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Irlande du Nord

Les Syndicalistes et le processus de paix

Le jeudi 12 mars 1998.

Le conflit continu en Irlande du Nord est très largement considéré comme étant de nature tribale. Un conflit dont la seule raison d’être [1] et la seule justification repose dans une haine religieuse irrationnelle. Les médias, particulièrement ceux de langue anglaise (y compris ceux de Dublin) évoquent souvent l’infantilisme et la puérilité des leaders des deux factions et déclarent que la violence est exclusivement causée par quelques hommes de violence. Ils fondent leurs reportages sur une dénonciation formelle de la violence aux dépens d’une analyse sérieuse du sectarisme qui la sous-tend. Jusqu’au premier cessez-le-feu de l’IRA [2], le compte-rendu type des faits par la radio en République au sujet de l’Irlande du Nord ressemblait à ceci : «  Aujourd’hui, l’archevêque d’Armagh a fortement dénoncé les derniers massacres… ». Cette présentation sert à déguiser le véritable problème, à savoir qu’il y a une certaine classe, dans l’Ulster comme en Angleterre, qui est très contente de la situation actuelle. Parallèlement, une grande partie de la population souffre de discrimination, est battue dans les rues, tirée à vue et emprisonnées par les représentants de l’état ou abattue aléatoirement par les pelotons de la mort loyalistes.

Le groupe qui tire les bénéfices les plus évidents de la division sectaire est la classe dirigeante protestante, représentée par les unionistes des DUP [3] et UUP [4]. Leur attitude lors du processus de paix a souligné, de nouveau, où se trouvent leurs intérêts. Ils n’ont cessé de traîner des pieds, refusant de considérer n’importe quelle paix qui ne serait pas reddition, retour au sectarisme, soumission et division continues de l’IRA sur le dos de la classe ouvrière irlandaise. La tactique consistant à diviser la classe ouvrière en camps sectaires fut toujours préférée par les Syndicats d’État, depuis leurs origines. Toute suggestion de modifier, fusse légèrement, la répartition des pouvoirs est saluée par un orage de protestations de la part des leaders unionistes. Elles polarisent l’attention sur les accusations risibles des pro-nationalistes sur les concessions accordées à l’IRA par le gouvernement de Londres. Beaucoup de commentateurs des médias présentent réellement ces allégations comme des possibilités sérieuses, en dépit du fait que c’est l’état britannique qui continue à fournir la force nécessaire au maintien de l’étatelet [5] putréfié. Ces accusations sont destinées à entretenir dans l’esprit de la classe ouvrière protestante que leurs positions relativement privilégiées sont vraiment menacées par les catholiques. L’importance de cette position privilégiée n’est visiblement pas très grande. En réalité. Indépendamment des catholiques, les ouvriers protestants ont les plus bas salaires et le plus mauvais logements en comparaison de n’importe quel autre grand groupe d’ouvriers au RU.

Le sectarisme et ses effets

De même, c’est la classe ouvrière, tant catholique que protestante, qui a fait les frais, dans sa grande majorité, des morts et de la violence. L’analyse de leurs actions prouve clairement que le but principal des escadrons de la mort loyalistes (UDA [6], UVF [7] et LVF [8]) est d’empêcher n’importe quelle solidarité d’émerger au sein de la classe ouvrière qui risquerait de couper court aux divisions religieuses. En même temps qu’ils entretiennent une campagne de la terreur contre la classe ouvrière nationaliste, ils visent tout protestant qui émettrait l’idée d’établir des liens entre les deux communautés. Il peut être mortel d’avoir un associé de l’« autre côté ». Les politiciens savent très bien que leur refus de négocier et leurs accusations outragées légitimise le meurtre aveugle de nationalistes innocents. Ils condamnent ces massacres réciproques et mettent sur le même plan le récent assassinat de Billy Wright, leader du LVF et le fait d’entrer dans un bar d’une zone nationaliste et de tirer aléatoirement à la mitrailleuse sur les personnes présentes. En tout, sept catholiques innocents ont été assassinés en réponse à l’assassinat de Wright. Wright était le chef du LVF, une organisation qui considère que « tous les catholiques sont des cibles », et été réputé avoir été personnellement impliqués dans le meurtre de 15 à 20 catholiques. Ken Maginnis, un « respectable » unioniste, justifie ainsi cette attaque à la mitrailleuse d’un bar de la banlieue nationaliste : « Si vous prenez en considération ce qui s’est produit ces dernier mois, avec ces concession succédant à des concession succédant elles-mêmes à d’autres concession faites à l’IRA temporaire, alors le peuple d’ici est devenu si déshumanisé qu’ils en est arrivé à souhaiter la terreur et à dire que seule la violence paye. »

Cependant, il n’est certainement pas vrai que les pelotons de la mort loyalistes représentent le « peuple » comme l’affirme Maginni. Leur rapport avec la classe ouvrière protestante est basée sur la de crainte et la révulsion. Les personnes de gauches et les alternatifs sont menacés et intimidés tandis que ces troupes tirent profit du commerce de la drogue. Les escadrons de la mort loyalistes recrutent dans la même frange de la société que la droite extrême le fait ailleurs en Europe : les jeunes, les chômeurs et les pauvres dont le mécontentement face à la situation économique et sociale peut être jugulé et détourné de son origine (c.-à-d. l’exploitation par la classe dominante) à l’encontre de l’autre. Ces groupes ne sont pas, contrairement à ce que les unionistes voudraient nous faire croire, composés de quelques hommes violents isolés mais sont en fait un instrument nécessaire des puissantes structures unionistes qui contribuent au de la dissidence. Paisley entretient les mêmes relations avec les pelotons de la mort loyalistes que Le Pen avec les groupes de néo-nazis violents en France. La grande différence est qu’en Irlande du Nord ces groupes sont favorisés par la collusion des différents éléments de la structure de puissance, ce qui les rend considérablement plus dangereux. La force de maintien de l’ordre des six contés (RUC [9]), composée à 95 % de protestants, a été surprise à de nombreuses occasions en train de transmettre des informations aux pelotons de la mort.

