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Construire une dynamique révolutionnaire sur les déchets du capitalisme

Le jeudi 17 avril 2003.

DÉCHARGES, incinérateurs, privatisation du service
municipal de collecte des ordures ménagères, etc.,
les exemples ne manquent pas pour dénoncer l’argent facile que se font les industriels au détriment de
l’environnement et de notre santé. Toute activité
humaine crée des déchets. Mais la quantité, la toxicité et la manière de gérer ceux que nous produisons
aujourd’hui sont en lien direct avec notre système
économique.

La quantité toujours croissante des ordures
ménagères est liée à la consommation de produits
manufacturés à vie volontairement courte et aux circuits de distribution par les grandes surfaces, qui
multiplient les emballages (multiples transports,
support publicitaire, dispositifs antivols). Les modes
de consommation tendent à s’uniformiser, il y a de
moins en moins de différence entre la ville et la campagne : nous « produisons » plus d’un kilo de
déchets par jour et par habitant, rien que pour les
ménages. Certains y voient un signe de richesse (les
Américains en font presque le double), d’autres y
voient la marque d’une inconscience suicidaire.

D’autant que la toxicité, la complexité (multimatériaux, molécules sophistiquées) et la non-biodégradabilité des déchets ont largement augmenté
grâce au nucléaire, aux industries pétrochimiques et
pharmaceutiques et à l’agro-industrie.

Or l’essentiel de nos déchets est encore géré de
manière archaïque par le feu ou par enfouissement.
Ce que nos très lointains ancêtres pouvaient faire
sans préjudice présente aujourd’hui des inconvénients majeurs :

 L’amoncellement de millions de tonnes d’ordures en vrac, contenant en particulier des fermentescibles (restes de repas, etc.) crée de multiples
nuisances : odeurs, dégagement de méthane (effet de
serre), jus chargés de polluants qui s’infiltrent dans le
sol, etc. Interdites officiellement depuis juillet 2002,
les décharges d’ordures brutes, faute d’un tri conséquent des produits biodégradables et recyclables, ont
encore de beaux jours devant elles.

 L’incinération s’est considérablement développée depuis une vingtaine d’années, son principal
avantage étant de faire apparemment « disparaître »
les déchets. En fait, il s’agit d’une dispersion-concentration de la matière, les multiples réactions chimiques de la combustion produisant des gaz et des
résidus solides (cendres). Mais cette oxydation a
aussi pour effet de libérer les composés toxiques
(métaux lourds, etc.) inclus dans les déchets, et
même d’en créer de nouveaux (dioxines, furannes).
Les effets de cette pollution sont surtout visibles sur
les vieilles installations (bioaccumulation). La surenchère de dispositifs de dépollution (filtrage des
fumées, vitrification des résidus) permet de vendre
de nouvelles usines « garanties non polluantes ».
Cela est pourtant chimiquement impossible, surtout
quand on sait que les cendres lourdes, banalisées
sous le nom de « mâchefers », sont dispersées discrètement en sous-couches routières, rejetant progressivement
les
produits
toxiques
qu’elles
contiennent.

En matière de déchets, l’illégalité est la règle (car
appliquer la loi serait trop contraignant). Dans les
nouveaux CSDU (centres de stockage des déchets
ultimes), l’enfouissement reste en fait une décharge
de déchets quasi bruts (quelques % de recyclage). Les
incinérateurs fonctionnent avec de nombreuses anomalies, dérogations diverses, et les rejets (fumées,
cendres, etc.) sont régulièrement hors norme ou
réglementés de façon complaisante. Le recyclage,
source non négligeable de profits, reste une vitrine
symbolique fort coûteuse et souvent polluante, alors
que c’est théoriquement au contraire la solution
environnementale et économique la plus intéressante
pour les déchets produits. Mais la loi prévoit aussi de
produire moins de déchets, et ce ne sont pas les
industriels qui vont se précipiter pour mettre en pratique des mesures qui limitent le productivisme !

Si nous voulons que les choses changent, c’est à
nous, c’est à la population directement de faire ce
travail, c’est aux associations de plancher sur le dossier, dans ses moindres détails et au plus près du
quotidien de notre vie. Entre autres, une dynamique
nationale d’actions sur les déchets s’est enclenchée
depuis 2002, avec la constitution d’un réseau Stop
incinération réutilisation prévention, qui a lancé une
campagne pour un moratoire sur l’incinération
(demande déposée officiellement le 30 novembre
2002) et prépare des assises nationales pour juin en
Vendée afin de mettre à plat les problèmes, coordonner nos combats et élaborer un plan de prévention et
de gestion des déchets qui respecte notre environnement, notre santé, notre porte-monnaie et ne soit
plus le terrain de chasse d’entreprises privées aux
appétits féroces. Ce plan, concret et précis, sera
ensuite diffusé à la population, aux élus, aux industriels et autres intervenants dans ce domaine. Pour
obtenir satisfaction, il ne faut pas compter que sur la
cohérence, le bon sens et l’écologie des solutions
préconisées : la pratique de l’action directe sera
nécessaire.

C’est ce qui a déjà été tenté pour dénoncer le
problème de la dispersion des cendres d’incinération en sous-couche routière : dans le Gard, l’association CoVadis a procédé à plusieurs « expertises »
sur des lotissements, n’hésitant pas à faire des trous
dans le bitume pour dénoncer la discrète élimination des déchets de l’incinération. Une autre action
est en cours pour obliger les cafétérias Flunch à
revenir à l’usage du verre au lieu des gobelets en
plastique nouvellement mis en place : au lieu de
faire de grands discours sur la prévention des
déchets, il s’agit d’avancer pas à pas en pointant
chaque fois un cas précis jusqu’à obtenir satisfaction. Les premières victoires devraient accélérer le
processus d’une réappropriation collective des décisions par les usagers et les employés, y compris dans
des entreprises privées.

Nous sommes alors loin de l’agitation politique
au discours incantatoire mais sans objectif concret
et immédiat, nous sommes à l’opposé de la coalition économico-politicienne qui communique sur
le trirecyclage et fait de l’incinération et de l’enfouissement et sabote toutes les initiatives qui risqueraient
de compromettre les intérêts des industriels : des
communes d’Alsace qui étaient parvenues à trier
75 % de leurs déchets se voient actuellement sommées de remettre certains plastiques en vrac pour
alimenter un nouvel incinérateur !

Les actions en cours sont loin des grandes
mobilisations contre les sommets internationaux,
pourtant l’AGCS est parfaitement illustré par le cas
concret de la mainmise des capitaux privés sur la
gestion théoriquement municipale du service
public des ordures ménagères. Or nous constatons
un défaut d’investissement sur ce sujet : souvent, il
n’y a que les personnes directement concernées par
une décharge ou un incinérateur qui protestent. Ce
que nous traduisons par : « Du moment que la
merde n’est pas chez moi, je ne fais rien. » Il est
vrai que la plupart des partis politiques étant
mouillés par les grands groupes industriels couvrant le marché des ordures, ils ne risquent pas de
mobiliser les foules !

À l’heure des grandes manifestations contre la
guerre, il serait temps de pointer du doigt la guerre
économique sur les services publics où nous
sommes trop peu à résister dans les tranchées, le
gros des troupes poussant des gueulantes de principe, loin du front. Sur les déchets comme pour
l’énergie et d’autres sujets, il est temps de retrousser
nos manches et de se salir les mains.

Robert Latapy