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Télévision

« L’Orchestre noir »

Le jeudi 15 janvier 1998.

Étonnant et courageux documentaire que celui réalisé par Frédéric Laurent, Fabrizio Calvi et Jean-Michel Meurice et diffusé par Arte en deux parties, mardi 13 et mercredi 14 janvier. Ce film tourné en 1997, dont on peut espérer d’après le producteur une sortie dans les salles de cinéma représente une somme d’investigations sur vingt ans, entre 1974 et 1977, puis entre 1992 et 1996 sur les attentats qui eurent lieu en Italie à la fin des années 60 et plus particulièrement sur celui du 12 décembre 1969, Piazza Fontana, à Milan.

C’est l’époque où, en Italie, un changement social paraît possible. Les manifestations sont quotidiennes, 1968 ne semble pas s’être arrêté. Cet attentat à Milan qui fait de très nombreuses victimes, choque l’opinion publique. L’enquête de la police s’oriente presque immédiatement vers les anarchistes, selon les directives des services secrets italiens, et pour cause : ce sont ces derniers qui ont organiser l’attentat… C’est l’histoire d’une machination incroyable qu’un scénariste de fiction n’aurait jamais pu imaginer qui a été patiemment et méticuleusement reconstitué.

Des anarchistes sont arrêtés : Pietro Valpreda, et Guiseppe Pinelli qui lors d’un interrogatoire fut défenestré du commissariat ; son meurtre maquillé en suicide.

En fait, des agents de la CIA, ceux-là mêmes qui recrutèrent Klaus Barbie en Amérique du Sud, ont créé en Italie un réseau occulte paramilitaire, Gladio, pour prévenir la montée du communisme et assurer la sécurité du monde « libre »… Ce réseau est constitué de hauts gradés militaires italiens formés à l’époque de Mussolini, de politiciens de droite, de membres des services secrets, de la loge P2, de l’OTAN, du groupe fasciste Ordine Nuovo ; ils collaborent avec des anciens officiers français de l’OAS et sont conseillés par les colonels grecs inspirés par le coup d’État de 1967.

Le documentaire analyse méthodiquement la stratégie de la tension qu’ils ont menée par leur infiltration dans l’extrême gauche, près de 150 attentats et plusieurs tentatives de coup d’État. Il s’agissait de frapper au cœur des masses pour provoquer l’État d’urgence, de créer une angoisse dans la population qui cherchera alors refuge et protection dans l’État, sa police et ses lois, utiliser cette angoisse pour contester l’efficacité répressive d’un pouvoir étatique qu’ils souhaitaient autoritaire, attribuer ces attentats à l’extrême gauche ou aux anarchistes pour discréditer les mouvements sociaux, en bref créer les conditions d’une opinion favorable à un putsch…

Un documentaire plus que salutaire qui démontre que ceux-là même qui dénonçaient l’insécurité et étaient chargés de la protection de la population, commettaient des attentats et organisaient des massacres…

Éric Jarry