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Sans-papiers, chômeurs, antifascisme…

Prenons l’offensive !

Le jeudi 9 avril 1998.

Ils ont voté et puis après… Et bien nous y voilà. La droite, encore ébranlée par la révolte de ses barons et la stratégie payante du FN, cherche ses marques. Bayrou patauge dans son échappée, Séguin rumine, Chirac reprend du poil de la bête et tente de se reposer en leader. Tractations en tous genres vont bon train pour modifier les futurs modes de scrutin. Bien sûr, ces magouilles doivent se faire « pour des raisons nationales et pas pour la commodité politique des uns et des autres », comme ose le déclarer sérieusement Balladur. À gauche, on joue pôle de stabilité avec grande réforme constitutionnelle à la clé et petits trafics de mode de scrutin. Robert Hue et son parti qui réclamaient dès le 22 mars « une moralisation et une démocratisation de la société » jouent donc toujours leur rôle d’avant-garde… de la démocratie parlementaire. En tout cas, ceux qui ont sincèrement défilé contre le danger fasciste doivent se sentir un peu floués par les réponses proposées pour combattre la vermine brunâtre. Dernièrement, PS et UDF se sont même retrouvés à l’Assemblée pour voter, ensemble, la législation concernant le passage des entreprises à l’euro. Quant à l’extrême droite, il est évident que la condamnation de son chef favorisera un peu plus la ligne à l’italienne de Mégret. Ce qui est grave, c’est que dans les médias, cette analyse est reprise mais avec une certaine louange pour cette opération mains propres au sein du FN. Cette orchestration médiatique, renforcée par des propositions juridiques, participe, de fait, à la banalisation du FN. Plus que jamais, un antifascisme aux bases anticapitalistes et antiétatiques doit s’exprimer avec des chances d’être suivi. Entretenu par la gauche comme diviseur de la droite, le FN lui sert maintenant de chantage sur ceux qui refusent la logique capitaliste que cette gauche plurielle applique dans tous les domaines de nos vies.

Chantage et aumône à l’Éducation nationale

Allègre a usé de ce procédé pourri en Seine-Saint-Denis où, depuis trois semaines, enseignants, parents, élèves se battent unitairement avec grèves et manifestations toujours plus fortes. Ce département illustre hélas parfaitement les dégâts causés (et pas seulement au niveau de l’école), par des décennies de gestion « saine et responsable » de l’économie de marché. D’où cette unité et cette rage dans la lutte pour retrouver dignité et bien-être. La gauche a peur de cela. La phrase fielleuse ainsi que les marchandages successifs d’Allègre le prouvent. Ce ministre qui déclare ne pas être le Père Noël sait très bien pourtant économiser du fric sur le dos du service public d’éducation et même tenter de le casser. Dans l’école primaire, il sucre les formations sur le temps de travail, il mettra désormais moins de remplaçants (aux directeurs et aux maîtres de se mobiliser, paraît-il). Pire est le futur rapport qu’il a commandé (rapport Pair). Regroupement des écoles primaires par zones pour gérer au mieux les postes bien sûr, nominations de super directeurs, enfin, davantage d’autonomie pour les lycées et les collèges qui pourront gérer librement 10 % de leurs moyens pédagogiques. Bref, plus de restrictions, un renforcement de la hiérarchie, et une porte ouverte à la régionalisation rampante de l’école publique, cela au service du patronat local. Encore une fois, Allègre ne fait pas que tenir de sales propos, par derrière, il fait le sale boulot.

Chantage et répression vis-à-vis des immigrés

Son camarade Chevènement fait dans le même registre, en plus fort. Non content de son projet qui continue à entretenir la logique de suspicion et de répression vis-à-vis des immigrés, lui aussi use du chantage au FN paradant fièrement au nom des lois républicaines. De la parole aux actes il n’y a qu’un pas, qu’il vient de franchir. La semaine passée, manifestants pacifiques et journalistes ont été embarqués par ses flics à Roissy. Désormais, tous les agitateurs qui soutiendront les sans-papiers risquent d’être condamnés pour entrave à la loi et inscrits au fichier de l’espace Schengen, donc interdits de séjour dans ses pays membres. Voilà où en arrive l’humanisme de gauche. Cela est d’autant plus grave que si jusqu’au 30 avril, les sans-papiers non régularisés espèrent encore un peu, une fois cette date dépassée et n’ayant plus rien à perdre, ils agiront encore plus. La répression risque donc de monter d’un cran supplémentaire.

Fausses alternatives et véritable rupture

Krivine, le monsieur trotskyste français, déclare que Chevènement a perdu les pédales. Et d’une, après avoir fait son possible pour élire Jospin, il porte donc une certaine responsabilité dans la situation actuelle. D’autre part, parler de dérapage est une grossière erreur. Allègre, Chevènement, ne font pas de faux pas. D’autres feraient exactement la même chose. La politique menée n’est pas dépendante de la personnalité des individus. Elle réside dans le choix économique capitaliste cherchant à résoudre coûte que coûte la contradiction des classes sociales au profit des exploiteurs. D’où la nécessité pour la gauche plurielle de réduire les services publics, voire les privatiser, et continuer à avoir un bouc émissaire face au problème du chômage. Tel est le vrai visage des amis de Krivine avec lesquels il s’acoquine régulièrement. Les élections passées, il est évident que LCR, Verts et PCF vont chercher à se démarquer du PS en nous rejouant la critique à gauche… pour mieux tous se retrouver lors des futures élections. On connaît la chanson ! La manœuvre de la main tendue de Robert Hue à la gauche « si elle se réalise » lui servira surtout à augmenter son score via l’isoloir.

Pour nous, ce chantage odieux et cette répression étatique qui visent à briser toute possibilité de mouvement social ne sont pas étonnants, au vu de l’alignement total de la gauche sur l’économie de marché. Il fallait être naïf, ou rusé, pour croire en elle. L’évidence est là : le vernis démocratique peut craquer face à une radicalisation. Par conséquent, l’État criminalise idéologiquement et en pratique ceux qui essaieront de développer une dynamique des luttes sociales. De même, des bornes sont placées : la lutte antifasciste ne doit pas dépasser le cadre du front républicain. Jospin et consorts y veillent. N’oublions jamais que les droits que l’État nous concède ne sont que ceux qui le servent. Au-delà, c’est le bâton. C’est justement parce que les mouvements des chômeurs et des sans-papiers souhaitent une autonomie dans leur lutte, et avancent des revendications en rupture complète avec le système, qu’ils sont les premiers à faire les frais de la violence d’État. Non seulement nous ne céderons pas mais, au contraire, pied à pied, nous combattrons l’État et sa politique en aidant concrètement ces fronts de lutte.

Jaime
groupe Kronstadt (Lyon)