Accueil > Archives > 1998 (nº 1105 à 1145) > 1110 (12-18 févr. 1998) > [C’est Noël pour le CNPF !]

35 heures, annualisation et gel des salaires

C’est Noël pour le CNPF !

Le jeudi 12 février 1998.

La semaine qui vient de s’écouler aura été marquée par les débats parlementaires sur la loi de réduction du temps de travail (RTT). Pourtant, la guérilla procédurière mise en œuvre par l’opposition peut surprendre puisque le projet socialiste a été inspiré par une loi de la droite, dite « Robien » (député UDF), votée en 1996. En matière de lutte contre le chômage, la droite s’obstine à réclamer des abaissements de charges sociales pour les entreprises : c’est aussi ce que prévoit le projet Aubry avec ses aides dégressives de 5 ans pouvant aller jusqu’à 14 000 francs par salarié la première année. Enfin, la droite demande toujours plus de flexibilité, annualisation du temps de travail, baisse des salaires… Et c’est ce que propose la gauche comme contrepartie au patronat pour qu’il applique la RTT (cf ML nº 1105 et 1109) ! En fait, ce qui poserait problème à la droite et aux patrons, c’est la date butoir des ler janvier 2000 et 2002. Voilà toute la « différence » avec une gauche de plus en plus gauche, et de moins en moins plurielle quand il faut défendre la loi sur les 35 heures.

Le patronat aussi continue à montrer son opposition au projet : ces pantalonnades ne doivent pas nous leurrer. Le patronat aime les RTT de droite ou de gauche. La preuve ? Le pôle Eau de la Générale des eaux a proposé une réduction du temps de travail avec un gel des augmentations et des primes pendant deux ans, un réaménagement des horaires sur six jours au lieu de cinq : 700 emplois sont promis. Or ces embauches proviennent des départs naturels (environ 600) : il n’y a donc pas création de poste. De plus, les 100 autres emplois promis seraient, selon des syndicats ayant dénoncé l’arnaque, des titularisations d’emplois précaires existants ! De leur côté, les patrons de l’Association française des banques veulent négocier les 35 heures en remettant en cause la convention collective : « Dans l’esprit du gouvernement, les 35 heures s’accompagnent bel et bien d’un gel du pouvoir d’achat […] pendant plusieurs années » affirme un patron de banque. Le ministère de l’Économie renforce l’option des banquiers en renchérissant : « L’ancienne convention doit évoluer ». Amen ! Dans les grands magasins, l’inquiétude est grande aussi de voir les salariés travailler avec des horaires peu conventionnels, et six jours par semaine une fois les 35 heures négociées. À son tour, la fédération des exploitants de salles de cinéma vient de signer un accord avec les syndicats représentant (mal, très mal !) les salariés. Cet accord prévoit 35 heures hebdomadaires avec embauche à hauteur de 10 % des heures effectuées. Certaines contreparties sont délirantes : réduction de charges sociales pendant sept ans, gel des salaires pendant deux ans dans la limite de 3 %, gel définitif de la prime d’ancienneté, annualisation du temps de travail…

Des luttes nécessaires

On voit bien que la pression sur les salariés est intolérable et que l’on doit parler de partage des salaires dans le partage du travail tel qu’il est conçu par la gauche. Nous n’avons cessé de le dire depuis le début : cette baisse du temps de travail est un nouvel aménagement du capitalisme. La résistance du CNPF est factice. Aidés par les politiques au pouvoir et sous couvert de justice sociale, les patrons organisent la précarité pour tous sans résorber le chômage. Nous ne cessons de partager nos ressources, de diviser nos revenus, d’hypothéquer l’avenir de l’écrasante majorité de la population alors que dans le même temps, on ne touche pas aux privilèges, aux capitaux, aux bénéfices et à la logique de l’oppression économique et sociale organisée par une infime minorité. Jusqu’au jour où… Jusqu’au jour où nous tirerons les bilans de ce qui s’est passé en novembre-décembre 1995, puis lors du blocus des routiers, du formidable mouvement des sans-papiers enfin de celui des chômeurs et précaires. Il faudra bien se dire qu’à chaque fois nous ne sommes pas allés assez loin pour obtenir pleine et entière satisfaction. Il faudra alors se souvenir de ceux et celles qui ont promis et à chaque fois menti, qu’ils soient politiques ou leaders syndicaux. Nous devrons alors en tirer les conséquences pour les prochaines luttes qui risquent de se déclencher dans le cadre des conséquences de la RTT. Mais déjà, puisque les mouvements sociaux s’accélèrent et balaient en profondeur la société française et les consciences sociales, puisque les pratiques à caractère libertaire tendent à se généraliser (action directe, démocratie directe, multiplication de collectifs de lutte autonomes), et que les thèmes de résistance sociale, de libre circulation de tous, de partage des richesses surgissent enfin de l’ombre… il nous appartient plus que jamais de poser des jalons pour une révolution sociale et libertaire faite d’égalité, d’entraide et d’autogestion.

Pour finir là : cette semaine aura été marquée par les réactions des principaux leaders syndicaux à l’annonce de la création d’un « revenu minimum mensuel », sorte de SMIC bis et à la nouvelle mesure annoncée par Aubry de travailler 39 heures hebdomadaires et de récupérer avec des jours de repos. Les pyramides syndicales s’éveillent. Pourtant, elles signent certains des accords évoqués plus haut. Par chance, certains syndicalistes sont plus méfiants et moins consensuels. C’est sûr, ceux là au moins lisent Le Monde libertaire.

Daniel
groupe du Gard