Le rôle de l’État

L’État britannique tente de se faire passer comme neutre dans conflit, comme un arbitre impartial dont la patience et le sens de l’équité peut aider à surmonter l’« infantilisme » des deux partis. Cette apparence est, naturellement, éloignée de la vérité — l’Irlande du Nord reste une colonie britannique contrôlée par la force de l’armée britannique. L’examen de leurs « concessions » annoncées est révélatrice. Après le premier cessez-le-feu de l’IRA, ils ont simplement refusé de négocier, détruisant ainsi tout espoir de paix. On s’attendait à ce que les Anglais relâchent quelques prisonniers républicains pour instaurer un « climat de confiance ». Le seul prisonnier libéré était en fait un soldat anglais — Lee Clegg, qui avait tiré et tué un adolescent désarmé et qui n’avait purgé que trois ans de sa peine. De toute façon, c’était au temps de la gestion tory ; peut-être l’élection Tony Blair et du New Labor donnera-t-il un nouvel essor au processus ?

L’annonce récemment faite par Blair d’une nouvelle enquête sur le dimanche sanglant de Derry a été considérée comme brave et courageuse par beaucoup de commentateurs. En outre, à la différence de son prédécesseur, John Major, il n’a pas besoin du soutien des unionistes au parlement. Cependant il serait tout à fait erroné de croire que le gouvernement de Blair ait plus de sympathie à l’égard des nationalistes irlandais que les gouvernements précédents. Blair a été forcé d’annoncer l’enquête car, moins de 24 heures auparavant, le gouvernement irlandais avait publié son propre rapport de 178 pages sur le dimanche sanglant qui démolissait les conclusions de l’enquête initiale et comportait les témoignages de soldats britanniques expliquant que leurs officiers leur avaient dit : « nous voulons quelques morts aujourd’hui » avant que la marche ait commencée. Les Anglais étaient « furieux » de la communication du rapport à la presse. Leurs plans initiaux pour s’« excuser » furent changés à la hâte pour empêcher l’État irlandais d’être entendu et pour reprendre en fermement main le processus. L’autre preuve d’un changement d’attitude de Londres par rapport à l’Irlande du Nord est également fragile. L’annonce « historique » que la Grande-Bretagne n’a plus de raison « économique ou stratégique » pour se maintenir tenir dans la province ne compte pas pour beaucoup alors que des milliers de soldats continuent de l’occuper par la force. L’État britannique, sous la conduite de Tony Blair, continue d’apporter son soutien aux structures de puissance sectaires en Ulster, à l’instar des gouvernement travaillistes antérieurs. Une fois de plus, les parlementaires « socialistes » s’avèrent être les défenseurs ardents d’une illégale structure de puissance, tout comme la droite. L’État, et particulièrement un état puissant comme l’Angleterre, est d’un impérialisme agressif pour ce qui concerne les affaires extérieures.

L’enjeu des négociations

L’État anglais est dans une position où des tentatives continues de répression sont considérées potentiellement trop onéreuses (spécialement celles dues aux attaques par l’IRA des cibles économiques). Aussi, il essaye de forcer l’élite locale à rétrocéder une partie de sa puissance à la classe moyenne catholiques.

Ces entretiens semblent suivre un double ordre du jour : d’une part, contribuer à diviser dans la classe ouvrière irlandaise au moyen d’un certain type de système de quote-part et, par ailleurs, incorporer la bourgeoisie catholique à la gestion de la province. Les entretiens de Thusfar se sont concentrés sur des questions de peu d’importance pour des personnes de la classe ouvrière : la population exacte du Nord, les institutions du Sud, les pouvoirs précis de l’assemblé Nord irlandaise. Il fut peu fait mention des Droits de l’Homme les plus élémentaires, des discrimination à l’embauche, ou d’autres plus larges problèmes sociaux qui concernent beaucoup plus les habitants du Belfast ouest républicain et du Shankill protestant. Le Sinn Fein et le SDLP [10] semblent être beaucoup plus intéressés par le partage des pouvoirs que par la classe ouvrière. Aucun changement fondamental ne viendra des négociations entreprises par des politiciens irresponsables. Il va de l’intérêt de tous les membres de classe ouvrière en Irlande de s’opposer à n’importe quel règlement qui sert les intérêts du riche et du puissant et de lutter contre la répression, la division et la haine.

Chekov
correspondant à Dublin pour le Monde libertaire


[1En français dans le texte (Ndt).

[2IRA : Irish Republican Army.

[3DUP : Democratic Unionist Party.

[4UUP : Ulster Unionist Party.

[5Néologisme pour statelet (Ndt).

[6UDA : Ulster Defence Association.

[7UVF : Ulster Volunteer Force.

[8LVF : Loyalist Colunteer Force.

[9RUC : Royal Ulster Constabulary.

[10SDLP : Social Democratic and Labour Party.