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Terreur et manipulation

Le jeudi 30 octobre 1997.

Depuis maintenant deux mois, le peuple algérien subit une nouvelle escalade dans la terreur. La multiplication des massacres de civils suscite l’horreur et l’indignation mais aussi un sentiment de malaise. Une telle violence aveugle paraît irrationnelle.

Selon la thèse officielle, celle du pouvoir algérien, ces massacres constitueraient l’ultime sursaut d’islamistes armés acculés à la défaite. Désespérés, ceux-ci se vengeraient sur la population de manière impitoyable. Cette thèse a le mérite de la simplicité mais ne parait pas à même de rendre compte sérieusement d’une réalité qui parait beaucoup moins limpide.

Pour illustrer ce scepticisme, prenons l’exemple du carnage le plus meurtrier depuis cinq ans. La plupart des massacres ont lieu dans le réduit territorial Alger-Médéa-Blida, baptisé « triangle de la mort », où la présence des forces de sécurité est particulièrement massive. Situé dans cette zone, le village de Raïs a été le théâtre, le 29 août, d’une attaque d’un commando présumé islamiste causant la mort de deux cents à trois cents civils. Dans le vacarme des rafales de kalachnikovs et des hurlements, les assaillants ont pris tout leur temps. Pendant ces quatre heures d’horreur, les « forces de sécurité » ne se sont pas montrées ; une caserne militaire est pourtant située à cinq cents mètres. En toute impunité, les auteurs du massacre ont pu se replier.

Les informations, sous influence jusqu’à la caricature, permettent difficilement d’y voir clair. Depuis juin 1994, une précensure très stricte est appliquée en Algérie. Toute information à caractère sécuritaire doit recevoir, avant toute diffusion, l’aval d’une « cellule de communication » siégeant au palais du gouvernement. L’arrêté gouvernemental qui l’a instauré « recommande » à la presse de fournir une information « saine et crédible ». À cette fin, le journaliste doit « banaliser et minimiser l’impact de tout acte terroriste ». En revanche, il doit s’efforcer de « mettre en évidence le caractère inhumain » du forfait en privilégiant « l’égorgement », « l’attaque d’ambulance », « la mort et l’infirmité d’enfants ».

À la lumière de cette stratégie de communication, les déclarations de Zéroual sur « le terrorisme résiduel » retrouvent, de son point de vue, une certaine logique. La violence est résiduelle car elle ne remet pas en cause le pouvoir d’État. De plus, elle sévit dans une zone territoriale limitée. Enfin, elle épargne tous les dignitaires du régime. D’autre part, le pouvoir algérien cherche à démontrer la barbarie de ses opposants islamistes afin de leur nier toute légitimité. Ceux-ci ne doivent pas être perçus comme des combattants menant une lutte armée mais comme des terroristes. De ce point de vue, la nébuleuse GIA est mise en avant depuis des années au détriment de l’AIS, branche armée du FIS. Du point de vue du pouvoir, si le GIA n’existait pas, il aurait en quelque sorte fallu l’inventer.

En tous cas des secteurs du GIA sont certainement manipulés par plusieurs branches des services de sécurité. Malgré l’extrême opacité du pouvoir algérien, il semble que différents clans militaires se livrent, par tous les moyens, une lutte interne aux enjeux complexes.

Patrick
groupe Durruti (Lyon)