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Prud’hommes

Ils ont non-voté, et puis après…

Le mercredi 8 janvier 1997.

Dernière élection du XXe siècle pour les conseillers prud’homaux qui vont effectuer leur mandat durant cinq ans en qualité de magistrats non professionnels. Pour ou contre cette instance, il convient de constater que plusieurs dizaines de milliers de salariés vont faire appel aux prud’hommes, qui jugeront dans la majorité des cas des affaires de licenciements abusifs et condamneront des patrons à verser plusieurs dizaines de millions de francs, qui finalement passeront de la poche des patrons à celle des salariés.

Les Conseils de Prud’hommes (spécificité française que l’Europe laisse en paix tant qu’elle a d’autres chats à fouetter) sont, à la fois, une référence évocatrice pour bon nombre de travailleurs et une juridiction mal connue chargée de répondre aux litiges de nature individuelle relevant du droit privé qui leur sont soumis.

65,6 % de non votants

Contradictoirement, on constate une forte abstention qui a été largement soulignée par la presse officielle. Tous les éléments habituels évoqués dans le cadre d’autres élections peuvent être retenus mais d’autres ont été passés sous silence.

Si les salariés devaient être inscrits par leurs employeurs sur les listes électorales prud’homales (ou l’ANPE pour les demandeurs d’emploi), force est de constater que tel ne fut pas le cas. Pour ceux qui ont été inscrits, combien n’ont pas reçu leur carte d’électeur ? La responsabilité de l’administration dans cette affaire est entière. Le jour du vote, on a pu constater que dans les bureaux restaient d’importants paquets de cartes non distribuées sur lesquelles foisonnaient les adresses incomplètes ou erronnées.

Les listes fournies par les employeurs se sont, parfois, vues amputées de certains noms. Enfin, les exemples de vote rendu difficile (euphémisme) sur le temps de travail sont multiples. La section commerce, remarquable dans le domaine, comptabilise 72,4 % d’abstentions. Les abstentionnistes ont-ils choisi de ne pas élire leurs juges ?

Certains préfets, comme certains employeurs, ont largement permis ce pourcentage d’abstention. Ajoutons encore la désinformation avérée des médias, qui pour certains et non des moindres, annonçaient la fermeture des bureaux à 20 heures au lieu de 18 heures.

Dans le collège des employeurs l’abstention a été plus forte encore. Dans ce cas, la majorité des jugements défavorables aux patrons compte certainement pour beaucoup.

La campagne

Bien qu’elle ait été menée consciencieusement, la campagne de ces élections n’a guère été enthousiaste et elle fut généralement le reflet de l’activité ordinaire des organisations syndicales sur leur lieu d’influence, sans surprise significative. On ne s’étonnera pas dans ces conditions que la CFTC (syndicat par définition discriminatoire) perde des voix au profit de sa « fille aînée » la CFDT.

Chaque confédération avait pourtant intérêt à démontrer son audience pour s’imposer stratégiquement et « accessoirement » pour garantir ses subventions. Mais une information sur une période restreinte peut-elle conduire à des résultats décisifs ? En fait chacun s’est d’abord débrouillé avec ses moyens financiers et militants, apparaissant plus en fonction de l’image que du contenu.

La CFDT a confirmé la personnalisation (culte ?) de l’organisation avec l’image très présente de sa manager Nicole Notat confinant à la publicité que lui accorde les journalistes. FO apparaît également en la personne de son secrétaire général. Est-ce une bonne idée après des déclarations plus que sujettes à caution ? Outre cette remarque, le thème commun des uns et des autres consiste à appeler les électeurs à s’en remettre à ceux qui vont défendre leurs droits, un thème de délégation que la CGT a eu l’habileté de ne pas pratiquer avec son « faites-vous entendre ».

Les résultats

Ils sont sensiblement les mêmes que ceux de 1992 : entre tassement et légère progression. Seule la CFE-CGC essuie un revers, au profit semble-t-il de la CFDT. Le profil consensuel et d’accompagnement de cette dernière convient certainement mieux à une catégorie professionnelle, les cadres, à la fois inquiète des risques de licenciements et peu sensible au sentiment d’appartenance à la classe des exploités. Ce résultat conduira-t-il la CGC vers une recomposition dont on parle mais que le faible score de l’UNSA ne favorisera pas ? Faible résultat également du côté du groupe des 10 solidaires.

Reste à aborder les « apolitiques d’extrême droite », CSL, UFT, CFNT (sic). Avec l’émergence de cette liste, qui a admis n’être que l’officine du Front national, à l’occasion des divers recours qui lui ont été opposés. Avec elle, le FN souhaitait devenir un vrai parti fasciste avec une assise populaire structurée. La grande satisfaction de ces élections pourrait être de constater que l’essai n’a pas été transformé et que le peu d’élus que la CFNT avait obtenu au détriment souvent des deux autres, va se voir invalidée grâce aux procédures engagées par les grandes confédérations, accusées de terrorisme par les susnommées.

… et puis après ?

L’instance prud’homale ne présente certainement pas un caractère révolutionnaire. Elle doit être comprise comme une institution concourant à la paix sociale. Elle est souvent, pourtant, le recours des salariés qui viennent faire dire le droit (pas forcément de la justice) face à des patrons qui, quand ils sont condamnés, sont reconnus délinquants.

Le bouleversement dans le cadre limité des Conseils de Prud’hommes serait que les juges puissent, en cas de licenciements reconnus abusifs, prononcer la réintégration du salarié. La perte d’un emploi ne peut pas se compenser par une estimation financière. Si le droit devait évoluer dans ce sens, nous atteindrions un point de rupture intéressant.

Soyons clairs, le véritable espoir ne naîtra pas d’une enceinte de tribunal, la construction d’un autre demain se bâtit à coup de luttes et les jugements ne seront jamais que le reflet d’une situation plus générale : chez les nettoyeurs du métro comme chez les métallos de Saint-Etienne.

Jean
groupe Pierre Besnard (Paris)