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La Secte à roulettes

Le jeudi 17 avril 1997.

C’est jaune et ça a des roues, qu’est-ce que c’est ? Ce n’est pas un taxi, ce n’est pas un canari à bicyclette, ni un citron pressé, c’est un autobus sous le soleil de la place de la République, à Paris. Ça s’affiche aux couleurs des vacances. Derrière les vitres propres, je devine des corps, à moins qu’il ne s’agisse que de mannequins. C’est propre, bien briqué ; ça a la clarté d’un bloc opératoire avant que le sang gicle.

Me voyant approcher, lors d’une de mes sempiternelles dérives urbaines, de ce sympathique véhicule, une jeune humaine bien faite me fait signe et me tend une feuille de papier sur laquelle fourmillent des mots (en petits caractères) et des cases à cocher. « C’est un test de personnalité », me dit-elle. Pourquoi pas, après tout. Cela ne me fera pas plus de mal que quelques années de divan.

Mais, voyons… où suis-je donc ? Reculant d’un pas, je découvre un livre géant peint sur un des côtés de ce véhicule printaniers : « Dianétique », c’est écrit sur la couverture. Au début, je ne comprends pas. Ce mot ne m’est pas inconnu mais je n’ai pas l’habitude de ces mots étranges. Puis, tout d’un coup, ça me revient… Bien sûr ! la dianétique, l’église de scientologie, une bouillie intellectuelle échappée de l’esprit vieillissant d’un auteur de science fiction… un attrape pauvre gens perdus dans un monde trop dur… une pompe à fric de plus…

Et ça pullule au centre de Paris ! en 1997 ! et le bus est toujours propre ! et les vitres sont toujours intactes ! et les pneus sont à la bonne pression ! et il n’y a pas d’attroupement, de manifestation, de sit-in, de mouvement de masse pour extirper ce furoncle du soleil d’avril !

Non, sans doute je dois m’être trompé. C’est un mauvais rêve. Personne ne laisserait une chose pareille se produire.

Pourtant, en me réveillant, le lendemain matin, j’ai trouvé un questionnaire dans la poche de mon jean.

Ce bus ne contribuera pas à me réconcilier avec les transports en commun.

L’Atèle
Paris, le 12 avril 1997