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Bienvenue aux immigrés !

Le jeudi 30 octobre 1997.

Le gouvernement veut se présenter comme réaliste et responsable. Ne régulariser que quelques milliers de sans-papiers et « toiletter » les lois Pasqua-Debré serait la seule démarche possible. Ainsi, la gauche voudrait fixer la limite du raisonnable. Au-delà de cette frontière, personne ne pourrait sérieusement s’aventurer.

Plus d’un millier de pétitionnaires demandent la régularisation de tous les sans-papiers. Chevènement les traite d’irresponsables. Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour défendre la liberté de circulation, le premier flic de France leur répond qu’ils sont des libéraux ou, sur un registre plus condescendant, des « gens sincères mais mal informés ».

Il faut savoir terminer une pétition

Pendant des années, les organisations antiracistes se sont contentées, dans leur grande majorité, de défendre des cas individuels « d’irréguliers », qu’elles considéraient comme étant plus « présentables » que d’autres, tout en refusant de remettre en cause la logique de contrôle des flux migratoires. Au fil du durcissement progressif à la fois de la législation et des pratiques concrètes de l’administration, cette logique « humanitaire » a montré de plus en plus clairement ses limites.

Les mouvements de sans-papiers ont mis en avant une autre logique, celle de la lutte collective. Leur auto-organisation leur a permis d’acquérir une autonomie vis-à-vis des organisations antiracistes et de leur démarche au cas-par-cas. Vivant tous la même galère, ils ont refusé de trier parmi eux ceux qui auraient une chance d’être régularisés et ceux qui n’en auraient aucune. Tout naturellement, le slogan, « des papiers pour tous » s’est alors imposé.

Quand la droite était au pouvoir, attaquer à coups de hache l’église Saint-Bernard choquait tous nos bons dirigeants de gauche. Aujourd’hui, Mauroy qualifie d’« insurrectionnel » le comité de sans-papiers de Lille. De son coté, le gouvernement affirme qu’il organisera l’expulsion des dizaines de milliers de sans papiers qui ne seront pas régularisés. Pour mener à bien ce projet, ce sont de véritables lignes régulières, sous contrôle militaire, que la gauche devra organiser. À côté, les charters de Debré paraîtront bien ridicules. Mais il n’y aurait pas d’autres solutions.

Demander la régularisation des cent vingt mille sans-papiers qui en ont fait la demande comme le réclament plus d’un millier de pétitionnaires n’a rien d’utopique. Pourquoi ce qui était possible en 1981 ne le serait-il plus aujourd’hui ?

Ne pas gêner les « camarades ministres »

Quand la droite était au pouvoir, signer des pétitions ou descendre dans la rue contre la loi Debré aurait constitué un salutaire sursaut moral mais aujourd’hui tout serait différent. Pourtant, la loi Chevènement se situe dans la continuité de celles qui l’ont précédée. Pour atteindre les mêmes objectifs, elle conserve évidemment l’essentiel de l’arsenal hérité de Pasqua-Debré, le renforçant même dans certains domaines. Mais la contester serait dangereux. Ce qui était vrai hier ne le serait plus aujourd’hui.

Pour faire passer la pilule, le gouvernement bénéficie de la compréhension-complicité de tous ses réseaux militants, qu’ils appartiennent à la gauche politique ou associative. Il ne faudrait surtout pas gêner les camarades ministres. Pour la forme, les Verts ou le PCF émettent des critiques mais c’est dans l’arène parlementaire qu’ils souhaitent « mener la lutte ». De leur côté, la LDH, le MRAP ou la Cimade placent leurs espoirs dans le lobbying ou les négociations de couloir. Pour espérer faire reculer le gouvernement, c’est pourtant dans la rue qu’il est plus que jamais nécessaire de construire le rapport de force.

Pendant ce temps, Chevènement défend son projet de loi. Il serait ferme et généreux, en un mot républicain. Sa grande ambition serait d’aboutir à un vaste consensus politique sur l’immigration. Être trop « laxiste » serait catastrophique, cela pourrait désespérer l’électorat populaire et le pousser dans les bras du Front national.

Cette rengaine nous est familière. Quand les pétitions fleurissaient contre la loi Debré, Raoult, alors en charge du portefeuille de l’intégration stigmatisait lui aussi les bons sentiments de « privilégiés » qu’il accusait de ne pas connaître la situation des classes populaires.

Vigipirate comme modèle de société

Pour combattre le Front national, il faudrait adopter sa logique. L’idée n’est pas nouvelle. Il y a quelques années, Fabius l’avait exprimé clairement : « le Front national pose les bonnes questions mais n’apporte pas les bonnes réponses ».

En l’occurrence, les réponses découlent pourtant logiquement des questions.

Affirmer comme le Front national que combattre l’immigration est nécessaire pour faire reculer le chômage, c’est se placer sur son terrain. Depuis quinze ans, on sait les conséquences désastreuses d’une telle démarche : elle ne fait pas reculer le Front national, qui apparaîtra toujours comme le plus conséquent dans cette surenchère répressive, mais elle lui apporte, bien au contraire, une véritable caution idéologique.

Bien sûr monsieur Chevènement, cette façon de poser les problèmes fait consensus, à gauche comme à droite. Mais c’est justement ce type de consensus qui est inacceptable.

Croire que partager le travail, en diminuant les salaires et en accroissant la flexibilité, serait un moyen de résorber le chômage, c’est se résoudre à partager la misère. Affirmer qu’il faut contrôler fermement les flux migratoires pour ne pas accroître le chômage, c’est accepter de faire de l’Europe une forteresse blanche et de Vigipirate un modèle de société.

Gérer loyalement ce système en se pliant à ses règles tout en prétendant pouvoir le rendre acceptable, c’est se fourvoyer dans une terrible impasse. Anarchistes, nous refusons de restreindre le domaine des possibles aux nécessités d’une société capitaliste et étatique que nous rejetons.

Tarek
groupe Durruti (Lyon)