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Contre le fascisme

démocratie directe !
Le jeudi 1er octobre 1998.

Bientôt Le Pen au stade de France

Samedi 3 octobre, Lyon sera le point de ralliement de tous les antifascistes de la gauche plurielle. C’est que l’affaire est d’importance puisque le Conseil Régional de Rhône-Alpes élu le 20 mars dernier permet au FN de bénéficier d’une position charnière face à une droite et une gauche à égalité de sièges et incapables de trouver un compromis satisfaisant sur le nom d’un président.

Charles Millon, président UDF sortant a finalement été réélu avec l’appui des voix du FN et même s’il réfute avoir passer un accord politique avec les fachos il est objectivement dépendant de leur bon vouloir au moment du vote des budgets.

La gauche plurielle affirme qu’il y a bien alliance politique entre Millon et le FN et vote contre toutes les propositions de l’exécutif pour ne pas cautionner l’arrivée du FN à des postes de responsabilités. Cette position de principe n’a pas manqué de poser des problèmes.

Par exemple lors du vote de bourses devant permettre à 3 200 étudiants de la région d’effectuer des stages dans des universités d’Europe. Bien entendu le FN était contre et a refusé son appui à Millon bloquant les subventions juste au moment du départ des boursiers qui du coup faisaient vraiment la gueule.

La gauche plurielle a eu beaucoup de mal a expliqué sa position de rejet de ce budget à des étudiants peu intéressés aux jeux de pouvoir mais soucieux de finaliser leurs projets de formation.

Cette affaire de bourses a fait grand bruit et en deuxième lecture, beau prince, le FN a voté pour. L’argent a pu être débloqué et le FN a ainsi prouvé aux autres clans du conseil régional qu’il fallait désormais compter avec lui. Mais il est certain qu’il ne pouvait tenir sa position de refus plus longtemps sans voir la grande masse des étudiants s’attaquer directement à lui de manière très sérieuse, non pas par idéologie mais par nécessité pratique. Il y a là un fait qui a été volontairement gommé par toutes les sphères politiciennes.

La mobilisation des étudiants était certainement très corporatiste mais suffisamment forte pour peser sur le cours des choses, au point que le PC a depuis infléchi sa position et décidé de voter les budgets présentant un intérêt social vital. La décision du PC est potentiellement une possibilité de fracture au sein de la gauche plurielle.

Un été de guérillas et de sensibilisation anti-Millon

Au Conseil Régional la guerre est quotidienne entre partisans et opposants à Millon et depuis plusieurs mois la gauche plurielle prépare activement sa démonstration de force contre Millon. Tout ce que la région compte comme associations culturelles a été convié à intégrer une structure adéquate créée pour l’occasion, le VACCIN (Vigilance Art Culture contre les Idées Noires), qui catalyse et mobilise contre la censure culturelle du FN au conseil régional. Presque toutes les représentations culturelles publiques sont précédées d’une déclaration d’artistes contre Millon.

Trop content de se faire mousser à si bon compte, Gollnisch et ses sbires ne manquent pas une occasion de supprimer les subventions aux actions culturelles qui leur déplaisent : biennale de la danse, fond de soutien au cinéma régional, etc.

Tout à la jouissance de son nouveau pouvoir le FN en profite aussi pour régler ses comptes avec l’université Lyon II qui, a ses yeux, abrite et soutien l’action de toute la racaille « gauchiste », celle qui dénonce les activités fascisantes qui se développent au sein de l’université Lyon III depuis trop longtemps.

La suppression des subventions à Lyon II a suscité une réaction unanime de l’ensemble des huit universités régionales qui solidairement refuse de recevoir leur part du gâteau, soit au total 29 millions de francs. C’est une gifle pour Millon et le FN car le poids institutionnel des universités est incontestable.

Par ailleurs presque toutes les apparitions officielles de Millon sont ponctuées de manifestations d’opposants qui dénoncent sa collusion avec le FN. Les points forts de ces actions militantes de rue auront été celle du 14 juillet à Belley où Millon, maire de la ville n’a pu s’exprimer devant le monument au morts et le chahut qui a eu lieu à Ysieu, lors de la commémoration de la rafle des enfant juifs pendant l’occupation.

Il est clair que le terrain a été très bien préparé et balisé pour faire de ce 3 octobre un temps fort de l’antifascisme officiel.

Rhône-Alpes valeur d’exemple pour tous les antifascistes ?

