C’est l’histoire d’un simple fonctionnaire de la République devenu tranquillement assassin de ses semblables, mais souhaitant être considéré innocent de ses crimes.
En 1935, un certain Maurice Papon, qui a brillamment terminé ses études, est affecté au ministère de l’Intérieur. Après la défaite de la France, en juin 1940, et l’occupation des trois cinquièmes du territoire, le jeune ambitieux va de promotion en promotion et se retrouve au poste de secrétaire général de la préfecture de Gironde, en 1942.
C’est là un parcours banal. À cette époque, il y a en France quatre cents Papon potentiels. Tous préfets, sous-préfets ou secrétaires généraux de préfecture. Tous capables de fidélité à l’ordre nouveau — c’est-à-dire à l’ordre nazi. Papon se différenciera pourtant de ses collègues par sa longue carrière politique qui finira par attirer l’attention sur ses activités passées, pieusement masquées par ses parrains gaullistes.
De quoi est donc coupable ce fonctionnaire irréprochable, désormais élu de la République ? Il a simplement livré aux bourreaux nazis 1 680 juifs bordelais. Peu de chose, en somme, comme s’il ne s’était rien passé d’irrémédiable. En ces temps troublés, quelle importance pouvait bien représenter ces parias marqués de l’étoile jaune par ses soins, dans le département de la Gironde ?
La Libération venue, il paraît que l’on a beaucoup épuré. Ont été surtout fusillés des petits salauds de miliciens. Très peu de policiers ou de gendarmes ont été jugés ou même simplement révoqués — et moins encore de hauts fonctionnaires. Ces gens-là peuvent toujours être utilement recyclés…
C’est ainsi que Maurice Papon peut poursuivre avec succès une brillante carrière préfectorale ; particulièrement à Constantine où il opprime déjà les Algériens. En 1958, il devient préfet de police de Paris. C’est donc tout naturellement qu’on le retrouve dans le rôle de chef des policiers assassins de plusieurs centaines d’Algériens, le 17 octobre 1961. Avant de diriger ces mêmes gardiens de l’ordre public qui vont massacrer huit militants communistes, le 8 février 1962, à la station du métro Charonne.
L’homme a pourtant des ambitions politiques. Élu député du Cher, en juin 1968, Maurice Papon, déjà maire de Saint-Amand-Montrond, devient trésorier national et membre de l’exécutif du parti gaulliste, de 1969 à 1972. Rapporteur de la commission des finances de l’Assemblée nationale, il se retrouve ministre du Budget en avril 1978 dans un gouvernement Barre, Giscard d’Estaing étant président de la République.
Maurice Papon a peut-être encore l’avenir devant lui mais, en 1981, les archives commencent à parler. Et Le Canard enchaîné titre, en première page : « Papon… aide de camp ! »
En 1983, Maurice Papon est inculpé. La procédure va durer quinze ans, mais l’ancien homme de confiance des gaullistes est condamné, en 1998, à dix ans de prison ferme pour complicité de crime contre l’humanité. Peine qu’il n’effectuera que très partiellement car il sera libéré trois ans plus tard eu égard à sa mauvaise santé.
Depuis, ses avocats n’ont eu de cesse de victimiser l’immonde personnage ; jusqu’à demander la tenue d’un nouveau procès. Pour appuyer cette démarche, Maurice Papon accorde une longue interview à l’hebdomadaire Le Point, daté du 19 février 2004. L’ancien flicard y affirme qu’il n’a rien fait de « regrettable ». Ce qui signifie en clair que l’assassinat, par destination, des juifs bordelais n’était en rien regrettable.
Ce déchet de l’humanité a eu le front de déclarer aux journalistes du Point qu’il n’avait pas de remords, pas de regrets : « Pour qu’il se produise, le remords doit trouver une souche. Je ne me suis jamais trouvé dans la position d’engendrer un événement qui porte au remords, je ne vois pas pourquoi j’en exprimerais ? Pour exprimer des remords, il faut avoir la conscience coupable ! »
Ceux qui ont fait massacrer des millions d’hommes, au cours des grandes boucheries mondiales, n’ont jamais dit autre chose. Simplement, ce bon Français est devenu très visible, et le nom de Papon synonyme de flic assassin ! Papon n’a pas seulement été un « aide de camp » efficace. Il a fait partie de ces auxiliaires indispensables aux nazis pour la réalisation de l’abominable génocide que la mémoire des hommes libres ne pourra jamais passer par pertes et profits.
Maurice Rajsfus