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Demain existe…

Le jeudi 21 octobre 2004.

L’amitié, fidèle, et la promesse faite à soi-même sont les raisons essentielles de cette très agréable édition des Chants de Maldoror illustrée par les peintures de Christian Lagant. Peintures en couleur, j’insiste, parce que je les avais quant à moi reproduites en noir et blanc, hélas, dans une brochure datant de 1994 (Le Pied de grue) éditée par l’Atelier de création libertaire.

Les plus anciens se souviennent de Christian, le compagnon exemplaire, connu plus largement parce qu’il était le responsable « officiel » de la revue Noir et Rouge (première série). C’était un camarade exigeant mais chaleureux, sensible mais argumentateur politique passionné ; Hellyette, dans une postface où le cœur déborde, à sa façon bien à elle, rappelle ces années cinquante si proches et pourtant si lointaines quand, au sein du Mouvement indépendant des auberges de la jeunesse, il n’y avait pas de spectateur : tout adhérent était membre actif du groupe. Les miajistes se réclamaient de l’antifascisme, de l’antimilitarisme, de l’anticolonialisme, de l’internationalisme et pratiquaient la camaraderie et la solidarité.

Mon souvenir personnel associe le MIAJ au groupe des Jeunes Libertaires réunis lors d’un camping à Salernes dans le Var, en août 1956. Un des premiers campings libertaires, non ? Qui fera l’histoire de ces moments si riches ? Et qui rééditera la collection de la publication Jeunes Libertaires si magnifiquement, pour l’époque, mise en pages, sur stencils, par René Darras et d’autres ? C’est pendant ce camping que les JL décidèrent leur soutien pratique aux réfractaires à la guerre d’Algérie et qu’ils créèrent le premier réseau de passage en Suisse.

Dans une trop courte postface, Hellyette retrace le parcours de Christian quand il adhère à la Fédération anarchiste et participe au Libertaire avec ses dessins « ironiques et insolents ». Christian, partisan d’une organisation forte et soucieux d’efficacité, rejoindra ceux qui transformeront la Fédération anarchiste en Fédération communiste libertaire ; il dénoncera par la suite la manière crapuleuse et l’« entrisme » de la grosse douzaine de clandestins de l’Organisation Pensée Bataille, dont il ne fut pas. Faire de la FCL une organisation de lutte de classe n’avait rien de critiquable en soi. Mais si Christian avait des convictions, il entendait les faire partager par des méthodes ouvertes et transparentes. Quand la FCL se présentera aux élections municipales, Christian s’insurgera, puis il démissionnera de cette organisation.

En Christian, le militant intransigeant et le peintre sensible ne faisaient qu’un, il témoigna ainsi que des « passages » sont possibles entre une théorie anarchiste classique et des ouvertures poétiques vers d’autres territoires, aventures trop risquées sans doute pour nombre de militants qui craignent les contre-marches sur les chemins de l’irrationnel. Je veux parler du surréalisme, bien sûr, mais de bien d’autres voies ouvertes soit vers la poésie, soit vers d’autres chercheurs qui ne peuvent que nous renouveler intellectuellement et sensiblement.

En 1955, naîtra le Groupe anarchiste d’action révolutionnaire qui publiera donc Noir et Rouge (une anthologie a été assemblée par les éditions Acratie). Cette revue, de facture modeste, aura cependant une grande influence sur les jeunes générations qui virent alors éclater leur champ de réflexion. Est-ce à dire que l’ancienne Fédération anarchiste était alors un peu sclérosée ?

La parution du numéro anniversaire pour les cinquante ans du Monde libertaire et l’édition d’un livre de plus de 400 pages aux éditions du Cherche Midi peuvent être l’occasion d’un coup d’œil dans le rétroviseur pour analyser les différentes péripéties et du mouvement et de la pensée libertaires. Il semblerait que des aspérités aient été gommées par le temps, mais que d’autres montrent le bout de leur nez. Pour en revenir à Christian, qui, bien que très convaincu de la justesse de son point de vue, montrait une totale ouverture d’esprit pour être à l’écoute des autres compagnons, la biodiversité libertaire allait de soi ! « Chacun acceptait l’autre. » « Nous savions que nous n’étions pas détenteurs de la seule ligne juste, ni d’une vérité universelle », écrit Hellyette.

Christian Lagant choisira de se donner la mort très discrètement en décembre 1978.

Hellyette évoque trop rapidement les diverses positions prises par les anarchistes durant cette période (de la guerre d’Indochine jusqu’à Mai 68) ; c’est dommage, son témoignage compléterait notre histoire commune. Demain, c’est peut-être trop près, mais après-demain existe…

André Bernard


Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, Les Chants de Maldoror, illustrations de Christian Lagant, postface de Hellyette Bess, Les Mauvais Jours éditeur, 2004, 230 p., 35 euros. Disponible à Publico.