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Élection, auto-aliénation

Le jeudi 10 juin 2004.

« Le peuple souverain doit constamment présider le corps social. Il ne veut pas qu’on le représente »

J.-F. Varlet

« Nous ne voulons pas plus de l’exploitation de l’homme par l’homme que du gouvernement de l’homme par l’homme »

P.-J. Proudhon



Terrible illusion du pouvoir : tuer l’autre n’empêche pas de mourir. La république parlementaire et le suffrage universel ont été obtenus par le peuple en 1792 pendant la Révolution française, et non par la bourgeoisie. Si cela constitue un progrès sur le despotisme, il n’en demeure pas moins que c’est un leurre qui répète le même assujettissement. La démocratie parlementaire suppose l’État et le gouvernement dans leurs fonctions de guerre, de répression, de justice de classe et de punition, de législation et de codification, d’éducation et de conditionnement, de soumission à une autorité, de hiérarchie. Sous couvert d’intérêt général, elle assure l’ordre social pour la domination d’une classe dirigeante, suivie d’exploitation. La démocratie parlementaire se distingue de la dictature par une servitude volontaire.

L’État et la religion nient l’individu qu’ils aliènent à une catégorie d’être, partie d’un tout, corps social comme incarnation d’un fantasme d’immortalité. Le palais ou le temple inscrivent dans l’architecture la hiérarchisation autour d’un modèle. La transcendance comme pseudo idéal aliène le moi réel à une idée. L’État et la religion accaparent le symbolique et prétendent définir l’identité et la signification de l’existence. La vie devient une morale du devenir dans un destin obligé comme seule histoire. Dans cet ordre imposé, s’instaurent les rapports de pouvoir entre personnes. Les appareils étatique et religieux masquent les fantasmes qui s’y jouent et accaparent les consciences pour nourrir leurs institutions.

Il ne faut pas confondre démocratie, gouvernement du peuple par lui-même, et représentativité parlementaire qui n’en est qu’un simulacre. La démocratie parlementaire est l’illusion de la souveraineté du peuple. Être représenté, c’est être sous tutelle. Déléguer son pouvoir, c’est abdiquer de sa volonté dans un rapport de soumission à une autorité. Voter est un acte d’allégeance.

La démocratie parlementaire use de la confusion entre représentation, personnalisant la fonction autour du candidat, et signification, projet politique qui reste dans un non-dit, masqué par des formules et des discours. Une caste de politiciens devient la classe dirigeante dont la course au pouvoir devient le but, se substituant au choix de société. Le débat de fond est escamoté par des polémiques, des pseudo analyses parcellaires, de fausses solutions et de la démagogie. La mascarade électorale est le spectacle du mensonge dans ses multiples procédés pervers.

Les médias participent à la mystification en donnant une image falsifiée de la réalité et des commentaires orientés. La caste des journalistes a les défauts du pouvoir, prétendant représenter la liberté et la vérité alors qu’elle diffuse de la propagande dans un esprit partisan pseudo objectif. Un rapport de domination s’établit entre l’opinion publique et les spécialistes sensés savoir qui la manipulent. On prend l’habitude que l’autre pense pour nous. La parole est confisquée par des pantins dont les ficelles du métier n’animent qu’un rôle et une litanie. L’imposture idéologique, qui ne dit pas son nom, s’affiche dans la mise en scène qui occulte la vraie réflexion de cause à effet.

La démocratie parlementaire ne représente pas le peuple, qui n’est jamais unanime. Une majorité sur un sujet peut être minoritaire sur un autre. Mais il n’y a pas le choix du sujet, seulement des programmes tout faits élaborés par les partis qui accaparent la vie politique. La pluralité des partis ne change rien sur le fond. Plusieurs programmes plutôt qu’un seul ne reflètent pas la diversité des individus. « Le parti est un État dans l’État » (Stirner). Le parti suppose une doctrine, une discipline et une hiérarchie qui uniformisent.

Le fait majoritaire est artificiel et ne garantit pas d’avoir raison. Il n’y a pas à soumettre les minorités ni les individus dans ce qui leur est propre, ni un individu ou une minorité soumettre une majorité.

La démocratie repose sur un sophisme. Si les gens ne sont pas capables de se gouverner eux-mêmes, comment sauraient-ils quel candidat choisir ? S’ils connaissent les qualités requises, ils peuvent s’administrer eux-mêmes. Un mandat peut alors être donné à une personne pour ses compétences dans un domaine, mais ce n’est pas elle qui décide du projet, c’est le peuple. Avant de décider qui est compétent pour un projet, il faut savoir s’il est utile. (On a besoin de compétence pour conduire un train. On n’a pas besoin de savoir gérer le capitalisme puisqu’il faut le supprimer). En cas de conflit ou de projet collectif, le libre accord au mieux des intérêts de chacun doit être trouvé par une démocratie directe à la base, dans le respect de la liberté individuelle, pour concilier intérêts général et particulier.

La démocratie parlementaire ne représente qu’une mythologie avec ses personnages et ses scénarios, ses rites jusqu’au formalisme vide de sens, qui reproduit les processus d’identification psychique de l’enfant. Elle entretient une dépendance infantile et passive à l’autre à qui on attribue une toute puissance tutélaire où plus personne n’est responsable, ni libre. Ce qui s’y joue, comme dans le mythe, reste caché derrière la forme, dans le fantasme de tout un chacun.

Jean Monjot