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Je radie, tu radies… l’Algérie radie

Le jeudi 11 décembre 2003.

Imaginez Luc Ferry annonçant que la grève des professeurs de l’enseignement secondaire et technique qui est régulièrement reconduite depuis huit semaines a assez duré ; qu’« il est temps de siffler la fin de la récréation » et que par conséquent tous les grévistes récalcitrants seront radiés de l’éducation nationale et remplacés sur-le-champ par des diplômés de l’enseignement supérieur au chômage.

Ce mauvais rêve se transforme en cauchemar pour près de 58 000 de nos collègues algériens, confrontés à la rigidité cadavérique du pouvoir de Bouteflika.

Né en avril dernier, puis étouffé, le conflit a rebondi il y a deux mois, portant comme principales revendications la revalorisation de 100 % des salaires, aujourd’hui compris entre 100 et 120 euros par mois, et une véritable reconnaissance statutaire. Confrontés depuis le début du mouvement à une répression quotidienne, les grévistes réclament désormais en sus la reconnaissance d’un des deux syndicats autonomes qui mènent le mouvement, le Cnapset [1], ce qui leur permettrait de se mettre un tant soit peu à l’abri de probables représailles.

À la mi-novembre, après quatre semaines de conflit marquées par les intimidations, les arrestations, la suspension des meneurs et le mépris, le pouvoir a concédé une prime de 5 000 dinars (45 euros), et non une augmentation de salaire qui aurait pu inciter les autres secteurs publics à débrayer. Les enseignants l’ont refusée fermement. Depuis, le gouvernement joue sur la division syndicale (le FNTE, proche du pouvoir, faisant office de perturbateur), la lassitude de la population et notamment des jeunes, tiraillés entre un soutien affirmé à leurs professeurs et le désir de reprendre les cours, et la répression pure et dure avec l’arme de la radiation (en violation du droit du travail).

Depuis le 29 novembre, date de l’ultimatum fixé par les autorités, les licenciements collectifs se multiplient (déjà plus d’un millier), et les premières nominations de professeurs ont eu lieu. Les grévistes pourraient également être poursuivis pour « entrave au droit constitutionnel à l’enseignement ». Des paroles aux actes, l’État algérien adopte une attitude résolument brutale et inflexible. Et ce à la veille de l’élection présidentielle.

Mais l’intransigeance combative du ministre de l’Éducation, Aboubakr Benbouzid n’est pas venue à bout de la contestation, et les grévistes continuent courageusement à manifester, à se réunir dans leurs établissements, à réclamer une autre politique éducative.

Leur lutte est par exemple soutenue à Tizi Ouzou par les élèves qui refusent le remplacement de leurs professeurs par des vacataires « qu’ils ont promis de chasser de leur établissement ». À Tiaret, ce sont les professeurs sortants de l’École normale supérieure qui s’indignent : « Nous voulons des postes budgétaires créés spécialement pour nous, et pas pour assurer des remplacements d’autres professeurs et ce, quelle que soit la légitimité ou non de leur débrayage. » Les universitaires devaient se réunir le 3 décembre. Les professeurs des niveaux primaires et moyens ont décidé de soutenir leurs collègues en appelant à une grève de deux jours, les 6 et 7 décembre. Le secteur privé déclenche des arrêts de travail localement.

Alors que le conflit entre dans son troisième mois, les grévistes réclament l’abandon des poursuites judiciaires et des radiations, ainsi qu’un dialogue entre le Cnapset et le ministère.

Face à l’arbitraire du pouvoir et au sacrifice de l’éducation dans un pays démographiquement jeune où une grande part de la population vit dans la pauvreté, nos collègues algériens ne doivent pas se sentir isolés internationalement.

Nous les soutenons et encourageons la tenue d’assemblées générales souveraines et interprofessionnelles seules à même d’étendre la lutte pour une transformation de la société et de la condition des travailleurs.

Frédéric, CNT-Éducation 93


[1Cnapset : Conseil national autonome des enseignants du secondaire et technique ; CLA : Conseil des lycées d’Alger.