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Les Sans-papiers contre le droit du travail

Le jeudi 11 décembre 2003.

La nocivité de la majorité actuelle est décidément sans limite… La nouvelle loi sur la maîtrise de l’immigration [1] réussit à faire coup double : elle casse le droit du travail en tapant sur les sans-papiers.

Au cœur de la manœuvre, on retrouve l’amalgame largement répandu entre travail clandestin et immigré clandestin. S’il est vrai que les sans-papiers sont obligés de travailler au noir pour survivre, la réciproque est complètement fausse. Dans la majorité des cas, le travail clandestin concerne des gens qui sont parfaitement en règle par ailleurs : en 2002, l’emploi d’étrangers sans titre représentait à peine 7 % des infractions de travail illégal [2]. Leur situation fait même des sans-papiers des victimes désignées, ce que reconnaît le droit du travail, qui prévoit même l’assimilation du salarié « sans titre » à un salarié régulier pour qu’il puisse faire valoir ses droits [3]. Mais la droite excelle dans le jeu de transformer les victimes en coupables…

Ainsi on a eu droit cet été à l’amendement Mariani, qui ajoutait en cas de travail illégal une mesure d’éloignement et/ou une amende de 3 750 euros contre le salarié, s’il s’avérait que celui-ci était sans papiers. Cette disposition aurait créé un précédent fâcheux en introduisant dans le Code du travail le principe d’une pénalité à l’encontre du salarié. Sur cette base, le ministre du Travail, en défenseur du prolétariat exploité, s’était opposé à cet amendement. Prise de position soi-disant courageuse, mais qui s’avère n’être que de la poudre aux yeux. Non seulement le texte finalement voté dénature complètement le droit du travail en y ajoutant des considérations qui n’ont plus rien à voir avec la défense du salarié, mais il va plus loin en cassant l’inspection du travail en en faisant une nouvelle police de l’immigration [4].

Les contrôleurs et les inspecteurs du travail devront maintenant relever les infractions à l’ordonnance de 1945, c’est-à-dire les textes relatifs à l’entrée et au séjour des étrangers. Ce bricolage met en cause l’existence même d’une inspection du travail. Le fait qu’un groupe de fonctionnaires ait pour seule et unique mission de contrôler les patrons reste en travers de la gueule à pas mal de monde, car cela manifeste clairement que tout patron est un délinquant en puissance. En ajoutant le contrôle des étrangers, non seulement on englue l’inspection du travail dans un fatras juridique mais, surtout, on fracasse la base du droit du travail et de son contrôle. Si on admet le principe d’une culpabilité du salarié, on met sur le même plan patron et salarié. On nie l’inégalité fondamentale du rapport de force née de l’exploitation salariée.

Les sans-papiers se retrouveront même encore plus affaiblis face aux patrons. On imagine mal qu’ils aillent dénoncer leur employeur, sachant qu’ils se verront appliquer une reconduite à la frontière. Les patrons n’ont pas de soucis à se faire, ils continueront à bénéficier d’un vivier de main-d’œuvre ultra-compétitif. Ça tombe bien, il paraît que le bâtiment et la restauration manquent de bras. Si les représentants du patronat jouent la provocation dans les dîners en ville en expliquant qu’il faut augmenter l’immigration, ils oublient de préciser que leurs immigrés, ils les veulent précaires et expulsables.

Un autre aspect du texte est extrêmement révélateur de la boue idéologique dans laquelle patauge joyeusement la droite. Le texte voté renforce les peines prévues à l’encontre des employeurs ou des passeurs, en ajoutant pour un certain nombre d’articles du Code du travail, dans la liste des sanctions, l’interdiction de séjour. Ils avaient déjà fait passer ce genre de dispositions en 1993, que leurs successeurs ont sûrement oublié d’abroger. Après ça, Sarkozy peut parler tant qu’il veut d’abolir la double peine.

Mais le plus grave est ailleurs… Si on prévoit des peines d’interdiction du territoire pour les employeurs, on fait passer le message que ce sont les étrangers qui font venir et qui font travailler les sans-papiers. Et que les sans-papiers sont victimes de leurs congénères. C.Q.F.D. On nous avait fait le coup avec l’esclavage moderne en mettant sur le devant de la scène les femmes de diplomates qui achetaient des gamines au pays pour les mettre à leur service. C’est un nouvel avatar du vieux mythe de l’innocence des Occidentaux dans l’invention de l’esclavage, selon lequel les Africains eux-mêmes auraient proposé les esclaves aux marchands.

Et, en faisant ça, on fait de l’exploitation des travailleurs une coutume exotique, alors que c’est le fondement de notre société.

Félix le Chat


[1Loi nº 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité.

[2D’après la Dilti (Direction interministérielle de lutte contre le travail illégal).

[3Art. L 341-6-1 du Code du travail.

[4Expression empruntée à l’excellent 4 pages « La pénalisation des salariés étrangers dépourvus d’autorisation de travail », rédigé par le Gisti : http://www.gisti.org/doc/actions/2003/travail/4pages.pdf