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Emplois-jeunes : l’arnaque libérale

Le jeudi 12 mars 1998.

Fin août 1997, le gouvernement nouvellement élu annonçait la mise en place d’une de ses promesses électorales, à savoir la création de 35 000 emplois jeunes dans les secteurs public et privé. Pour le privé, c’est plutôt silence radio ! Pour les emplois du public, nous en sommes, en mars 1998, à environ 45 000 emplois. Les plus gros contingents sont dans l‘Éducation nationale (40 000) et la police (2 000). Allègre en veut 75 000 et Chevènement 20 000, cela pour la fin de l‘année si le budget peut suivre… Pourquoi une promesse non oubliée ? Les réponses sont simples. Tout d‘abord, c‘est la vitesse incroyable à laquelle ont été installés ces « emplois ». Horaires, fonctions, formation, ont été élaborés dans un flou bien volontaire, pour éviter toute contestation. Les élections se profilant, il fallait des preuves ! Voilà pourquoi Jospin s’est félicité, fin janvier, de la meilleure santé du chômage des jeunes (609 000 en décembre 1996) puisque leur nombre avait baissé de 5,6 % en un mois ! Au-delà de ce tour de passe-passe électoraliste, regardons ce qu’il en est réellement de ces emplois-jeunes pour comprendre la deuxième raison de cette promesse tenue, contrairement à d’autres (cf. abrogation des lois Pasqua-Debré). Pour les emplois-jeunes « agent de sécurité », l’explication est très claire. Le délire sécuritaire, n’appartenant pas qu’à messieurs Pasqua ou Le Pen, la gauche au pouvoir, dans la logique de gestion des tensions sociales possibles, utilise désormais une partie de la jeunesse pour fliquer l’autre, c’est-à-dire celle qui restera sur le bord de la route (dont les banlieues). Viennent ensuite les jeunes « aides-éducateurs », dont le « mammouth » Éducation nationale est friand semble-t-il. Certes, après les CES à 2 500 FF par mois, les « nouveaux » emplois payés au SMIC pour heures de boulot, apparaissent comme un « mieux » social (surtout quand tout le monde sait que 2,3 millions de salariés gagnent moins de 5 000 FF par mois : cf. Le Monde du 20 novembre 1997). Cependant, ce plus ne serait-il pas en fait un véritable poison, accepté du fait de la résignation qui sévit dans l’opinion publique depuis pas mal d’années ainsi que dans les syndicats en général, peu enclins souvent à défendre les emplois précaires (les maîtres-auxiliaires en savent quelque chose au sein de l’Éducation nationale).

Car enfin, ces emplois-jeunes éducateurs officialisent les CDD sur cinq ans avec en plus un statut de droit privé, cela dans la fonction publique ! « Juppé en rêvait, Aubry le fait » titrait même L’Express fin 1997. Cette introduction de salariés hors statut non seulement crée une division supplémentaire du personnel, mais engendre à terme les risques d’une déréglementation généralisée de la fonction publique, tirant en plus la masse salariale vers le bas. Cependant, nous comprenons fort bien qu’un jeune individuellement veuille s’en sortir et fasse ce choix. Si certain(e)s voyaient toujours un plus dans ces emplois-jeunes, qu’ils sachent que ces nouveaux embauchés le sont au détriment d’anciens, remis ainsi au chômage ! Un jeune éducateur prend la place des vacataires quand il fait (et c’est très souvent le cas) des études, des surveillances de cantine, des garderies… Quant aux étudiants, les places de pions vont être rares puisque bidasses et maintenant emplois-jeunes les prennent à tour de bras, sous-payés de surcroît ! Quand 20 % du financement des salaires de ces emplois-jeunes ont été pris sur les heures supplémentaires des profs, supprimées au départ pour créer des postes de titulaires… on voit vite l’arnaque qui se cache derrière la vitrine. Déshabiller Pierre pour habiller Paul, on connaît la chanson, monsieur Jospin ! Casse prévisible du statut du fonctionnaire, précarisation organisée de la jeunesse encadrée (les autres jeunes laissés pour compte auront droit au bâton), arnaque économique où de fait, comme pour les 35 heures ce seront les salariés qui payeront les emplois nouveaux… bref, il faut être aveugle pour ne pas voir que ces emplois-jeunes sont en fait une sorte de machine à laver permettant une lessive tous les cinq ans pour nettoyer les risques de tensions sociales fortes chez la jeunesse et faisant croire que l’État lutte contre le chômage.

Quelle riposte envisageable ?

La FSU, un des plus gros syndicats enseignants à dit, elle, avoir « voulu voir, dans ces nouveaux emplois, la perspective de reconnaître de nécessaires créations d’emplois ». Si c’était Coluche, on en rirait, mais, hélas, c’est la réponse positive qui a été offerte aux amis au pouvoir. Bien sûr, ce syndicat parle de syndiquer les emplois-jeunes et de lutter tous ensemble, titulaires et emplois-jeunes, pour améliorer le sort de ces derniers… Quant on connaît la diversité des statuts, on a du mal à croire en une telle solidarité. D’ailleurs, les deux journées de grève effectuées séparément, bien sûr, par les instits et les profs se sont faites sur des bases ultra corporatistes (tous profs d’école pour les uns, pas touche au mode de nomination pour les autres). Les emplois-jeunes étaient « simplement » oubliés ! Alors, soyons clairs : le syndicalisme enseignant ne sera certainement pas l’outil offrant une réelle riposte à la hauteur des enjeux encourus.

Un emploi-jeune a plus de points communs avec un CES, un travailleur à temps partiel, qu’avec un prof d’école, voire un certifié ! Le récent mouvement des chômeurs a ouvert une brèche (par l’unité et le combat collectif des galériens modernes). Seuls ces collectifs de précaires et de chômeurs qui regroupent syndiqués et non-syndiqués peuvent offrir l’unité de tous ces maquis d’emplois bidons et permettre par l’auto-organisation de leur lutte des perspectives en réelle rupture avec le capitalisme, même déguisé en rose, rouge et vert, pour ne pas se faire voir.

Jaime
groupe Kronstadt (Lyon)