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Les Mégalos nous mènent en bateau

Le jeudi 11 décembre 2003.

Après trente ans de tergiversations, après un premier feu vert du gouvernement Jospin, le gouvernement Raffarin a donné son accord pour la construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes.



« Au-delà de l’affrontement verbal, parfois salutaire pour une certaine vitalité démocratique, c’est la nécessité d’un regard partant vers l’avenir qui est apparue. Cette vision de l’avenir est la condition pour que notre territoire reste attractif, notamment pour les plus jeunes. »

Telle est la conclusion de la contribution au débat des présidents des conseils de développement de Nantes, Saint-Nazaire, Rennes et Angers, bien entendu favorables à la construction de cet aéroport.

En gros, on vous a entendus, on vous a même laissé gueuler, histoire de donner un vernis démocratique à cette parodie de débat… Maintenant, la récréation est terminée, c’est l’avenir de nos enfants qui est en jeu, soyez sympas quoi !

Ce débat public lancé en décembre 2002 n’a pas permis aux opposants d’avoir gain de cause : comment aurait-il pu en être autrement ?

L’ensemble des décideurs politiques (mairies et communauté urbaine de l’agglomération nantaise, conseils généraux et régionaux des PdL et de Bretagne) et économiques (chambre de commerce et d’industrie, entreprises de BTP, Medef) étaient de fervents supporters de ce projet.

Les élus sont censés incarner « l’intérêt général ». Les entrepreneurs sont censés apporter du « dynamisme » à la région : leur lobbying a fort bien fonctionné, souvent relayé par les directions d’organisations syndicales (par le biais du conseil économique et social régional), pour qui tout ce qui sert l’emploi est bon à prendre.

Il y aurait donc consensus autour du « développement ». La démocratie consisterait-elle seulement à installer des talus coupe-bruit et à dévier de quelques degrés la direction des pistes ?

Des besoins ? Les besoins de qui ?

Manger, boire, se vêtir, se loger, se cultiver, se soigner, s’éduquer, s’amuser, se déplacer : la notion de besoins semble limpide… Cette question du besoin et de l’intérêt collectif est centrale : elle touche à notre humanité même. Pourtant, n’avons-nous pas abandonné à certains le droit d’exprimer ces besoins ?

Selon ses zélateurs (pouvoirs politiques et économiques), l’aéroport actuel de Nantes-Atlantique arrivera bientôt à saturation avec ses deux millions de passagers annuels, trois millions dans moins de dix ans. Ainsi, des soi-disant élites prétendent qu’il ne peut en être autrement, qu’on ne peut arrêter le progrès : eux sont modernes, eux savent exprimer ce qu’est l’intérêt général.

L’éditorial intitulé « Grandir pour un meilleur avenir » de Jean-Marc Ayrault (maire de Nantes) dans le Nantes-Passion de novembre 2003 est l’expression même de cette « modernité », qui revient à faire de Nantes une ville réservée aux classes moyennes et aux « bobos » (bourgeois bohèmes), forcément valorisante pour son « personnel » politique.

Mais, en grattant un peu, on s’aperçoit que ces « besoins » sont avant tout ceux que le système économique (qu’on appelle capitalisme) suscite auprès des personnes solvables : ce sont ses besoins propres. Car le système capitaliste est face à un dilemme : croître ou mourir, croître au prix d’incroyables gaspillages et, surtout, au prix de l’oppression des peuples du Sud, afin d’exploiter leurs richesses naturelles.

Or notre planète est un système fini. L’expansion de l’activité humaine ne pourra croître infiniment. Face aux projets pharaoniques (infrastructures de transport et d’énergie) par lesquels les États et la Commission européenne veulent relancer la sacro-sainte croissance, il est temps de reprendre la main.

Car de qui se moque-t-on ?

On nous promet des investissements censés répondre à l’intérêt général : un aéroport et des lignes à grande vitesse servent en premier lieu aux besoins des personnes et surtout des entreprises qui ont les moyens de s’offrir ce genre de déplacement (leurs salarié.e.s étant parfois contraints à se déplacer du fait d’une clause de mobilité dans leur contrat de travail, sans souhaiter particulièrement ces trajets).

