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À la petite semaine

Les Clercs obscurs

Le jeudi 6 novembre 1997.

Dans les hautes sphères d’une certaine pensée française, la plus outrageusement voyante et la plus exportée, les neurones défensifs de quelques têtes pensantes de métier ont revêtu la tenue de combat depuis qu’une offensive étrangère, et donc indigne, a déchiré brutalement son masque, découvrant son vrai visage de bouffon vaniteux.

Depuis des lustres, les m’as-tu-vu du discours psycho-sociologico-politico-philosophique estampillé haut de gamme, fuyant la clarté et la limpidité du propos comme autant d’obstacles à la reconnaissance de leur puissant génie, ont entrepris d’étayer les branlantes constructions d’esprit, toutes de charabia prétentieux, à l’aide d’emprunts à des disciplines scientifiques dont ils ignorent jusqu’au b.a.-ba. Mais l’ignorance, on le sait, ne saurait constituer un frein sérieux à l’étalage de l’érudition en toc des cuistres intello-médiatiques, l’important étant que le vide des démonstrations soit rempli d’une argumentation farfelue, voire grotesque, mais suffisamment péremptoire et d’un hermétisme snobinard tel qu’il passera toujours pour un savoir considérable et d’une folle originalité auprès d’un parterre de naïfs peu exigeants, dans le besoin permanent de vénérer des idoles.

Nos penseurs charlatans, du moins ceux qui sévissent encore, aurait pu continuer ainsi à se vautrer au mieux dans une imposture intellectuelle profitable, mais voilà que, grâce à un canular des plus délicieux, deux scientifiques — un Américain forcément impérialiste bientôt rejoint, horreur, par un confrère belge —, se penchant sur les travaux de nos baudruches gonflées au vent de la fatuité, ont eu l’outrecuidance antifrançaise de parler de ce qu’ils connaissent — en termes clairs, quels indécence ! — et de dénoncer par là même le bavardage pédant des Lacan, Derrida, Guattari, Deleuze et autres ineffables Baudrillard et Kristeva.

Connu sous le nom d’« affaire Sokal », du nom de l’odieux Yankee évoqué ci-dessus, l’événement secoue le monde qui réfléchit à notre place, non sans inquiétude en ces temps de crise de l’emploi. Car si la profession d’intellectuel de renom doit désormais consister à tenir des propos ou à présenter des écrits intelligibles, cohérents et pertinents, touchant à des domaines que maîtrisent leurs auteurs, le tout accompagné d’une modestie bien venue, cela va encore entraîner des licenciements…

Floréal