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Le G5 adopte la biométrie pour les visas européens

Le jeudi 11 décembre 2003.

Lors d’une réunion du G5 à La Baule, les ministres de l’Intérieur européens (France, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie et Espagne), dont Nicolas Sarkozy, ont « exprimé leur accord concernant l’introduction de la biométrie pour les visas européens ». Mais, bon sang, qu’est-ce que c’est que cette nouvelle bestiole, la biométrie ?

Explication de notre super-ministre :

« C’est un outil facile à mettre en œuvre et très efficace. »

Ah, bon ? Super ! Mais encore ? qu’est-ce que c’est qu’ça ? C’est aussi cool que les radars automatiques ?

« L’introduction de la biométrie dans le passeport ou visa permet de stocker les caractéristiques physiques d’un individu (empreintes digitales et reconnaissance du visage) pour permettre aux policiers de certifier le rapport entre ces informations et le détenteur d’un passeport. L’Union européenne pourrait donc adopter la carte à puce comme mode de stockage pour ces données. » Otto Schilly, le ministre allemand, a plaidé « pour une harmonisation internationale des normes ».

Donc, en clair, ces braves gens étudient un moyen de stocker une empreinte numérique des individus en utilisant la technologie des cartes à mémoire. Comme ça, les gros méchants terroristes auront plus de mal à se faire passer pour vous, brave gens.

En effet, il ne suffit plus de coller sa photo sur un faux visa pour se faire passer pour quelqu’un d’autre. Il faut aussi être capable de frauder la puce pour y entrer ses empreintes, son visage, etc. À priori, ce n’est pas à la portée du premier venu.

Il semble donc que Sarko ait enfin trouvé la solution finale. Si vous utilisez autre chose qu’un cochon en porcelaine pour garder vos sous, vous avez sûrement une carte bancaire. L’espèce de machin jaune cuivré en haut à gauche de votre carte, c’est ce qu’on appelle la puce.

Au départ, sur les cartes, il y avait juste une piste magnétique (située au dos de la carte), contenant des données qui permettaient de vous identifier comme client d’une banque.

Cette piste, nommée Piste ISO2, n’est pas trop différente technologiquement de la bande magnétique d’un billet de métro.

Cette technologie, aujourd’hui dépassée, est néanmoins encore utilisée par les anciennes générations de distributeurs de billets. C’est ce qui explique que la bande magnétique, dinosaure monétique, n’a pas encore totalement disparu de vos cartes.

Mais cela va changer

En effet, dès les années quatre-vingt, une autre technologie (inventé par le Français Moreno) est apparue : la puce. Il s’agit en fait d’un mini-processeur ; une sorte d’ordinateur nain.

Pour avoir une carte à puce, il suffit d’incruster la puce dans un morceau de plastique. Elle communique avec le monde extérieur grâce à des contacts électriques (c’est les bandes noires sur le machin jaune de votre carte).

Les premiers prototypes ne faisaient quasiment rien, par manque de mémoire et de puissance de calcul. Les banques françaises ont été les premières à appliquer cette technologie pour le paiement.

Depuis plus de quinze ans, en France, c’est la puce qui est lue lors d’un achat dans un magasin. Très longtemps, la France a conservé le leadership de l’utilisation de la carte à puce pour le paiement (norme B0’), grâce notamment au puissant groupe d’intérêt économique Carte bancaire (GIE-CB).

Mais cela a changé

Assez récemment (au milieu des années quatre-vingt-dix), une nouvelle technologie de carte a puce inventée par un consortium américano-européen — Eurocard MasterCard Visa (EMV) est apparue.

Elle va remplacer progressivement l’ancienne technologie made in France (ne pas pleurnicher, des loups mangèrent des loups), et s’imposer comme un standard mondial et, qui plus est, un standard mondial au-delà du domaine monétique.

C’est à ce moment qu’on revient à l’objet de cet article.

Désormais, la carte à puce, possédant des capacités de stockage et de traitement suffisantes pour enregistrer des données complexes comme des empreintes digitales ou la forme d’un visage, est devenue un véritable système d’information.

De plus, ce système d’information est « verrouillé » par des techniques cryptographiques de pointe. Il est assez simple de lire les données, mais très difficile de les modifier si on n’a pas les clés d’accès.

