause du droit à la solidarité dont il s’agit. Nous apprenons qu’après ce jugement, à Nantes aujourd’hui, des particuliers, militants ou pas, prennent peur, hésitent à venir en aide à des étrangers en situation irrégulière ou régulière.

Avec la loi Debré qui dit multiplication des pièces à fournir pour héberger quelqu’un (en début et fin d’hébergement), dit forcément progression des attaques de la part de la Justice pour faux certificat. Car en plus de la législation sur l’entrée et le séjour des étrangers en France, la police et la justice sont rompues aux procès pour faux et usage de faux. Les politiques de droite et de gauche, qui sont quand même les principales responsables de cette situation, ont préparé médiatiquement le terrain en s’en prenant successivement, aux « faux demandeurs d’asiles », aux « faux étudiants étrangers », aux « mariages de complaisance ». Ce travail de communication préparait le terrain à un durcissement du droit des étrangers, de la même manière que les discours du ministre mitterrandien Charasse contre les « faux chômeurs » prédisaient des attaques contre les prestations aux personnes sans travail.

On voit le résultat aujourd’hui : les exclus sont de plus en plus nombreux, les idées racistes se propagent, les étrangers se sentent rejetés.

ML : Et les militant(e)s sont criminalisé(e)s…

Hervé : C’est vrai, et cela dans tous les domaines où des gens, pas toujours militants, veulent dépasser les contraintes fixées par l’État. L’État utilise de plus en plus de moyens de pressions juridiques, policiers, sociaux pour faire rentrer ces personnes dans « le droit chemin ». Cela passe par les attaques du droit à l’hospitalité, contre des gens qui hébergent un ou une étrangère, originaire de pays du Tiers monde, mais aussi d’Europe, par exemple du Pays basque. Cela passe aussi par des pressions sur les parents pour obliger les jeunes à se faire recenser en vue des « rendez-vous citoyens », des attaques contre des personnes qui défendent le droit à l’avortement libre et gratuit, des atteintes au droit à la libre expression alors même que les leaders d’extrême droite distillent quotidiennenement leur venin.

Bref, l’Etat qui est censé être « le garant des libertés » est surtout le garant de l’ordre moral. On peut dire que nous sommes aujourd’hui dans une phase de « normalisation ».

ML : Vous prévoyez donc une mobilisation pour votre procès en appel ?

Hervé : Oui : notre procès en cour d’appel aura lieu à Rennes le 29 avril prochain à 14 heures. Pour l’instant, nous réfléchissons aux arguments à développer, mais nous comptons mobiliser sur le sujet du droit d’être solidaire, sur le fait qu’on a voulu aider quelqu’un à sortir de la spirale de l’exclusion : sans papiers, pas de travail, sans travail, pas de logement, sans logement, pas de papiers.

L’accusation parle de « complicité d’obtention d’un avantage indu » : comment un titre de séjour pour un étranger peut-il être vu comme un « avantage » ? La précarité serait-elle la normalité pour un étranger vivant en France ?

C’est aussi ces questions qui se posent : plus que des questions de société, des questions de civilisation !

Propos recueillis par le groupe Milly Witkop (Nantes)