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Les Retraites et la logique de la capitalisation

Le dimanche 29 mai 2005.

Ne nous trompons pas, pour répondre à la demande du FMI, les gouvernements européens veulent non seulement l’augmentation de l’âge du départ à la retraite, mais surtout l’introduction de fonds de pension. Ils vont ainsi discuter lors du prochain sommet pour mettre en place des fonds de pension et de retraite transnationaux, avec l’objectif toujours porté par les institutions européennes de constituer « un véritable marché unique des fonds de pension » (rapport Kuckelkorn du parlement européen du 29 février 2000). L’introduction de ce système de capitalisation permettra aux salariés qui en auront les moyens d’épargner pour une retraite complémentaire.

Pour cette mesure, l’argument démographique se double de celui du rendement : la capitalisation offrirait, grâce au dynamisme boursier, une manière moins coûteuse de se constituer une retraite.

Les deux systèmes de capitalisation et de répartition ne peuvent pas cohabiter. La logique du système de capitalisation est de développer une économie financière spéculative, car les épargnes constituées seront utilisées dans l’économie financière. Vu les rendements à court terme que recherchent les fonds de pension, bien supérieurs aux investissements dans l’économie réelle, leur logique sera de se développer toujours plus, jusqu’à cannibaliser le système de la répartition, bien moins rentable d’un point de vue financier.

Face à cette logique, d’autres solutions sont possibles. C’est, dans un premier temps, de faire contribuer les riches et les profits capitalistes au financement des retraites et se battre pour que les salaires augmentent et que le chômage diminue pour augmenter le nombre de cotisants. C’est pourquoi la défense des retraites entraîne deux préalables : la défense des salaires si nous voulons plus d’équité dans système capitaliste socialisé, l’abolition du salariat si l’on veut réellement le mettre à bas. En effet, s’il y a crise des retraites, cette crise reflète la crise du rapport salarial dans son ensemble. Il témoigne de la montée de la précarité et du blocage salarial. Pas étonnant qu’en augmentant les contrats à durée déterminée, en mettant toujours plus de gens au chômage, en développant les départs en préretraite, en nivelant les salaires vers le bas, on en arrive aujourd’hui à une société en crise, où la précarité est reine, et qui ne parvient plus, dans les conditions actuelles, à financer son système de sécurité sociale fondée sur le salariat des années 1950-1970.

Le problème du financement des retraites ne peut être analysé en l’isolant du reste de la société. Il faut chercher comment agir par rapport à la crise sociale plutôt que de faire du rafistolage contre les intérêts des travailleurs. Car aujourd’hui on en arrive à des situations absurdes où on demande aux travailleurs de partir plus tard à la retraite alors que l’on cherche à réduire le temps de travail et que le nombre de salariés à qui on impose la préretraite ne cesse d’augmenter. Cette contradiction n’est pas la seule. Le système actuel développe de plus en plus d’incohérences et de gâchis.

Tels que le gaspillage des richesses, de la force de travail, des nouveaux moyens techniques. Toutes ces incohérences proviennent en réalité des contradictions fondamentales du système capitaliste : ce système a besoin pour fonctionner de toujours plus de travailleurs pour consommer, produire et cotiser, alors qu’il met hors jeu par le chômage une part importante des travailleurs. C’est pour cela qu’il apparaît comme une nécessité pour lui de vouloir augmenter le nombre d’années de cotisation pour pallier à la diminution du nombre de cotisants. Cette mesure est ainsi faite pour conjurer ses tendances contradictoires. La principale de ces tendances est que les progrès techniques très importants enregistrés depuis un demi-siècle, et tous les gains de productivité qui en découlent, ont amené le facteur travail à entrer moins en compte dans la production, face à la montée inexorable de la mécanisation.

Plutôt que de permettre à chacun de travailler moins, du fait de la part moins importante du facteur travail, le système a au contraire forcé un nombre toujours plus important de salariés au chômage tandis que ceux qui conservent leur travail sont toujours amenés à travailler plus vite et à faire plus d’heures supplémentaires, et bientôt à partir à la retraite plus tardivement. Cette tendance des deux dernières décennies témoigne du conflit qui existe toujours dans le capitalisme entre les intérêts à court terme des entreprises et ceux à moyen et long terme du système tout entier qui, pour se reproduire, à besoin de développer toujours plus les forces productives, dont fait partie le salariat.

