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Lecture

Parlons cul

(contre l’hypocrisie puritaine)
Le jeudi 17 avril 1997.

Il est rare qu’une journaliste écrivant dans des périodiques aussi conventionnels que le New Yorker, Harper’s Magazine, la New Republic ou Vogue propose à la lecture un livre original, agréable et instructif.

Quand de plus, cette plume s’affirme « féministe », le pire est à craindre, pas tant sur la forme que sur le fond : la littérature qualifiée de féministe (une forme de sexisme à la mode depuis la fin du siècle dernier) se résolvant souvent en un salmigondis pleurnichard, languedeboîtesque et banalement réformiste (La plate-forme des dernières assises, publiée la semaine dernière dans le Monde libertaire en est un bel exemple).

Aussi quand une exception se présente, ne pouvons-nous manquer d’attirer l’attention de nos lectrices et lecteurs.

Notre environnement quotidien est profondément imprégné de sexualité sous toutes les formes possibles et imaginables.

Cependant, contrairement à ce que prétendent les esprits chagrins, cela n’a rien à voir avec une particulière décadence dont serait affligé le XXe siècle.

En effet, depuis la nuit des temps, l’être humain (les hommes aussi bien que les femmes) n’a cessé d’être préoccupé, sinon obsédé, par le sexe.

Dans le même temps, une répression systématique s’est acharnée longtemps sur tout ce qui pouvait être considéré comme du plaisir, par principe intrinsèquement pervers. Dans l’Amérique du milieu des années 90, cette vision puritaine où la peur le dispute à la honte et que l’on croyait appartenir au passé, a été reprise, avec une vigueur nouvelle, par une étrange coalition dans laquelle se retrouvent les intégristes religieux de droite et les intégristes du féminisme se proclamant de gauche, dites « les nouvelles victoriennes ». C’est contre cette dictature de « l’ordre moral » grâce à laquelle le « harcèlement sexuel » est devenu un délit majeur et regarder avec légèrement trop d’insistance une femme (ou un homme) peut conduire en prison que s’élève Sallie Tisdale.

À contre-courant de la tartuferie ambiante menaçant après les États-Unis de gagner l’Europe, ce livre est une apologie jubilatoire du plaisir sexuel y compris des formes habituellement condamnées comme la pornographie ou le S.M. Cette salutaire réhabilitation, un rien provocatrice, du sexe s’appuie à la fois sur l’expérience personnelle de l’auteur et sur une réflexion historique, politique, sociologique aussi bien que psychologique. C’est un texte clair et direct qui aborde la sexualité sans complexe ni jugement sur les comportements, un parfait exemple de la pensée développée par la nouvelle génération des féministes américaines.

Alain l’Huissier
alain@minitelorama.com