Cela rend ce support assez sûr (du moins actuellement) pour servir de carte d’identité électronique.

Mais quel est l’intérêt ?

En quoi est-ce mieux qu’un bon vieux visa (ou carte d’identité) en carton, bien de chez nous ? C’est assez simple à expliquer :

Tu donnes ta carte au monsieur qui l’insère dans son terminal. Le terminal lit dans la puce tes empreintes digitales, ainsi qu’un ensemble de données permettant de t’identifier physiquement (couleurs des yeux, des cheveux, taille, etc.)

Le terminal envoie ces données à un serveur qui propage ces informations dans un réseau. L’un des nœuds de ce réseau détecte qu’un individu répondant aux critères a participé à une manif subversive il y a trois ans (grâce au suivi d’une caméra numérique).

Le monsieur te dit : « Désolé, ça va pas être possible ; veuillez me suivre, s’il vous plaît. »

Bien sûr, c’est un scénario paranoïaque — pour l’instant —, mais c’est possible techniquement aujourd’hui, ou demain.

Je pense que c’est cela le rêve des ministres de l’Intérieur qui se sont rencontrés au G5.

Rappelez-vous aussi de cette histoire : le Crédit agricole qui avait introduit des données relatives à l’appartenance ethnique des clients dans ses fichiers bancaires, afin de « rationaliser » les prestations de service. En clair, on va pas donner un crédit à un Arabe, c’est pas sérieux. À l’époque, cela avait fait un petit scandale. Le jour où cette information (vous êtes né à Alger) sera enregistrée dans votre carte à puce, cela ne sera plus de la faute de la banque si elle vous refuse un prêt (l’info vient de vous).

Pour ceux qui pensent que je devrais plutôt me faire soigner (ils ont raison en fait), voici texto la fin de l’article dont je m’inspire :

« Petit à petit, la biométrie s’installe dans des applications quotidiennes, notamment vers des applications grand public comme les cartes à puce. Plusieurs acteurs de la carte à puce comme Schlumberger ou Identix s’intéressent de près à la lutte contre la fraude des cartes bancaires et étudient des techniques qui font appel à l’identification du porteur par l’empreinte digitale ou encore l’iris de l’œil. Les données sont stockées sur la puce et ne peuvent être violées ou modifiées.

 » La baisse du coût des matières premières, des puces et des scanners permet d’envisager la biométrie comme une solution abordable pour la sécurité dans l’avenir, et cette évolution devrait dynamiser le marché de la carte à puce. Par exemple, plus de soixante hôpitaux britanniques ont été équipés de la technologie qui permet la reconnaissance des empreintes digitales pour permettre aux employés de consulter les informations des patients ou encore d’avoir accès à la salle des médicaments.

 » D’autres secteurs étudient les avantages de la biométrie pour sécuriser les transactions sur Internet ou sur d’autres réseaux de données alors qu’aujourd’hui, il suffit d’un mot de passe. »

Conclusion

Le jour où la puce passera de notre carte bancaire à notre carte d’identité, il ne sera plus possible d’aller où que ce soit sans que Big Brother ne le sache. Cette carte pourra servir d’accès aux immeubles, aux magasins, aux moyens de transport.

Elle pourra permettre d’éliminer physiquement les individus non conformes, par le simple fait qu’en tant que non-possesseurs d’une carte valide, il ne pourront plus exister (ni voyager, ni acheter, ni rien faire du tout).

Un autre projet des banques est la suppression pure et simple de l’argent liquide, qui sera lui aussi remplacé par des cartes à puce (Monéo, le porte-monnaie électronique : PME).

À terme, seuls ceux qui posséderont des cartes à puce permettant de recharger leurs PME pourront avoir le droit de posséder de la monnaie. Cela serait un bon moyen d’empêcher toute économie parallèle.

Jusqu’à maintenant, ce projet est un échec en France, et un succès très relatif ailleurs en Europe. Mais les banques progressent petit à petit. Si elles parviennent à leur fin, alors peut-être qu’un jour, des hordes d’exclus s’exileront des cités et fonderont une société nouvelle débarrassée de toute forme de monnaie.

Juan Ibes Deniski


Passages entre guillemets : source : Le Courrier de la monétique, nº 390, 27 octobre 2003.