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Happy Birthday, Tony !

Le jeudi 21 mai 1998.

Il y a un an, après dix-huit longues et cruelles années de thatchérisme, l’électorat britannique mettait au pouvoir un gouvernement travailliste tant attendu, tant espéré. Ainsi commençait… une dix-neuvième longue et douloureuse année de thatchérisme.

Ils ont voté et puis après ?..

En 1992, déjà, la terre entière, sur-informée par les sondeurs unanimes, croyait que le règne des conservateurs allait se terminer par un jugement, sans appel, des urnes. Au lieu du game over tant claironné, c’est une « extra-ball, same player shoot again » qu’obtint de justesse la droite à la loterie électorale. Pas découragés, les travaillistes juraient de tout faire pour que la prochaine fois…

Comment se relever de quatre cinglantes défaites électorales d’affilée ? Bon sang, mais c’était bien-sûr : il fallait rendre le parti éligible (sic) ! Comment donc se rendre éligible dans un pays qui vote (à la majorité relative) à droite ? La réponse est dans la question.

Exit le soutien suicidaire aux revendications syndicales des salariés. Exit le soutien suicidaire aux minorités ethniques, culturelles, sexuelles… Exit le désarmement nucléaire, la lutte contre la pollution industrielle, la revendication d’un salaire minimum, de contrats de travail et d’une durée légale limitée du temps de travail. Fini aussi le dénigrement systématique de la politique atlantiste du pays. Fini beaucoup de choses d’intérêts divers mais de portées symboliques fortes. Quand même.

Il n’y avait aucune raison désormais que la gauche ne soit pas élue face à une droite emberlificotée dans les scandales financiers, politiques et autres. Et elle le fut. Largement, même. Ce que la presse à l’époque à tu, c’est que le taux de participation avait chuté de 7 % par rapport à 1992. Pour la grande mobilisation anti conservateurs (qui était bien réelle) il faudrait repasser. Si le pays en avait plus que ras le bol de cette clique arrogante au pouvoir depuis presque vingt ans, et si nombreux furent celles et ceux qui ont fêté leur départ, force est de constater que le public se lasse un peu des politicards.

Un an après. Les bourses des étudiants ont été supprimées et remplacées par des emprunts. Les listes des chômeurs ont été nettoyées, voire décapées. Le taux de chômage le plus bas d’Europe est une supercherie des plus grossières. En effet, tous les demandeurs d’emplois qui ne touchent pas l’indemnité de chômage (Unemployment Benefit) soit parce qu’ils sont sans emploi depuis trop longtemps, soit qu’ils sont inemployables, soit qu’ils n’aient encore jamais travaillé, sont passés au compte du revenu minimum (Income Support). Même si les deux indemnités ont été regroupées sous le terme « Jobseekers Allowance » (allocation des chercheurs d’emplois), les deux catégories sont toujours distinctes dans les statistiques. Les handicapés ne sont pas comptabilisés comme chercheurs d’emplois (par contre, s’ils trouvent une place, ils sont forcément comptabilisés dans le lot des prises ou reprises d’emploi). « Lorsque Mme Margaret Thatcher remporta sa première élection, en 1979, le Royaume-Uni comptait 1,3 million de chômeurs officiels. Si la méthode de calcul n’avait pas changé, il y en aurait actuellement un peu plus de 3 millions. Un rapport de la Middland’s Bank, publié récemment, estimait même leur nombre à 4 millions, soit 14 % de la population active ; plus qu’en France ou en Allemagne. »

Le travail forcé est arrivé

Le gouvernement veut remettre au travail les mères célibataires et les handicapés. C’est bien joli, mais dans un pays où les places en maternelles (public et privé confondu) se limitent à 25 % de la tranche d’âge 3-5 ans, ça risque d’être joyeux. Quant aux handicapés, ils ne demandent pas mieux que d’être intégrés dans la société civile si les employeurs voulaient bien d’eux à d’autres postes que le léchage de timbres.

Quant aux jeunes, ils doivent impérativement accepter tout ce qu’on leur propose au prix qu’on leur impose, sinon ils perdent tous leurs droits alors que jusqu’à présent, les jeunes en recherche d’un premier emploi avaient droit au (strict) minimum vital. Tony Blair dans sa grande compréhension du monde ouvrier a même débloqué des crédits pour que les JobCentres (ANPE/ASSEDIC) leur prêtent des cravates et leur offrent (si, si, gratos !) du déodorant ! Du haut de cet Everest de la connerie, je croyais l’ultime sommet atteint. Et bien non. Ces mesures pourtant d’une rare audace politique ne portant pas leurs fruits assez vite, les jeunes de 16-24 ans seront bientôt forcé(e)s de s’engager. The Army, the Navy et la RAF se sont d’ailleurs partagé le pays en zones de recrutement. Il manque 9 500 volontaires, croyez moi, ils vont les trouver. La conscription a été abolie en 1962 et depuis, les trois corps d’armée recrutent des volontaires pour des contrats de cinq ans. C’est dans les zones où la crise du chômage est la plus forte qu’ils ont décidé d’ouvrir de nouveau bureaux. Chacun sa zone. Il y a même des super zones de super crises où sont ouverts de super bureaux inter-armes (ils mettent le paquet !) : Newham à Londres et Sandwell dans les Midlands. Si avec ça on ne sort pas de la crise ; c’est qu’y a plus d’bon Dieu.

