Voila un recueil de « textes choisis » du célèbre anarchiste. Court, une centaine de pages de petit format, et doté d’une présentation non moins intéressante que celles qu’on a pu connaître jusqu’à présent. En effet, ce petit livre est édité par « Le temps des cerises », éditeur que l’on qualifiera de proche du parti communiste [1]. Il va de soi par conséquent que la présentation et le choix de textes ne sauraient être anodins.
Les marxistes nous ont déjà fait rire à propos de Bakounine. On se souvient de Jacques Duclos, auteur (du moins son nom était sur la couverture) d’un Bakounine-Marx, ombre et lumière puis d’un autre recueil de textes édité par Pauvert dans lequel le préfacier s’écriait : « Bakounine est marxiste ».
Notre curiosité est donc forcément attirée vers la présentation de ce nouveau recueil. Et elle n’est pas déçue. Pourquoi donc des marxistes éditent-ils Bakounine aujourd’hui ?
L’auteur de l’introduction constate l’« échec des régimes socialistes » [2] et estime que « les mises en garde de Bakounine […] auraient dû être prises plus au sérieux, d’autant que ses conceptions étaient partagées par une fraction notable des ouvriers les plus combatifs. »
Il relativise comme il peut l’apport de Bakounine en écrivant que s’il « a pu de manière prémonitoire avoir raison sur les dangers d’une dérive dictatoriale dans les sociétés socialistes organisées sur une base marxiste » il s’agit d’une « ironie de l’histoire ». Les millions de victimes du goulag ne sont plus là pour apprécier l’ironie… Malheureusement, la « prédiction » du contradicteur de Marx était simplement logique ; la dictature ne mène pas à la liberté.
Surtout, notre auteur veut bien se servir de Bakounine pour contribuer à expliquer en quelque sorte la chute du mur, mais surtout il demande de ne pas aller plus loin. Il prévient à deux reprises que la peste est derrière : « […] l’objectif du non-État est dans l’étape actuelle une revendication dangereuse, récupérée dans sa totalité par les théoriciens et les praticiens de l’ultralibéralisme ». Comme si la Fédération anarchiste d’aujourd’hui roulait pour Madelin…
Sans parler des « amabilités » dont Bakounine est encore gratifié dans l’introduction, on trouvera ensuite, néanmoins, de très bonnes pages, significatives de la pensée bakouninienne. Bien sûr le saucissonnage est terrible et frustrant, mais pour qui veut une introduction rapide et peu onéreuse aux idées de Bakounine, il suffira d’en lire les extraits qui sont contenus dans ce petit livre.
Le Furet