On voit ainsi très bien comment le rapport salarial entre en contradiction avec le développement des forces productives. Les « tendances mortifères du capital » sont toujours présentes. La hausse des années de cotisation pour la retraite et l’introduction des fonds de pension ne sont que des moyens pour tenter de contrecarrer ces tendances. Plutôt que de chercher par des mesures ponctuelles à allonger la durée de la vie active, il faut justement trouver la manière de l’abréger.

Aujourd’hui, pour inverser cette tendance, il importe justement que pour augmenter la masse des actifs, et donc des cotisants, il faille baisser massivement le temps de travail pour que chacun puisse occuper un emploi. Il ne s’agit pas seulement d’une mesure sociale comme une autre. Mais de la seule manière de faire fonctionner notre société normalement, dans l’intérêt de tous. C’est cette réduction du temps de travail qui reste la seule voie possible pour un rééquilibrage entre population occupée et inoccupée.

Ces mesures pourtant ne restent que transitoire et, seule, la mise en place d’un fédéralisme autogestionnaire communiste libertaire peut permettre l’arrêt définitif du capitalisme et de ces crises conjoncturelles. Elles ne pourront passer que par la mobilisation de tous en renouvelant la lutte comme en 1995.

Les richesses produites par les salariés s’accroissent chaque année bien plus rapidement que nos salaires. Depuis vingt ans, ces gains passent donc de plus en plus dans les poches des actionnaires. Mais cela n’est pas encore assez pour eux et pour leur soif de pouvoir ! Les attaques se font de tous côtés ; ce qui explique la multitude de grèves et manifestations.

Mais pour être en capacité de riposter, les travailleurs doivent unifier leur lutte et éviter la dispersion comme c’est le cas depuis septembre.

Le 21 mars dernier une coordination unitaire de syndicats (Daewoo, ACT, Air Lib, Aventis, Emplois jeunes, France Télécom, etc.) a appelé à une manifestation unitaire pour la défense de l’emploi et de la protection sociale qui a été un succès. Le 3 avril, nous avons été des milliers à débrayer et à manifester pour dire non à la casse des retraites par répartition. Dans l’Éducation nationale, la lutte se radicalise vers la grève reconductible. Mais les bureaucraties syndicales vont multiplier les journées d’action. Assez ! Retraites, licenciements, précarité et décentralisation : les syndicalistes de classe doivent mettre à l’ordre du jour la préparation de la grève générale interprofessionnelle. Exigeons et organisons des AG pour sa mise en œuvre : des unions locales intersyndicales doivent se former et agir dans ce sens !

Nos parents ont su conquérir des acquis sociaux. Non seulement nous refusons de les perdre, mais il faut les renforcer. Travailleurs, précaires, chômeurs mobilisons-nous le 25 mai à Paris et en province et commençons la grève générale.

Michel Sahuc, collectif anarchosyndicaliste La Sociale, FA (Montpellier)

Mobilisons-nous sur la base minimale de ces revendications

La retraite à 37,5 années de cotisation pour tous, public et privé, et moins, entre autres pour les métiers physiquement éprouvant ; le retrait du projet de décentralisation de la fonction publique, qui vise d’une part à casser l’unité du service public, d’autre part à en entamer la privatisation progressive ; la fin des suppressions d’emplois massives dans le public et le privé, qui, en particulier, permettent la précarisation accélérée de nombreux travailleurs et fragilisent leurs conditions d’existence. Ces revendications se situent dans l’objectif plus général de préserver et développer les régimes par répartition (retraite, maladie, chômage), qui doivent assurer pleinement leur double rôle : instrument de redistribution des bénéfices au profit des travailleurs (pour cela les cotisations patronales doivent être augmentées afin de baisser leurs bénéfices et d’augmenter la part des salariés dans les richesses produites) ; outil de solidarité entre tous les salariés, ceux qui travaillent garantissant l’existence de ceux qui, pour une raison ou une autre, ne peuvent travailler (salariés malades, en retraite, ou période de chômage). Ces revendications se situent également dans l’objectif d’assurer à tous un service public de qualité, dans l’Éducation et au-delà. Les intérêts privés n’ont pas à y intervenir, seul l’intérêt des salariés et des usagers importe. C’est à eux que doivent en revenir les « bénéfices ». Faisons converger les luttes pour gagner !