En matière d’éducation la nouvelle gauche ne manque pas d’idées non plus. Pour faire face au problème de la violence et de l’absentéisme dans les écoles (même primaires), un nouveau statut dit de « super teacher (sic) » (super prof) était dans l’air depuis quelques années. Ce doux rêve va être concrétisé par l’administration Blair. Suite à une étude sur le comportement des 5-11 ans sur l’école, il apparaît que culturellement, l’éducation soit vue par les garçons comme un truc de pédés. En fait, ce genre d’enquête a été réalisée maintes fois depuis des années avec toujours le même résultat : dans la classe ouvrière, les filles réussissent mieux à l’école et y voient une possibilité de réussite sociale. Les garçons n’y voient qu’une garderie. Ce fait n’a rien de propre à la Grande-Bretagne. L’interprétation qu’en fait le gouvernement britannique est, elle, plus originale : c’est parce que les instits sont à 83 % des femmes. Les Super Teachers seront donc à 100 % des Mecs. On va les dresser ces p’tits cons.

Le fait que dans un foyer sur cinq (20 %) aucun adulte ne travaille passe forcément inaperçu aux yeux naïfs des enfants. Le fait que bien que la majorité des chômeurs soit des chômeuses mais que le stigmate social soit plus serré sur les hommes (et particulièrement les pères) dans notre société patriarcale ne peut pas non plus être perçu, et encore moins compris par la jeunesse savamment abrutie de Spice Girls et de foot.

Tour de vis

Ce gouvernement ne sait pas ce qu’il veut. Il reproche en même temps à la jeunesse, et de puer des dessous de bras, et de baisser les bras. Faudrait savoir.

L’insécurité maintenant. Dans l’opposition, le parti travailliste ne cessait de reprocher à la droite sa politique du tout répressif et du rien préventif. La Grande-Bretagne a les prisons aussi pleines que la Turquie, c’est dire. Arrivée au pouvoir, la nouvelle gauche reprend les projet de prison-bateau. On prend un gros bateau, on l’ancre au large et on y met des prisonniers. Au moins, ils sont au grand air. On augmente les places dans les prisons pour gosses, on parle d’abaisser l’âge de la responsabilité pénale. Sur ce point au moins, la social-démocratie semble avoir une cohérence internationale.

Et la santé ? On a longtemps reproché à la droite, décidément source de bien des maux, d’avoir coulé le système de santé public. Et ça n’était pas faux. Il faut toujours deux ans d’attente pour la plupart des soins hospitaliers, même dans les services de pédiatrie. Dans les hôpitaux privés, pour les gens qui cotisent chez BUPA (la sécu privée des riches), par contre, non. Scanners, chambres individuelles, pléthore d’infirmières sous payées, et tutti quanti.

Et le social, hein ? Les syndicats sont déçus parce que le gouvernement vient de faire connaître le taux du salaire minimum qu’il va tenter d’imposer au patronat : 3,60 £. Ils espéraient 4 £ (contre zéro à l’heure actuelle). Pour la limitation du temps de travail (on en est même pas à parler de réduction puisqu’il n’y a pas de durée maximum), il semblerait que le gouvernement semble s’apprêter à étudier la question d’envisager un compromis sur 48 heures par semaine. Quelle subversion.

La bourse va bien, merci

Et la récompense du peuple ému par tant de mansuétude ? Jeudi 7 mai avaient lieu les élections municipales (chaque conseiller est élu dans son quartier par un scrutin majoritaire uninominal à un tour). Les travaillistes ont perdu plusieurs majorités absolues dans des conseils municipaux « phares ». Mais surtout, le taux de participation atteint des profondeurs jusqu’alors insondées.

Les libéraux-démocrates (centre gauche pro-Europe) ont ravi la mairie imprenable de Liverpool aux travaillistes qui ont trahis les dockers de cette ville. N’allez pas croire que le peuple désabusé soit allé voter à droite ou au centre pour se venger des blairistes. Non, même pas.

Le taux d’abstention dans les quartiers ouvriers est tout simplement passé à 90,32 % des inscrits. On ne rit pas !

Vincent Tixier