Les élites se félicitent du fait que les compagnies aériennes à bas prix vont permettre de « démocratiser » les trajets en avion. Ils prétendent même que « la réalisation d’un aéroport est un outil de développement permettant de multiplier les échanges et de rapprocher les hommes » (toujours les conseils de développement de Nantes, etc.). Quelle farce quand on sait tous les moyens mis en œuvre par les pays d’Europe pour empêcher les personnes étrangères désargentées, comme les demandeurs d’asile ou les personnes cherchant à rendre une simple visite à leur famille, de parvenir « chez nous ».

Des besoins non satisfaits, oui !

Parler de besoins, c’est donc parler de celles et de ceux dont les besoins vitaux sont loin d’être satisfaits, y compris dans nos contrées dites riches. C’est pointer à Nantes la question de la cherté et de la « pénurie » du logement, résultat d’une politique d’expansion de la ville qui vise à attirer d’abord des classes relativement aisées. C’est pointer en France la montée des inégalités liées aux diverses mesures gouvernementales (niveaux des retraites en forte baisse, abandon de services publics de proximité) ou patronales (accords Unedic par exemple signés avec des syndicats complaisants).

Plus grave : le pouvoir s’attaque aux personnes les plus modestes, que ce soit pécuniairement ou sécuritairement, mais aussi symboliquement. Car non content de dégrader les conditions de vie des personnes les plus défavorisées, il cherche à nous culpabiliser sur le thème de l’abandon des personnes âgées, sur le gaspillage de l’eau ou de l’électricité pendant la canicule et, tout récemment, en mettant à l’index des personnes de plus de 55 ans, dont la sortie de l’emploi est dissimulée par des arrêts maladie qui plomberaient la Sécu, etc.

Parallèlement, l’État, et ce n’est pas nouveau, participe au nom de l’intérêt général au développement capitaliste, en accordant généreusement des exonérations de charges aux entreprises, ainsi que des subventions permettant notamment de pallier les défaillances des grands patrons (dans les banques et l’industrie) ou de satisfaire par exemple les lobbies de l’agro-business, conduisant à des gaspillages délibérés (irrigation de cultures industrielles subventionnées, assèchement de zones humides).

Mais les subventions se font surtout par une politique de « grands travaux », dont une grande partie ne bénéficie guère à la population, si ce n’est sous forme d’emplois (donc aussi d’exploitation). Car quel est l’intérêt pour la grande partie de la population du développement du complexe militaro-industriel (porte-avions ou technologies du tout-sécuritaire, par exemple), d’infrastructures de « déménagement du territoire » comme la multiplication d’autoroutes ou d’aéroports ?

Quelle finalité économique ?

Pour revenir au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, un projet adjacent est de le mettre en liaison (« hub ») avec de grosses infrastructures routières, créant un afflux de camions, ainsi qu’avec le TGV. Bref, tout le confort à la porte de celles et de ceux qui ont les moyens. Il faut savoir que ce « confort » qu’apporte la recherche de vitesse se paiera alors au prix fort. Car tout cela nécessite une énergie phénoménale, qu’elle soit sous forme d’hydrocarbures ou d’électricité.

Or la région est déficitaire en électricité (on peut même parler d’organisation de la pénurie avec la mise en sommeil de deux tranches de la centrale thermique de Cordemais). Aujourd’hui, il est notamment impossible d’électrifier la voie ferrée de la Roche-sur-Yon pour cette raison. Avec les projets mégalomanes de développement de la « métropole Nantes-Saint-Nazaire », chers autant à la droite départementale et régionale qu’à Jean-Marc Ayrault et Cie, les besoins énergétiques seront en forte progression et on nous mettra alors devant la « nécessité » de nouvelles sources d’énergie : et c’est là que les mêmes « responsables » politiques et économiques nous resserviront l’avenir radieux-actif avec une centrale nucléaire de 3e génération en Basse-Loire.

Ce confort-là, franchement nous n’en voulons pas, parce qu’il sera réservé à une minorité de personnes aisées et parce qu’une majorité de la population en subira les retombées.

Outre le fait de refuser énergiquement ces projets, il est nécessaire également de se poser la question de la finalité de la production et du travail : travailler pour faire vivre un système ou travailler pour répondre à des besoins. Même la notion des besoins et de leur maîtrise doit être débattue.


Hervé est militant au groupe FA de Nantes.

Ce texte a été écrit à partir d’un tract distribué lors de la manifestation du 22 novembre 2003 dans les rues de Nantes contre le projet d’aéroport, qui a rassemblé près de 1 500 personnes.