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Évreux

Prisonniers immigrés, la liberté impossible

Le jeudi 15 janvier 1998.

Mohamed Ali Chakira a été incarcéré à la maison d’arrêt d’Évreux, le 11 septembre 1997, pour avoir usé de faux papiers. Dix jours avant sa sortie prévue le 11 décembre, il a reçu un « arrêté de reconduite à la frontière ». « Sortie » qui lui présageait alors une liberté plus que limitée, il avait de très grandes chances d’être attendu par les forces de police afin d’être immédiatement transféré en centre de rétention.

La situation dans laquelle il se trouvait était due à différents facteurs : un avocat commis d’office ayant peu à gagner avec un tel client et un service social d’aide aux étrangers de Rouen ne pouvant faute de temps (ou plus vraisemblablement, ne voulant) s’occuper des détenus. Pris de cours, car informés trop tardivement de l’absence de démarches, nous avons tout de même essayer de lancer un appel au préfet afin d’obtenir une suspension de son arrêté de reconduite à la frontière, certaines organisations nous ont suivi, d’autres, notamment au niveau local, n’ont pas répondu et cela a le mérite d’éclaircir la situation.

Finalement, le 11 décembre il n’a été ni libéré, ni transféré ; non du fait de notre action, mais d’un appel de son jugement, a priori effectué par lui-même, dont le verdict doit être rendu au tribunal de Rouen le 7 janvier 1998. Deux résultats sont possibles : une « libération » le 8 janvier, qui risque fort de le conduire directement en centre de rétention, ou une prolongation de sa peine (ce qui faute de mieux donnerait plus de temps pour agir).

Un soutien problématique

À l’heure où vous lirez ces lignes, Mohamed Ali est peut-être libre, toujours emprisonné ou dans un avion à destination de l’Afrique
 [1].
Ce cas précis aura été malgré tout révélateur, il nous aura confirmé ce que nous pressentions, à savoir que sur notre ville, le collectif des sans-papiers (regroupant PS, PC, AREV, LCR, FSU, LDH, RLF, Fraternité Partenia) n’est pas très offensif en ce qui concerne toutes les situations d’immigrés. Même si dans les discours il s’agit « d’être attentif à tous les sans-papiers », la réalité s’avère être bien différente.

Outre qu’une part de responsabilités, concernant l’urgence du cas de Mohamed Ali, revient à l’un des membres de ce collectif qui a laissé traîner la situation ; le plus révélateur eût lieu lors d’une réunion publique du collectif des sans-papiers, le vendredi 5 décembre. Suite à des propos avec lesquels nous sommes tous d’accord tels que : « il faut être vigilant », « il faut agir », « il est difficile de contacter les clandestins », « la double peine est quelque chose contre laquelle nous sommes tous opposés » ou encore « aujourd’hui l’on emprisonne des immigrés uniquement pour avoir utilisé des faux papiers, cela est inadmissible »… Et, comme c’est à l’œuvre que l’on reconnaît l’ouvrier, l’un d’entre nous a fait part du cas Chakira, « sans-papiers, incarcéré pour usage de faux papiers, facilement localisable, et menacé d’une forme de double peine »…

Tous les éléments précédents étaient réunis, une aubaine pour un collectif défendant a priori ces principes, enfin du grain à moudre avec une réelle possibilité d’action sur un cas concret… et bien non, les réactions ne furent pas à la hauteur des bonnes paroles précédentes, elles démontrèrent bien ce que cache leur beau discours, un manque flagrant de volonté à défendre tous les immigrés ; bien sûr, on ne peut pas généraliser, une organisation, Fraternité Partenia, a réagi dans notre sens, certains individus appartenant à diverses organisations nous ont aussi soutenu, mais globalement ce ne fut pas le cas, loin de là. Ce collectif, avant d’être efficace, semble surtout servir la bonne conscience de certaines personnes, de certaines organisations (dites de gauche, défendant les « Droits de l’Homme »), ce « tri » des étrangers, inacceptable sous la droite est devenu, malgré l’ambiguïté de leurs propos, la solution « réaliste » sous la gauche.

La double peine

Pour en revenir aux détenus immigrés, combien sont-ils, ceux qui du fait de leur incarcération, n’ont pu déposer de dossier de demande de régularisation Chevènement ? À notre connaissance, il en existe cinq autres cas à Évreux. Certes, tous les étrangers étaient en droit de déposer un dossier, mais encore leur fallait-il pouvoir réaliser cette demande, et ce qui est difficile pour des immigrés ne maîtrisant pas parfaitement le français, l’est encore plus lorsque l’on est emprisonné. Mais il est vrai que la mobilisation est faible autour des détenus en général, alors lorsqu’il s’agit d’immigrés, la question ne se pose pas, en particulier pour tous les adeptes du « tri » des étrangers, ceux-ci sont forcément mauvais et ils ne méritent guère d’intérêt de la part de nos concitoyens.

Pourtant, leur cas mérite une attention particulière, car si les clandestins « libres » peuvent encore s’organiser, les étrangers incarcérés peuvent difficilement voir leur situation se résoudre sans aides extérieures. Dans nos prisons françaises croupissent de nombreux cas d’individus « indésirables » qui risquent fort de ne plus pouvoir fouler le sol français en toute liberté. Il semble en effet que les détenus immigrés menacés d’expulsion, de reconduite à la frontière ou encore d’interdiction de territoire ne soient pas rares dans nos « geôles démocratiques ». Cette fameuse « double peine » dont on ne parle pas assez, sent le renfermé et a du mal à faire réagir l’opinion. Gageons que ce ne sera pas facile dans cette société de plus en plus sécuritaire, où les immigrés comme les délinquants sont de véritables boucs émissaires.

J.F.
groupe d’Évreux


[1Ne pouvant vous en dire plus pour l’instant, vous pouvez contacter le groupe d’Évreux pour toutes informations complémentaires. c/o CEREL, BP 263, 27002 Evreux cedex.