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Coupe du monde

Quelle fête !

Le jeudi 19 mars 1998.

Une vague déferlante se prépare. La France va être au centre des caméras du monde entier. Nous allons vivre, subir un des paroxysme de la société du spectacle : une coupe du monde.

Un mois de paix sociale

Le 28 janvier dernier on inaugurait le stade de France. Trois ministres communistes sont directement liés à la réussite de cet événement : Transports, Tourisme et Jeunesse et sports. Or on peut déjà être sûr que la CGT, dont la direction reste très liée au PCF, freinera tout mouvement pouvant toucher de près ou de loin la coupe du monde. Dans le courant du mois de janvier la CGT-RATP et SNCF déposent un préavis de grève pour le 28 janvier. Les revendications tournent autour des conditions de travail pendant la coupe. Le ministre des Transports, en bon communiste, et pour ne pas gâcher la fête, a tenté de briser nette la grève en réservant plus de 800 bus afin d’acheminer les spectateurs. Les problèmes d’embouteillage persistant, nos valeureux ministres communistes maintiendront la pression : « Je suis convaincu que le jour de l’inauguration, tout le monde aura le cœur à contribuer au succès de cette fête du football, mais aussi de servir le public » [1]. Effectivement, les préavis seront suspendus ou maintenus sur des lignes sans importance !

Des gros moyens sont mis en place pour ficeler le mouvement social ainsi que les banlieues avec les opérations « la Coupe des banlieues ». Seront organisés des tournois inter-quartiers, des concerts rap… Le tout consiste à séparer les publics et à ce que les jeunes de banlieues ne côtoient pas la proximité des stades. Les consignes dans la police sont claires : loin des stades et des champs de caméras il faut être un peu plus tolérant. Il nous faut une France propre sans vague.

Mais que va-t-on fêter ?

Pendant un mois, nous allons accueillir des équipes représentant des dictatures, des sponsors économiques qui vont se valoriser de soutenir cet événement, les services secrets américains préparant leur rencontre contre l’Iran… Alors que va-t-on fêter ? Une fête comme les autres où des joueurs toucheront des milliers de francs à chaque coup de ballon. Sauf que le football, tout comme le sport de fédération en général, a une fonction politique indéniable. « Lorsqu’une nation est en forme, cela se traduit dans tous les domaines, y compris celui du sport. Cela doit se compléter par la généralisation du sport à l’école. Ce qui est vrai de l’école l’est de la caserne. Tout cela je le sais et nous nous en occupons. » [2]. Même les jeux olympiques, avec le message véhiculé autour de la fraternité et de l’internationalisme, n’échappent pas à cette règle. Charles Maurras, lui-même, l’avait très bien compris : « Cet internationalisme-là ne tuera pas la patrie mais la fortifiera. » [3]. Une des premières fonctions du sport est de renforcer le sentiment national. D’ailleurs après des jeux offrant une coupe, on accueille les vainqueurs à l’Élysée pour les remercier, car leurs victoires ont donné du baume au cœur des pauvres et des exclu(e)s comme l’Église savait si bien le faire il y a un siècle de cela.

Au-delà de ce nationalisme où riches et exploité(e)s doivent défendre la même équipe, nous ne pouvons pas éviter d’aborder en quelques mots les valeurs intrinsèques du sport de fédération :

  • Le sport, c’est la règle émise par l’institution : la fédération ou la ligue centre du pouvoir maîtrise tout…
  • L’institution centrale organise la pratique du sport à son image : sanctions, dirigeants, arbitres, capitaines… une hiérarchie stricte que l’on ne peut remettre en cause !
  • La pédagogie du sport est très permissive car c’est une pédagogie du modèle et de la norme (culte du beau musclé, apologie de la souffrance et de l’héroïsme, culte du duel et de la compétition).

Une fête à quel prix !

Même l’amateurisme olympique est hors de prix. Il doit laisser un goût amer aux habitant d’Alberville et de ses environs. Le coût pour les différentes collectivités publiques pour ces JO d’hiver est de 13 milliards au plus bas prix, 13 milliards pour deux semaines de JO d’hiver (les moins médiatisés) contre 50 milliards (plan Aubry) pour les exclus en trois ans ! De plus, on taxe un grand nombre d’entreprises publiques que les contribuables renfloueront si besoin : Crédit lyonnais, la Poste, AGF… L’État a investi dans une piste de bob de la Plagne, ou un tremplin de saut à Courchevel, qui restent pratiquement sans utilisateur, de quoi nous rappeler les débuts du stade de France. Le stade de France est privé (Bouygues possédant TF1, CGE venant de racheter Havas avec 34 % de Canal+…) même si l’État a financé 50 % de sa construction (1,5 milliard) ainsi que les équipements environnants : parking, gare RER. De plus, si sa gestion s’avère déficitaire les cinq premières années, l’État s’est engagé à couvrir le déficit. Toujours dans le budget de l’État, si le budget de la Jeunesse et des sports est en hausse depuis quatre ans, ce n’est pas pour financer un RMI pour les moins de 25 ans mais bien pour financer à coup de millions les festivités. Mais tout le monde ne perd pas d’argent, les télévisions devraient empocher plus de 100 milliards de francs en trois semaines (chiffre le plus bas).

Et pour qu’il y ait spectacle, tout est bon : de la police qui veillera au maintien de l’ordre, de la fédération qui malgré ces milliards qui circulent exploitera quelques milliers de bénévoles, de la compétition qui n’aura que des contrôles antidopage limités… Tout sera bon pour que cette fête du nationalisme et du capitalisme réussisse ! Alors avec nos moyens (de la campagne d’affichage aux réunions publiques, à des actions symboliques plus subversives et peut-être médiatiques…) osons mettre notre grain de sable dans cette mécanique bien huilée.

Régis Balry
groupe de Nantes


[1Libération du 24 janvier 1998.

[2Georges Pompidou.

[3Le Monde du 3 janvier 1980.