La manifestation se veut régionale mais a valeur d’exemple pour les trois autres régions où il y a cohabitation entre la droite et le FN (Picardie, Bourgogne, Languedoc-Roussillon). Elle intéresse aussi les villes dirigées par des maires FN où des réseaux antifascistes essaient de sensibiliser l’opinion publique aux risques d’une gestion dite de « préférence nationale ». Et comme nous sommes dans une région économique fortement associée à la Catalogne, à la Wesphalie et à l’Italie du nord, l’enjeu européen de cette affaire s’impose de lui-même.

Bref c’est toute la stratégie antifasciste de la gauche plurielle qui est symbolisé à travers l’exemple de Rhône-Alpes. Et il y a fort à parier pour que le slogan de ce qui se veut une grande journée antifasciste soit : Millon démission. Comme si la disparition de cet énergumène pouvait tenir lieu d’objectif politique !

Combien de fois faudra-t-il répéter que c’est le développement de la misère sociale qui fait le lit du fascisme ? Combien de temps la gauche plurielle pourra-t-elle jouer l’implosion de la droite pour conserver le pouvoir ?

En dépit des discours et des affirmations gouvernementales le nombre de chômeurs va croître encore et le nombre de Rmistes a doublé depuis 1990 passant de un à deux millions de « bénéficiaires » !

Les effets d’annonces sur l’équilibre des comptes de la sécurité sociale et la création d’un fond de retraite ne peuvent masquer les coupes qui ont lieu dans les crédits sociaux, la fermeture d’hôpitaux, d’écoles, de centres sociaux, etc. Sur le fond chacun sait bien que la logique de privatisation de la protection sociale va se développer au fil des ans.

Les arrière-pensées politiciennes

Au bout du compte le terreau qui fait le lit de l’extrême droite fermente toujours plus et les différentes politiques de la ville, même avec un budget en croissance, n’y changeront rien. Encore faut-il préciser que ce n’est pas tant le FN qui profite en voix de cette misère mais que cela produit un rejet et même une haine profonde de la politique chez les millions d’individus précarisés. Ce sont les taux d’abstention qui sont le plus signifiant de ce désarroi social.

Sur le plan strictement politicien la gauche plurielle et le PS en particulier bénéficie du maintien d’un vote FN suffisamment important pour empêcher la droite d’avoir une majorité électorale. Ce petit jeu dure depuis trop longtemps pour qu’à un moment donné cela ne provoque pas des réactions et des recherches de solutions à droite. Millon l’a parfaitement compris et a sauté le pas. Pour lui, comme pour nombre d’électeurs, la droite, au sens large, est potentiellement majoritaire et la gauche ne doit pas gouverner la région Rhône-Alpes et encore moins la France.

La création d’un nouveau parti politique intitulé significativement La Droite, explicite clairement cette volonté de briser le « piège » constitué par la diabolisation du FN. C’est d’autant plus facile pour Millon que sa trajectoire politique a débuté dans des cercles fascistes qu’il n’a jamais réellement renié.

Aujourd’hui La Droite affiche pas loin de 20 000 adhérents dans toute la France. Quel que soit l’avenir de ce parti et de son fondateur qui peuvent disparaître d’ici quelques temps, un processus est engagé qui d’une façon ou d’une autre va tenter de réintégrer une bonne partie de l’électorat FN par une dynamique politique renouvelant le discours et la cohérence de la droite française.

Les grandes manœuvres qui ont commencé à l’intérieur même du FN sous l’impulsion de Mégret ne laisse aucun doute sur cette perspective. À terme ce peut être un risque électoral pour le PS qui lui se positionne de plus en plus au centre.

Pour le moment il s’agit pour la gauche plurielle de donner du grain à moudre à une base qui est en droit de s’interroger sur les choix politiques de ses dirigeants.

Et il n’y a pas de meilleure caution de démocratie que de s’afficher antifasciste.

Le 3 octobre il y aura sûrement beaucoup de monde dans la rue mais cela ne fait pas une politique et petit à petit l’opposition de la gauche plurielle au Conseil régional va se heurter à la majorité de fait entre Millon et le FN.

Lorsque de trop nombreuses associations ne vivant que de subventions régionales vont être touchées de plein fouet par le vote du prochain budget, que va-t-il se passer ? La politique du pire risque de créer le désert souhaité par le FN.

Décidément les petits calculs politiciens et l’anti-Millon systématique ne remplaceront jamais une réelle mobilisation des organisations sociales à partir des besoins et volontés définis par elles mêmes afin de créer un rapport de forces obligeant le pouvoir régional à tenir compte de cette réalité.

Il y a du pain sur la planche pour enclencher des pratiques de démocratie directe plutôt que le bulletin de vote ou la résignation.

C’est ce que nous tenterons de dire par notre présence dans la rue ce jour là.

Bernard
groupe Déjacque (Lyon)